Séance en hémicycle du 19 avril 2018 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • bilatérale
  • multilatérale
  • numérique
  • personnelles
  • stable

Sommaire

La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi (349) ratifiant l’ordonnance du 9 août 2017 portant transposition de la directive du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Paris le 16 juin 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (projet n° 468 [2016-2017], texte de la commission n° 414, rapport n° 413).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté.

Est autorisée la ratification de la convention n° 184 de l’Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l’agriculture, adoptée à Genève le 21 juin 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l’Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l’agriculture (projet n° 597 [2016-2017], texte de la commission n° 416, rapport n° 415).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant l’amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane, signé à Paris le 22 mars 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant l’amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane (projet n° 303, texte de la commission n° 418, rapport n° 417).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté définitivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (projet n° 227, texte de la commission n° 411, rapport n° 410).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Delphine Gény-Stephann

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd’hui la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Signée le 7 juin 2017 par la France et par soixante-sept autres États et territoires, cette convention constitue une innovation majeure en matière de fiscalité internationale en ce qu’elle s’imposera dans les relations entre États sans qu’il soit besoin de modifier les conventions fiscales bilatérales existantes.

Ce tournant décisif dans la coopération fiscale internationale a été imaginé pour gagner un temps précieux en matière de lutte contre les pratiques d’évasion fiscale des entreprises qui cherchent à réduire, voire à annuler leurs impôts en tirant avantage des conventions fiscales bilatérales.

La ratification de la convention multilatérale s’inscrit donc pleinement dans les objectifs portés par le Président de la République et par le Gouvernement en matière de lutte contre la fraude fiscale.

La convention multilatérale permettra de traduire dans nos relations avec nos partenaires les avancées du projet mené par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit « projet BEPS », pour Base Erosion and Profit Shifting. Elle parera ou rendra plus difficile l’évasion fiscale pratiquée par certaines entreprises qui cherchent à réduire leur impôt dû en France en transférant leurs bénéfices dans des États ou territoires à fiscalité plus faible, voire nulle.

Comme vous le savez, le projet BEPS a été amorcé par le G20, notamment sur l’initiative de la France, dans un contexte de mobilité croissante des activités économiques, à l’occasion du sommet de Los Cabos de 2012. Il a conduit l’OCDE à élaborer un ensemble de mesures structurées autour de quinze actions.

Ces mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales nécessitent, pour une partie d’entre elles, de modifier les conventions fiscales bilatérales.

Très novatrice, cette convention multilatérale permettra de mettre à jour les 1 100 conventions fiscales conclues entre ses signataires sans nécessiter l’ouverture de longues négociations bilatérales. De telles négociations auraient constitué un chantier à l’issue incertaine et susceptible de durer plusieurs années pour les États concernés. La France, du fait d’un réseau conventionnel très étendu, devait modifier l’ensemble de ses 121 conventions fiscales bilatérales.

Les dispositions de la convention multilatérale visent principalement à s’assurer que les bénéfices sont imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les engendrent, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales et le contournement artificiel du statut d’établissement stable tout en améliorant les modalités de règlement des différends entre États en cas de double imposition.

À cet effet, la convention multilatérale contient tout d’abord des mesures obligatoires pour les États signataires, à savoir les standards minimums.

D’une part, ces standards minimums visent à modifier le préambule des conventions fiscales et à insérer une clause anti-abus de portée générale permettant de refuser le bénéfice de la convention en présence de montages dont le principal objet est l’obtention des avantages fiscaux prévus par les conventions bilatérales.

D’autre part, ces normes minimales visent à moderniser la procédure de règlement des différends pour résoudre les cas de double imposition. Il s’agit de dispositions protectrices pour les entreprises et les acteurs économiques.

À titre d’exemple, la règle anti-abus du critère des objets principaux de la convention multilatérale permettra de refuser un avantage conféré par une convention fiscale lorsque l’un des principaux objets d’un montage ou d’une transaction est l’octroi d’un avantage prévu par la convention. Le but est de contrer les opérations sans réalité économique et motivées par le bénéfice d’un avantage fiscal.

Par ailleurs, afin d’associer le maximum d’États tout en s’assurant d’une large application de certaines dispositions anti-abus, la convention multilatérale contient d’autres stipulations qui sont optionnelles et dont les parties peuvent faire usage selon leur politique conventionnelle.

