Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 18 avril 2018 à 14h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Article 1er, amendement 88

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

L’amendement n° 88 est d’ordre rédactionnel.

Les amendements n° 47 rectifié, 30 rectifié, 74 rectifié, 22, 75 rectifié et 32 rectifié visent à réserver au seul tribunal de grande instance, voire au seul tribunal de grande instance de Paris, la compétence pour connaître des actions relatives aux atteintes au secret des affaires.

En application des règles normales de compétence juridictionnelle, le tribunal de commerce sera compétent en cas de conflit entre deux entreprises concurrentes – commerçants ou sociétés commerciales, y compris sociétés de presse. C’est l’article L. 721-3 du code de commerce. Le tribunal de grande instance sera, quant à lui, compétent dans tous les autres cas –s’il s’agit d’un lanceur d’alerte personne physique, d’une association, d’un syndicat, d’un journaliste personne physique. Ces deux juridictions relèvent de l’ordre judiciaire, de sorte que les cours d’appel et la Cour de cassation assureront l’harmonisation des jurisprudences.

Je relève, dans certains propos qui viennent d’être tenus à l’égard des juges du tribunal de commerce, une sorte de mépris – je pèse mes mots ! – et de défiance particulièrement insupportable. Quoi que chacun puisse penser du tribunal de commerce, celui-ci ne pourra pas connaître d’une affaire mettant en cause un journaliste, un lanceur d’alerte, un syndicat ou une association. Il n’y a pas lieu de remettre en cause les règles habituelles de compétence qui découlent de la qualité des parties.

Concernant plus spécialement l’amendement n° 47 rectifié, la rectification est intervenue ce matin après la réunion de la commission des lois afin de prévoir la compétence de principe du tribunal de grande instance lorsque la personne mise en cause pour une atteinte au secret des affaires est un organe de presse, fût-il constitué sous forme de société commerciale. Même dans cette hypothèse, il n’y a pas lieu de bouleverser les règles de compétence des différentes juridictions. Comme les tribunaux de grande instance, les tribunaux de commerce devront appliquer la loi, éclairés par la jurisprudence des cours d’appel et de la Cour de cassation, dans le respect des principes constitutionnels d’indépendance et d’impartialité des juridictions, sans préjudice des voies de recours pour les personnes condamnées.

De plus, tel qu’il est rédigé, l’amendement aurait pour effet de ne prévoir la responsabilité de l’auteur d’une atteinte au secret des affaires que si celui-ci est un organe de presse. La rédaction ne convient donc pas.

J’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur les amendements n° 47 rectifié, 30 rectifié, 74 rectifié, 22, 75 rectifié et 32 rectifié.

En ce qui concerne l’amendement n° 21, la systématisation des mesures de protection du secret des affaires lors de toutes les procédures judiciaires est un apport important de l’Assemblée nationale. Or les auteurs de cet amendement prétendent que ces dispositions ne sont pas utiles, car elles seraient déjà satisfaites par l’ordonnance du 9 mars 2017 concernant la réparation des dommages résultant d’une pratique anticoncurrentielle. Ce n’est pas exact. En effet, les mesures mises en place par cette ordonnance ne concernent que les actions en matière de dommages de concurrence, et non pas toutes les actions judiciaires pour lesquelles une question de protection du secret des affaires peut être soulevée. L’article 1er bis de la proposition de loi supprime d’ailleurs ces dispositions spécifiques en matière de concurrence au profit de ces nouvelles dispositions générales.

L’amendement n° 62 du Gouvernement vise à revenir au texte de l’Assemblée nationale, alors que celui-ci n’est pas tout à fait conforme à l’article 9 de la directive s’agissant des mesures que le juge peut prendre pour préserver le secret des affaires d’une pièce discutée dans la procédure.

Certes, les dispositions en question de l’article 9 de la directive sont, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, d’harmonisation minimale en vertu de l’article 1er de celle-ci, de sorte que la protection du secret peut être plus importante.

Pour autant, adopter cet amendement porterait une atteinte forte au principe du contradictoire et aux droits de la défense, ce qui a justifié la décision de la commission d’en rester aux préconisations de la directive. Ainsi, l’article 9 de la directive ne permet pas au juge de prendre seul connaissance de la pièce sans aucune forme de communication aux parties.

Dans le texte de la commission, il s’agit bien d’une prise de connaissance préalable par le juge, effectivement systématique lorsqu’une partie invoque le secret pour une pièce afin de voir s’il y a lieu ou non de prévoir des mesures particulières de protection pour cette pièce. En tout cas, ce n’est pas une mesure de protection en soi, car il y a de toute façon, ensuite, une communication aux parties. Sur ce point, le texte de l’Assemblée nationale a été contesté avec constance lors de toutes les auditions, que ce soit par les professionnels, par les magistrats ou par les avocats.

L’article 9 de la directive ne permet pas davantage de limiter l’accès d’une pièce aux seuls avocats des parties, même si cela a été présenté lors des auditions comme une piste intéressante. La directive exige l’accès d’au moins une personne et un avocat pour chaque partie. C’est ce que prévoit le texte de la commission. Sur ce point, peut-être pourrions-nous envisager une limitation aux seuls avocats des parties, mais, de toute façon, le texte prévoit une obligation de confidentialité pour toutes les personnes ayant accès à la pièce.

Pour toutes ces raisons, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 62.

Enfin, concernant l’amendement n° 63 du Gouvernement, le texte de l’Assemblée nationale était incohérent s’agissant de l’obligation de confidentialité portant sur les pièces couvertes par le secret des affaires dans les procédures judiciaires lorsqu’une personne morale – une société, dans la majorité des cas – est partie à la procédure.

Les personnes représentant la société devant le tribunal étaient tenues à l’obligation de confidentialité, mais non envers les dirigeants de la société, lesquels n’étaient soumis à aucune obligation de cette nature, ce qui conduisait immanquablement à la fuite par le haut du secret des affaires.

Pour remédier à cette incohérence, la commission a prévu une obligation de confidentialité à l’égard des dirigeants de la société. L’amendement n° 63 du Gouvernement vise à rétablir la cohérence d’une autre manière, en étendant l’obligation de confidentialité aux dirigeants. Cela conduirait à faire entrer, potentiellement, plus de personnes dans le cercle de confidentialité, mais sans doute en évitant l’hypocrisie d’une situation où un salarié n’aurait pas le droit de révéler la teneur d’un secret aux dirigeants de sa société, tout en respectant la hiérarchie interne à la société.

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

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