Intervention de Delphine Gény-Stephann

Réunion du 19 avril 2018 à 10h30
Prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Delphine Gény-Stephann :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd’hui la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Signée le 7 juin 2017 par la France et par soixante-sept autres États et territoires, cette convention constitue une innovation majeure en matière de fiscalité internationale en ce qu’elle s’imposera dans les relations entre États sans qu’il soit besoin de modifier les conventions fiscales bilatérales existantes.

Ce tournant décisif dans la coopération fiscale internationale a été imaginé pour gagner un temps précieux en matière de lutte contre les pratiques d’évasion fiscale des entreprises qui cherchent à réduire, voire à annuler leurs impôts en tirant avantage des conventions fiscales bilatérales.

La ratification de la convention multilatérale s’inscrit donc pleinement dans les objectifs portés par le Président de la République et par le Gouvernement en matière de lutte contre la fraude fiscale.

La convention multilatérale permettra de traduire dans nos relations avec nos partenaires les avancées du projet mené par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit « projet BEPS », pour Base Erosion and Profit Shifting. Elle parera ou rendra plus difficile l’évasion fiscale pratiquée par certaines entreprises qui cherchent à réduire leur impôt dû en France en transférant leurs bénéfices dans des États ou territoires à fiscalité plus faible, voire nulle.

Comme vous le savez, le projet BEPS a été amorcé par le G20, notamment sur l’initiative de la France, dans un contexte de mobilité croissante des activités économiques, à l’occasion du sommet de Los Cabos de 2012. Il a conduit l’OCDE à élaborer un ensemble de mesures structurées autour de quinze actions.

Ces mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales nécessitent, pour une partie d’entre elles, de modifier les conventions fiscales bilatérales.

Très novatrice, cette convention multilatérale permettra de mettre à jour les 1 100 conventions fiscales conclues entre ses signataires sans nécessiter l’ouverture de longues négociations bilatérales. De telles négociations auraient constitué un chantier à l’issue incertaine et susceptible de durer plusieurs années pour les États concernés. La France, du fait d’un réseau conventionnel très étendu, devait modifier l’ensemble de ses 121 conventions fiscales bilatérales.

Les dispositions de la convention multilatérale visent principalement à s’assurer que les bénéfices sont imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les engendrent, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales et le contournement artificiel du statut d’établissement stable tout en améliorant les modalités de règlement des différends entre États en cas de double imposition.

À cet effet, la convention multilatérale contient tout d’abord des mesures obligatoires pour les États signataires, à savoir les standards minimums.

D’une part, ces standards minimums visent à modifier le préambule des conventions fiscales et à insérer une clause anti-abus de portée générale permettant de refuser le bénéfice de la convention en présence de montages dont le principal objet est l’obtention des avantages fiscaux prévus par les conventions bilatérales.

D’autre part, ces normes minimales visent à moderniser la procédure de règlement des différends pour résoudre les cas de double imposition. Il s’agit de dispositions protectrices pour les entreprises et les acteurs économiques.

À titre d’exemple, la règle anti-abus du critère des objets principaux de la convention multilatérale permettra de refuser un avantage conféré par une convention fiscale lorsque l’un des principaux objets d’un montage ou d’une transaction est l’octroi d’un avantage prévu par la convention. Le but est de contrer les opérations sans réalité économique et motivées par le bénéfice d’un avantage fiscal.

Par ailleurs, afin d’associer le maximum d’États tout en s’assurant d’une large application de certaines dispositions anti-abus, la convention multilatérale contient d’autres stipulations qui sont optionnelles et dont les parties peuvent faire usage selon leur politique conventionnelle.

Le Gouvernement a fait le choix de ne retenir les stipulations optionnelles que dans la mesure où elles renforcent les dispositifs de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales et où elles correspondent à la pratique conventionnelle de la France. En conséquence, les options qui n’étaient pas considérées comme essentielles pour remédier à l’évasion fiscale ou dont les effets étaient trop incertains, notamment pour nos entreprises, n’ont pas été retenues.

Plusieurs stipulations optionnelles constituent de réelles avancées. Certaines d’entre elles sont destinées à empêcher les pratiques de contournement artificiel du statut d’établissement stable ayant pour objectif de ne pas être assujetti à l’impôt sur les sociétés au titre d’une activité conduite sur un territoire donné. D’autres dispositions concernent l’insertion d’une clause sur l’arbitrage interétatique dont l’objet est de résoudre les conflits de double imposition dans le cadre des conventions fiscales.

Ainsi, la convention multilatérale permettra de déjouer les schémas dits « de commissionnaire », qui consistent à localiser artificiellement à l’étranger des activités commerciales pour ne pas payer l’impôt sur les sociétés lié à une activité conduite sur un territoire donné.

Avant les modifications proposées, échappait à la détermination d’établissement stable en France l’activité d’une entreprise française agissant pour le compte d’une entreprise étrangère et engageant, dans les faits, cette entreprise dans une relation commerciale avec des clients français, au seul motif que les contrats étaient in fine signés par la société étrangère.

Vous le savez, de tels schémas s’observent notamment dans le secteur du numérique.

La France a également choisi l’option consistant à empêcher que les entreprises ne contournent la définition d’un établissement stable en cas de fractionnement des contrats. Là encore, il s’agit de mieux faire coïncider le droit et la réalité économique quant à l’activité d’une entreprise sur un territoire.

Lors de la signature de la convention multilatérale, la France a communiqué la liste des conventions fiscales bilatérales qu’elle souhaite couvrir, lesquelles sont au nombre de 88. Elles correspondent aux États ayant participé aux travaux d’élaboration de la convention multilatérale qui ont conclu avec la France une convention fiscale.

Au 22 mars 2018, date de la dernière mise à jour effectuée par l’OCDE, 78 États et territoires étaient signataires de l’accord. Parmi ces parties, l’Autriche, l’île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie ont d’ores et déjà achevé le processus de ratification de la convention multilatérale et constitué le socle minimal d’États signataires.

Pour ces États, la convention multilatérale entrera donc en vigueur le 1er juillet 2018. Pour la France, comme pour chaque autre État signataire, elle entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois calendaires à compter de la date de dépôt de son instrument de ratification.

Le Gouvernement est pleinement conscient du caractère novateur de cet instrument, qu’il s’agisse de ses relations avec le Parlement ou des relations de l’administration fiscale avec les contribuables. C’est pourquoi il s’engage à informer le Parlement chaque année des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l’égard de nos conventions fiscales bilatérales dans le rapport annuel relatif au réseau conventionnel annexé au projet de loi de finances.

Par ailleurs, l’administration assurera la lisibilité des conventions fiscales bilatérales affectées par la convention multilatérale via la publication de versions consolidées qui permettront d’assurer la bonne information des usagers. Elle garantira de surcroît, comme c’est le cas aujourd’hui, la sécurité juridique des opérateurs économiques par la production de rescrits.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales observations qu’appelle la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.

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