Le Gouvernement a fait le choix de ne retenir les stipulations optionnelles que dans la mesure où elles renforcent les dispositifs de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales et où elles correspondent à la pratique conventionnelle de la France. En conséquence, les options qui n’étaient pas considérées comme essentielles pour remédier à l’évasion fiscale ou dont les effets étaient trop incertains, notamment pour nos entreprises, n’ont pas été retenues.

Plusieurs stipulations optionnelles constituent de réelles avancées. Certaines d’entre elles sont destinées à empêcher les pratiques de contournement artificiel du statut d’établissement stable ayant pour objectif de ne pas être assujetti à l’impôt sur les sociétés au titre d’une activité conduite sur un territoire donné. D’autres dispositions concernent l’insertion d’une clause sur l’arbitrage interétatique dont l’objet est de résoudre les conflits de double imposition dans le cadre des conventions fiscales.

Ainsi, la convention multilatérale permettra de déjouer les schémas dits « de commissionnaire », qui consistent à localiser artificiellement à l’étranger des activités commerciales pour ne pas payer l’impôt sur les sociétés lié à une activité conduite sur un territoire donné.

Avant les modifications proposées, échappait à la détermination d’établissement stable en France l’activité d’une entreprise française agissant pour le compte d’une entreprise étrangère et engageant, dans les faits, cette entreprise dans une relation commerciale avec des clients français, au seul motif que les contrats étaient in fine signés par la société étrangère.

Vous le savez, de tels schémas s’observent notamment dans le secteur du numérique.

La France a également choisi l’option consistant à empêcher que les entreprises ne contournent la définition d’un établissement stable en cas de fractionnement des contrats. Là encore, il s’agit de mieux faire coïncider le droit et la réalité économique quant à l’activité d’une entreprise sur un territoire.

Lors de la signature de la convention multilatérale, la France a communiqué la liste des conventions fiscales bilatérales qu’elle souhaite couvrir, lesquelles sont au nombre de 88. Elles correspondent aux États ayant participé aux travaux d’élaboration de la convention multilatérale qui ont conclu avec la France une convention fiscale.

Au 22 mars 2018, date de la dernière mise à jour effectuée par l’OCDE, 78 États et territoires étaient signataires de l’accord. Parmi ces parties, l’Autriche, l’île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie ont d’ores et déjà achevé le processus de ratification de la convention multilatérale et constitué le socle minimal d’États signataires.

Pour ces États, la convention multilatérale entrera donc en vigueur le 1er juillet 2018. Pour la France, comme pour chaque autre État signataire, elle entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois calendaires à compter de la date de dépôt de son instrument de ratification.

Le Gouvernement est pleinement conscient du caractère novateur de cet instrument, qu’il s’agisse de ses relations avec le Parlement ou des relations de l’administration fiscale avec les contribuables. C’est pourquoi il s’engage à informer le Parlement chaque année des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l’égard de nos conventions fiscales bilatérales dans le rapport annuel relatif au réseau conventionnel annexé au projet de loi de finances.

Par ailleurs, l’administration assurera la lisibilité des conventions fiscales bilatérales affectées par la convention multilatérale via la publication de versions consolidées qui permettront d’assurer la bonne information des usagers. Elle garantira de surcroît, comme c’est le cas aujourd’hui, la sécurité juridique des opérateurs économiques par la production de rescrits.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales observations qu’appelle la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui autorise la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Cette convention a été signée à Paris le 7 juin 2017 et réunit en tout 78 États. Résultant d’un travail conduit par l’OCDE, elle vise à intégrer certaines recommandations du projet communément connu sous le nom de BEPS, relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices.

Madame la secrétaire d’État, vous l’avez dit à l’instant : cette convention a déjà été ratifiée par cinq États, et elle devrait entrer en vigueur au 1er juillet 2018.

Engagé par le G20, qui en a endossé les recommandations, le projet BEPS vise utilement à actualiser les règles du système fiscal international en supprimant, en quelque sorte, les interstices laissés aux acteurs par la législation et exploités par certains d’entre eux pour réduire leur niveau d’imposition.

