Intervention de François Bonhomme

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 avril 2018 à 9h05
Proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme, rapporteur :

En effet, le sujet n'est pas nouveau. Cette proposition de loi du député Richard Ferrand et de plusieurs de ses collègues, adoptée le 30 janvier dernier par l'Assemblée nationale, est relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes.

La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République - dite loi NOTRe - a prévu le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération, au 1er janvier 2020. Ce transfert suscite des inquiétudes légitimes chez les élus locaux, comme nos collègues et anciens collègues Mathieu Darnaud, Pierre-Yves Collombat, Michel Mercier et René Vandierendonck l'avaient relevé dans le cadre de la mission de contrôle et de suivi des dernières lois de réforme territoriale, mise en place par notre commission des lois en novembre 2015.

Pour tenter de répondre à ces inquiétudes, le Sénat a adopté, à l'unanimité, la proposition de loi de nos collègues Bruno Retailleau et Philippe Bas, qui prévoyait le maintien de ces deux compétences dans les compétences optionnelles des communautés de communes et des communautés d'agglomération. C'était le 23 février 2017. Lors de son examen par l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2017, et malgré le soutien du rapporteur de la commission des lois, Fabrice Brun, et de l'ensemble des groupes politiques, à l'exception du groupe majoritaire, cette proposition de loi a fait l'objet d'un renvoi en commission. Pourtant, comme au Sénat, les débats à l'Assemblée nationale ont mis en exergue les difficultés spécifiques rencontrées dans certains territoires, en particulier de montagne ou en zone rurale, où le périmètre de l'intercommunalité ne permet pas toujours d'envisager une gestion efficace à la suite du transfert de ces compétences à l'horizon 2020.

Dans ce contexte et dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, un groupe de travail de huit députés et de huit sénateurs a été constitué auprès de Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, pour présenter des propositions consensuelles en vue de répondre à ces difficultés. Ces travaux ont conduit au dépôt puis à l'adoption de la proposition de loi de l'Assemblée nationale que nous sommes appelés à examiner.

La philosophie sur laquelle repose cette proposition de loi est différente de celle du texte adopté par le Sénat à l'unanimité le 23 février 2017. En effet, alors que la proposition de loi sénatoriale maintenait « l'eau » et « l'assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes et d'agglomération, en laissant aux élus locaux le soin de décider l'opportunité d'un tel transfert, au nom du principe de subsidiarité, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale conserve le principe du transfert de ces deux compétences, mais en aménage le calendrier pour les seules communautés de communes.

La proposition de loi est composée de trois articles.

L'article 1er permet à des communes membres d'une communauté de communes n'exerçant pas les compétences « eau » et « assainissement », à la date de publication de la loi, à titre optionnel ou à titre facultatif, de différer leur transfert à la condition que ces communes représentent au moins 25 % des communes membres et 20 % de la population de l'intercommunalité. Dans ce cas, le transfert obligatoire interviendrait au plus tard le 1er janvier 2026, au lieu du 1er janvier 2020.

Ce dispositif s'inspire de celui prévu à l'article 136 de la loi ALUR qui permet à des communes de s'opposer au transfert de la compétence « élaboration du plan local d'urbanisme » à l'intercommunalité à fiscalité propre dont elles sont membres. Contrairement à celui-ci, le dispositif proposé par l'article 1er permet aux communes membres d'obtenir un simple report du transfert, et non d'y faire obstacle, afin de laisser un délai supplémentaire aux élus locaux pour l'organiser. En revanche, ce dispositif ne s'appliquerait pas aux communes membres des communautés d'agglomération, au motif que 70 % d'entre elles ont déjà bénéficié du transfert de ces deux compétences et que les 30 % restantes demanderaient le maintien du statu quo, selon Mme Chalas, rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée nationale, que j'ai rencontrée.

L'article 2 prévoit, outre des coordinations, l'inclusion de la gestion des eaux pluviales et celle des eaux de ruissellement des zones urbaines au sein de la compétence « assainissement », pour toutes les catégories d'intercommunalités.

