Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 18 avril 2018 à 14h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, dite « secrets d’affaires », ayant pour but d’harmoniser la notion de secret des affaires, doit être transposée dans notre droit interne avant le 9 juin 2018. Pour cette raison, une proposition de loi a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 19 février dernier, par les membres du groupe La République En Marche, et la procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement.

L’objectif est triple : mettre la France au niveau de protection des entreprises étrangères, offrir un cadre juridique européen commun et prévenir l’espionnage économique ou le « pillage » ou la divulgation des innovations à des concurrents. Il est ici question des brevets, des secrets de fabrication et, surtout, des données économiques de nos entreprises à l’heure du tout numérique.

La directive a posé trois critères pour qualifier une information relevant du secret d’affaires : ne pas être facilement accessible à des personnes extérieures à l’entreprise ; revêtir une valeur commerciale parce qu’elle est secrète ; faire l’objet de mesures de protection raisonnables de la part de l’entreprise. Cette définition est reprise par le présent texte, qui prévoit également que les entreprises victimes de vols d’informations pourront ester en justice.

Toute la difficulté de telles dispositions réside dans la manière de conjuguer la légitime protection du secret des affaires de nos entreprises et le respect des libertés fondamentales, telles que la liberté d’informer la société civile, dont les journalistes, les lanceurs d’alerte ou encore les représentants des salariés doivent pouvoir user. Les inquiétudes formulées par ces derniers ont, me semble-t-il, été entendues par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui a prévu un certain nombre de garde-fous non négligeables. En effet, le texte sorti de l’Assemblée nationale dispose que le secret des affaires ne peut s’appliquer lorsqu’il s’agit d’« exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse ». Ainsi, les entreprises ne pourraient se prévaloir du dispositif de la présente proposition de loi pour bloquer la publication d’une enquête ou réclamer des dommages et intérêts à un journal.

À ce titre, il convient de rappeler que, en l’état actuel du droit, et avant même la transposition de la directive, des actions en justice sont d’ores et déjà engagées à l’encontre d’organes de presse. J’en veux pour preuve la très récente décision Conforama : cette enseigne a obtenu gain de cause pour faire retirer un article de l’hebdomadaire Challenges faisant état de ses difficultés financières – étant précisé qu’appel a été interjeté…

S’agissant des lanceurs d’alerte, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale proposait que le secret des affaires ne soit pas opposé aux personnes révélant, « dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible ».

Par ailleurs, la création d’une nouvelle amende civile visant à dissuader les « procès bâillons » intentés par des entreprises ciblées par les révélations de journalistes ou de lanceurs d’alerte afin de les épuiser juridiquement et financièrement apportait une protection supplémentaire malheureusement supprimée dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Enfin, la proposition de loi organisait une troisième exception au secret des affaires pour les salariés obtenant des informations internes sur leur entreprise et les transmettant à leurs représentants, tels que les délégués syndicaux, si leur divulgation est « nécessaire » à l’exercice des fonctions dudit représentant.

En définitive, en intégrant le secret des affaires dans notre droit, fidèlement et dans les délais de la directive, il n’est pas question de porter atteinte à la liberté d’informer. Je comprends les craintes exprimées, mais le texte sorti de l’Assemblée nationale était parvenu à trouver un juste équilibre.

Au lieu de chercher à hiérarchiser et, du même coup, à opposer les principes fondamentaux, il nous appartient, en tant que législateur, de réussir à les articuler les uns avec les autres. Or le texte issu des travaux de notre commission des lois va au-delà de la directive, surprotège le secret des affaires et, par là même, rompt l’équilibre auquel étaient parvenus nos collègues de l’Assemblée nationale.

Notre groupe a déposé un certain nombre d’amendements visant, notamment, à rétablir l’amende civile contre les procédures dilatoires ou abusives et à supprimer l’infraction pénale spéciale réprimant la violation du secret des affaires créée par la commission, que je juge superfétatoire. Nous conditionnerons notre vote à leur adoption ou, à tout le moins, à la présence de gages d’équilibre et de proportionnalité indispensables.

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