Il convient toutefois de noter que ce texte ne traite pas la question de la fiscalité du secteur de l’économie numérique, dont nous serons appelés à débattre prochainement. Seule la remise d’un rapport est, en effet, prévue sur ce sujet. L’OCDE mène certes des travaux à ce titre, mais leurs premiers résultats ne sont pas attendus avant 2020.

C’est sans doute ce vide observé dans la réglementation internationale qui a conduit la Commission européenne, sous l’impulsion notamment de la France, à présenter deux projets de directive à propos desquelles j’ai déposé une proposition de résolution européenne hier, au nom la commission des finances du Sénat.

La convention multilatérale doit permettre la mise en œuvre effective de quatre actions du « paquet BEPS » qui nécessitaient une modification des conventions bilatérales régissant les relations entre deux États.

Pour être souvent appelés à ratifier, ici même, des conventions fiscales – nous en traitons, en moyenne, six ou sept par an –, nous savons que tirer les conséquences de BEPS dans le réseau conventionnel selon la méthode traditionnelle de négociation, pays par pays, convention par convention, aurait nécessité plusieurs années, voire plusieurs décennies. Pendant ce temps, la lutte contre les phénomènes d’évitement de l’impôt s’en serait sans doute trouvée fragilisée.

Cet instrument multilatéral, dont nous allons autoriser la ratification, répond à cette difficulté, notamment en offrant aux États un moyen d’intégrer d’un coup les recommandations du « paquet BEPS » ayant un impact sur leur réseau conventionnel.

Pour autant – c’est là que l’architecture est assez nouvelle - cet instrument ne se substitue pas aux conventions fiscales bilatérales : en quelque sorte, il se superpose à elles, lorsque les États l’ont conjointement décidé. Ce n’est donc qu’un outil que les parties peuvent utiliser, même de manière partielle – elles conservent, à cet égard, une certaine liberté conventionnelle.

Pour qu’une disposition d’une convention fiscale soit modifiée, trois conditions doivent être réunies : premièrement, qu’elle ait été notifiée par les deux parties comme entrant dans le champ de l’instrument multilatéral ; deuxièmement, que la disposition de cette convention ait été effectivement visée par les deux parties ; troisièmement, que les réserves ou options formulées par les deux parties sur cette disposition correspondent.

La spécificité de cette convention multilatérale tient au nombre de réserves et d’options qu’elle prévoit. Mais là est peut-être le prix à payer pour obtenir l’accord du plus grand nombre… Seuls trois des trente-neuf articles relèvent de normes minimales ne pouvant faire l’objet de réserves. D’ailleurs, parmi les États cités par Mme la secrétaire d’État qui ont ratifié ce texte, plusieurs, j’imagine, ont émis de nombreuses réserves.

Ces trois articles mis à part, les réserves sont possibles, de même que des options sont prévues dans certains articles. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une convention « à la carte ». Cette convention multilatérale prolonge donc la conception bilatérale des relations fiscales et s’inscrit dans les stratégies fiscales mises en œuvre par les États.

De ces caractéristiques découle le fait que la convention multilatérale est à la fois totalement inédite dans sa forme et complexe dans ses implications concrètes.

Ce constat me conduit également à attirer votre attention sur deux points de vigilance quant à la mise en œuvre de la convention.

Le premier point de vigilance porte sur le fait que les conséquences concrètes de la convention multilatérale, y compris pour chacune des conventions fiscales bilatérales existantes, restent encore incertaines, compte tenu de la grande flexibilité qu’offre l’instrument multilatéral. Sa portée réelle est en effet susceptible d’évoluer, y compris sous l’effet des réserves et options formulées tant par la France que par ses partenaires conventionnels.

Ainsi, sur les 88 conventions fiscales notifiées par la France, une cinquantaine seulement seraient, en l’état des signatures, effectivement modifiées. Ces modifications seraient, en outre, d’une ampleur très variable et susceptibles d’évoluer.

En résulte une double difficulté : tout d’abord, pour les acteurs économiques, pour connaître précisément les dispositions conventionnelles que les administrations fiscales seraient susceptibles de retenir ; ensuite, pour le Parlement, qui autorise la ratification d’un instrument dont l’impact peut encore largement évoluer.

Le second point de vigilance a trait au risque d’une conception initiale trop large de la convention multilatérale.

Les choix prénotifiés par la France lors de la signature de la convention multilatérale, qu’il s’agisse des réserves, des options ou des notifications, traduisent la conception très large de la convention retenue par notre pays.