L'inclusion des eaux pluviales dans la compétence « assainissement » se prévaut d'une jurisprudence du Conseil d'État relative aux compétences des communautés urbaines. Toutefois, ce rattachement ne va pas de soi pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération, et soulève des difficultés, tant juridiques que techniques.

Tout d'abord, la décision du Conseil d'État du 4 décembre 2013 sur laquelle se fonde l'analyse du Gouvernement et de la majorité de l'Assemblée nationale est antérieure à la loi NOTRe, et n'apporte pas un éclairage suffisant et pertinent sur la portée de ses dispositions.

Ensuite, le cas d'espèce à l'origine de cette décision s'applique à un contexte particulier : la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole était dotée d'un réseau unifié de collecte des eaux usées et des eaux pluviales. En outre, rien n'indique que le Conseil d'État, dans sa décision, ait rattaché la compétence « gestion des eaux pluviales » à l'« assainissement » plus qu'à la compétence « eau » puisqu'il l'attribue à l'« eau et assainissement » dans sa globalité.

Par ailleurs, le service public de gestion des eaux pluviales urbaines est distinct de celui de l'assainissement. Et les articles du code général des collectivités territoriales relatifs au service public de l'assainissement ne font référence qu'aux eaux usées et non aux eaux pluviales.

Enfin, la nature et le régime juridique de ces deux services publics sont différents : la gestion des eaux pluviales urbaines correspond à un service public administratif (SPA), dont le financement repose sur le budget général de la collectivité compétente, aucune recette spécifique ne lui étant attribuée ; le service public de l'assainissement est un service public industriel et commercial (SPIC), financé, à ce titre, par un budget annexe, équilibré par les redevances acquittées par les usagers.

Enfin, le rattachement de la gestion des eaux pluviales dans les zones urbaines à l'« assainissement » soulève également des difficultés techniques. Si, dans certains territoires, il existe une cohérence entre les réseaux d'assainissement et les réseaux d'eaux pluviales, dans d'autres, la gestion des eaux pluviales peut être plus efficacement assurée en lien avec d'autres compétences, comme la gestion de la voirie, laquelle peut relever d'autres échelons territoriaux, tels les départements, mais aussi la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations - la Gemapi -, la gestion des espaces verts ou encore l'urbanisme. Selon des données de l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement de 2008, les réseaux séparatifs représenteraient environ les deux tiers des réseaux, le tiers restant étant des réseaux unitaires qui tendent à se réduire.

Le rattachement de la gestion des eaux de ruissellement à l'« assainissement », apparaît tout aussi injustifié. Les difficultés soulevées précédemment s'appliquent également. Sous couvert de précision et de coordination avec la jurisprudence du Conseil d'État, la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée va au-delà, en rattachant, sans le justifier, la gestion des eaux de ruissellement à la compétence « assainissement ». Or il n'en est rien puisque le Conseil d'État n'a pas abordé la question du rattachement des eaux de ruissellement à l'assainissement et s'est prononcé uniquement sur celle des eaux pluviales. Lors de l'examen de la loi du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités locales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, notre rapporteur, Mathieu Darnaud, s'était interrogé sur le rattachement de la gestion des eaux de ruissellement à la Gemapi. Notre commission, à son initiative, avait finalement opté pour le financement d'actions y concourant par la taxe Gemapi, mais la commission mixte paritaire n'a hélas pas retenu cette disposition.

Enfin, l'article 3 vise à assouplir les règles de représentation-substitution des communes au sein des syndicats exerçant les compétences « eau » et « assainissement », et à permettre aux syndicats regroupant deux intercommunalités à fiscalité propre de bénéficier de ce dispositif. Cet assouplissement bienvenu permet de préserver de nombreux syndicats existants et d'assurer la continuité des services rendus aux usagers. Cette disposition est très attendue par les élus locaux.

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