Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 18 avril 2018 à 21h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Article 1er, amendements 19 20 18 44 73 10

Nicole Belloubet :

La mesure introduite par l’Assemblée nationale avait pour objectif de prévenir et, le cas échéant, de sanctionner les procédures abusives, qui peuvent porter atteinte de manière particulièrement forte à l’exercice de ce droit fondamental qu’est la liberté d’expression.

Le risque de « procédure bâillon », relevé par plusieurs sénateurs, ne peut pas être ignoré, et les sanctions encourues en cas d’application du droit commun peuvent paraître insuffisantes, au regard notamment des intérêts à protéger. Je suis donc favorable au principe d’une amende civile, qui permette aux juges de sanctionner efficacement de tels abus.

Toutefois, il me semble important de mettre en place un dispositif équilibré, permettant de préserver le pouvoir du juge dans la caractérisation et la sanction des abus, et le caractère abusif ou dilatoire d’une action en justice ne peut être justement apprécié qu’à l’issue de celle-ci.

Or les amendements n° 19, 20, 18, 44 rectifié et 73 rectifié visent à invoquer l’existence d’un abus non pas seulement à l’issue de la procédure, mais dès son introduction, donc d’en établir la réalité de manière sommaire. En outre, ces amendements tendent à prévoir une amende civile majorée dont le plafond serait disproportionné, puisque ce dernier pourrait atteindre 10 millions d’euros ou représenter un pourcentage du chiffre d’affaires qui ne me semble pas adapté en l’espèce.

En revanche, je suis favorable à l’amendement n° 54. M. le rapporteur de la commission des lois a estimé qu’une mesure d’amende civile n’était pas utile, au motif, notamment, a-t-il précisé, que l’amende civile de droit commun est peu appliquée par les juridictions.

Cet argument ne me convainc pas, monsieur le rapporteur ; l’instauration d’une amende civile d’un type nouveau, telle qu’elle a été prévue dans la proposition de loi, pourrait au contraire, me semble-t-il, inciter les juridictions à se saisir de ce dispositif pour sanctionner les abus de procédure.

La commission des lois s’est également interrogée sur la constitutionnalité de cette amende civile, et je vous ai attentivement écouté sur ce sujet, monsieur le rapporteur. Je ne ferai pas ici de longs développements.

Néanmoins, s’il faut reconnaître que le Conseil constitutionnel a considéré qu’une amende civile était une sanction pécuniaire, soumise à ce titre à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il ne s’est, en revanche, jamais expressément prononcé sur la constitutionnalité d’une amende civile au regard du principe de proportionnalité des peines.

Par conséquent, nous sommes obligés de raisonner, comme vous l’avez fait, par analogie, avec une relative certitude ou une incertitude partielle, comme l’on voudra. Pour ma part, je pencherais plutôt, bien évidemment, pour la constitutionnalité du dispositif que le Gouvernement soutient. En effet, il s’agit non pas de réprimer une simple négligence, mais de sanctionner un abus de procédure, c’est-à-dire une véritable faute.

En outre, l’objectif du législateur est tout à fait essentiel, puisqu’il s’agit d’empêcher, par ce dispositif, toute entrave à l’exercice de la liberté d’expression ; l’objectif est bien clairement d’éviter les « procédures bâillons ». Enfin, pour apprécier la conformité à la Constitution du mode de calcul de l’amende civile en fonction du montant de la demande de dommages et intérêts, il faut se poser la question du lien entre le comportement fautif et le montant de la sanction.

Or l’amende civile, telle qu’elle est envisagée dans le nouvel article L. 152-6 du code de commerce, sanctionne le fait d’agir de manière abusive ou dilatoire sur le fondement des dispositions relatives à la protection du secret des affaires. C’est donc non pas la demande de dommages et intérêts en elle-même qui est sanctionnée, mais le montant des dommages et intérêts réclamés, qui constitue un élément permettant de révéler l’abus de procédure.

Je le répète, l’amende civile est destinée à éviter les « procédures bâillons » par lesquelles les grandes entreprises présentent des demandes de dommages et intérêts exorbitantes dans le but de dissuader les journalistes ou les lanceurs d’alerte de révéler certaines informations. Il est donc possible de caractériser un lien indirect entre le comportement fautif et la sanction. C’est la raison pour laquelle cette procédure me paraît être constitutionnelle.

Ainsi, l’amende civile majorée telle que proposée par le député Gauvain lors des débats à l’Assemblée nationale constitue une mesure à la fois très efficace et équilibrée de préservation des droits fondamentaux.

En résumé, j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 54 et un avis défavorable sur tous autres les amendements en discussion commune.

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