La France se distingue particulièrement à propos des articles relatifs aux établissements stables, sujet des plus complexes, mais sur lequel elle n’a formulé aucune réserve.

Cette partie de la convention modifie le seuil de qualification d’un établissement stable. Cependant, les conséquences qui en seront tirées pour l’attribution de profits aux nouveaux établissements stables ainsi qualifiés demeurent en négociation à l’OCDE, faute d’accord entre États.

Or il s’agit d’un élément essentiel dans la répartition du pouvoir d’imposition entre États, pouvoir ô combien important, et qui concerne des cas très concrets. Je songe notamment au fractionnement des contrats par lots retenu dans des opérations de chantiers à l’étranger.

Vous le savez, peu de pays comparables à la France ont activé ces articles. Dès lors, on aboutirait à une asymétrie dans l’utilisation de leurs dispositions.

Il importe donc de rester vigilant, compte tenu des conséquences lourdes que pourrait entraîner l’absence de réserve sur la qualification de l’établissement stable, tant pour les entreprises françaises, qui pourraient ainsi être exposées à une utilisation accrue de ces dispositions dans les pays où elles opèrent, que pour la France, qui pourrait voir ses recettes plus ou moins réduites.

Il convient d’être d’autant plus prudent quant aux choix opérés lors du dépôt de l’instrument de ratification qu’un effet de cliquet est prévu : il faut bien le comprendre, une fois définitives, les réserves ne peuvent plus être modifiées que dans un sens moins restrictif.

Mes chers collègues, dans ces conditions, que pouvaient préconiser la commission des finances et votre rapporteur ?

Pour ce qui concerne les conventions fiscales, c’est – on peut le déplorer – un choix binaire qui s’impose à nous : autoriser ou refuser leur ratification. Les termes de l’alternative sont donc simples.

Compte tenu des nombreuses avancées dans la lutte contre l’évitement de l’impôt que permet le « paquet BEPS », je vous propose évidemment d’autoriser la ratification de cette convention, qui en assure la mise en œuvre.

Néanmoins, étant donné les questions qui se posent – j’en ai soulevé quelques-unes –, j’invite le Gouvernement à s’engager sur trois sujets au moins.

En premier lieu, je pense à l’absence de consensus, à l’heure d’autoriser la ratification de la convention multilatérale, quant aux conséquences susceptibles d’être tirées des nouveaux critères de qualification d’un établissement stable. À mes yeux, nous devons faire preuve de prudence à propos des articles en question.

Madame la secrétaire d’État, ne considérez-vous pas qu’à ce stade il existe un risque de se lier définitivement les mains sur ce sujet ?

Cette prudence est inspirée par le fait que d’autres États n’ont pas fait les mêmes choix que la France. À mon sens, notre pays doit utiliser la flexibilité offerte par la convention multilatérale pour privilégier une démarche, certes volontariste, mais aussi progressive et nuancée.

En deuxième lieu, la sécurité juridique pour les acteurs économiques doit être assurée.

Concrètement, la question est la suivante : de quel niveau d’information disposeront les acteurs économiques ?

Le Gouvernement a annoncé que deux documents d’information seraient publiés : d’une part, une fiche présentant les effets de la convention multilatérale sur chaque convention fiscale bilatérale ; d’autre part, une version consolidée permettant la lecture en un document unique des dispositions résultant de l’articulation des deux conventions.

J’insiste sur ce point : les conventions bilatérales subsisteront, et l’instrument multilatéral s’y superposera. Les acteurs économiques doivent donc savoir clairement quel est le droit applicable et être prévenus d’éventuelles contradictions entre les textes.

On nous annonce une consolidation. Elle est sans doute bienvenue. Mais, à ce stade, et de manière très étrange, l’administration, que nous avons interrogée, considère apparemment que ces documents ne lui seraient pas opposables. Dans le même temps, on nous a fait savoir que diverses instructions fiscales seraient, elles, opposables…

M. Richard Yung manifeste son incompréhension.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

On aboutirait à un ensemble assez difficile à comprendre : une fiche pays par pays quant aux effets de l’instrument multilatéral et une version consolidée, dont on peut bel et bien se réjouir, qui permettrait une lecture unique des deux textes, mais, en même temps, nous dit-on, qui ne serait pas opposable à l’administration.

Sans doute la doctrine permettra-t-elle d’éclaircir la situation.

Certes, l’OCDE n’impose pas de publier une version consolidée ; mais il est assez paradoxal de mener à bien ce travail, puis de considérer que le document élaboré n’est pas opposable à l’administration.

Mme la secrétaire d’État pourra peut-être nous éclairer sur ce point : pourquoi procéder à la consolidation sans consacrer la valeur juridique de cette version ? Prenons garde : en pareil cas, on risque fort d’ouvrir la voie à de nombreux contentieux, les entreprises ne sachant pas nécessairement quel est le droit applicable. Soyons très vigilants sur ce point.

En troisième et dernier lieu, il importe d’assurer une bonne information du Parlement. En effet, cet instrument inédit est susceptible d’avoir des effets multiples et variables en fonction des options et des réserves qui seront effectivement retenues, non seulement par la France, mais aussi par ses partenaires.

Pour l’heure, nous devons nous prononcer alors que la portée réelle de ces dispositions nous échappe en partie aujourd’hui.

Si, dans l’étude d’impact annexée au projet de loi, le Gouvernement indique qu’il procédera à cette information, il vise un rapport annexé au projet de loi de finances initial qui n’est plus remis depuis 2014… C’est un peu léger !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Madame la secrétaire d’État, vous engagez-vous à remettre effectivement ce rapport à l’occasion des prochains projets de loi de finances, et à le compléter ?

J’aurais pu déposer un amendement tendant à garantir, en la matière, une meilleure information du Parlement par le Gouvernement ; la ratification n’aurait pas été mise en cause pour autant. Mais, si vous vous engagez à publier le rapport en question, un tel ajout ne sera pas nécessaire. J’attends votre engagement sur ce point.

Mes chers collègues, à ce titre, trois éléments d’information nous paraissent indispensables : premièrement, un état des réserves, options et notifications formulées par la France ; deuxièmement, un état des conventions fiscales bilatérales couvertes ; troisièmement, un état des dispositions des conventions fiscales bilatérales effectivement modifiées en fonction des réserves, options et notifications formulées par les partenaires conventionnels de la France.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nos concitoyens – chacun le sait ici – sont attentifs et très concernés par ce qui touche à l’évasion et l’optimisation fiscales agressives. Le sujet dont nous débattons se trouve donc au cœur des préoccupations et des attentes citoyennes.

Après un examen en commission des finances, nous sommes réunis ce matin pour débattre du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales entre pays dans le but de prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Ce texte, technique au fond, est au croisement de deux sujets d’actualité marquants, sur lesquels il me semble nécessaire de revenir avant d’aborder le cœur du sujet.

C’est tout d’abord l’évolution de l’économie, qui se mondialise encore davantage sous l’influence de la numérisation de nos sociétés. La progression de cette tendance sur une dizaine d’années est impressionnante.

Récemment, Marck Zuckerberg, créateur et président-directeur général de Facebook, en a été l’illustration, comme on l’a vu à l’occasion de son audition par le Parlement américain dans le cadre du scandale Cambridge Analytica.

Si cela peut sembler, de prime abord, un peu loin du sujet, je crois au contraire qu’il s’agit du fondement même de la problématique. Ce scandale récent concerne 87 millions d’utilisateurs de ce réseau social à travers le monde, dont 200 000 Françaises et Français.

En second lieu, une autre donnée chiffrée est intéressante : la société Facebook revendiquait, à la fin de l’année dernière, 2, 13 milliards de comptes utilisateurs actifs. Or, chacun a en mémoire le débat créé par la localisation fiscale des activités de cette entreprise.

Si j’évoque cela, mes chers collègues, c’est pour mettre en lumière brièvement, même si ce sujet mériterait des développements plus importants, le poids économique et sociétal des géants de l’internet, les « GAFA » – Google, Apple, Facebook, Amazon… –, dans le monde et dans nos économies en particulier. Leur émergence a considérablement renforcé la prégnance des firmes multinationales, ce qui a entraîné – d’aucuns s’accordent à le reconnaître – des pratiques de fraude et d’optimisation fiscales extrêmement agressives.

Je ne reviendrai pas sur l’absolue nécessité qu’il y a de lutter contre la fraude fiscale ; nous en sommes, j’en suis certain, toutes et tous intimement convaincus dans cet hémicycle.

Nous sommes cependant aujourd’hui dans une situation improbable, une sorte d’entre-deux. Des initiatives concrètes ont pu être élaborées pour réguler ces comportements. Je pense notamment à la taxe Google encore défendue récemment ici même, notamment par le groupe des sénateurs socialistes. Je pense aussi à la proposition de loi du groupe socialiste et républicain visant à la suppression du « verrou de Bercy », qui sera prochainement examinée par notre Haute Assemblée.

Les opinions publiques ont été choquées et ulcérées par la révélation des récents scandales de fraude fiscale révélés par les « Panama papers » et les « Paradise papers », qui ont défrayé, à juste raison, la chronique.

La réalité en la matière, même si cela est déplaisant, c’est que, malgré des avancées, nous sommes aujourd’hui loin du compte et qu’il nous faut encore progresser.

C’est dans ce contexte que nous examinons ce projet de loi de ratification, qui découle de l’initiative dite BEPS, portée par l’OCDE, dont l’action 15 est ainsi traduite en droit positif.

En quoi ce projet est-il opportun et bienvenu ? Il s’agit en premier lieu d’une question de méthode. Nous le savons, la lutte contre la fraude fiscale est un domaine dans lequel la coopération internationale peut être difficile et où les comportements opportunistes, égoïstes, de certains États sont une difficulté qu’il faut dépasser.

À cet égard, la perspective d’une convention multilatérale apparaît parfaitement intéressante.

Concrètement, la signature de cette convention multilatérale procédera à la modification d’un nombre important de conventions bilatérales. Cela nous épargnera une procédure classique, qui durerait, selon les estimations disponibles, au moins une vingtaine d’années, si du moins il fallait examiner séparément ces conventions. En ces temps d’engorgement de l’ordre du jour du Parlement, il s’agit d’un point qu’il convient de souligner.

S’agissant du fond, ce texte s’appliquera aux conventions conclues entre les parties signataires et modifiera le contenu et la portée de certaines stipulations des conventions bilatérales.

La convention contient des mesures obligatoires – des standards minimums – visant à modifier le préambule des conventions fiscales, à insérer une clause anti-abus de portée générale et à moderniser la procédure de règlement des différends.

Plus explicitement, ce texte permet de s’assurer que les bénéfices sont imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les engendrent et là où la valeur est créée, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales bilatérales. Il permettra l’évitement artificiel du statut d’établissement stable, tout en améliorant les règles fixant le cadre du règlement des différends en cas de double imposition.

Tout au plus, je ne peux que regretter qu’à ce stade les États-Unis refusent d’intégrer la démarche, confirmant de la sorte une forme d’unilatéralisme très contestable.

Le Gouvernement nous demande d’autoriser la ratification de cette convention multilatérale, sur laquelle la France souhaite, par ailleurs, exercer sur plusieurs points son droit de réserve afin de préserver ses intérêts légitimes.

Sur le fond je ne vois pas d’argument qui pourrait conduire à ne pas voter le présent projet de loi visant à autoriser le Gouvernement à ratifier cette convention, que le groupe socialiste et républicain juge nécessaire dans le contexte actuel, pour ne pas dire plus…

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions. – MM. Didier Rambaud, Richard Yung, Éric Gold et Jean-Claude Requier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est remarquable à plusieurs égards.

Sur la forme d’abord, cela a été dit, il constitue un outil juridique unique en droit international. C’est une sorte d’accélérateur juridique, qui vise à modifier d’un seul coup le réseau des conventions bilatérales. Sans s’y substituer, il se superpose aux conventions fiscales existantes, dont il modifiera les stipulations et l’interprétation.

À un moment où le multilatéralisme est partout remis en question, cet instrument flexible et inédit prouve une fois encore que le consensus est la meilleure façon de faire avancer un agenda d’intérêt commun. Le climat, le commerce, le numérique comme ici l’évitement fiscal international sont des enjeux globaux, qui nous imposent de revitaliser les mécanismes du multilatéralisme.

Sur le fond, cet instrument constitue une avancée majeure contre les phénomènes d’évitement de l’impôt, qui présentent un risque à la fois économique et démocratique pour nos pays. Je voudrais saluer ici le rôle d’un Français, Pascal Saint-Amans, qui au sein de l’OCDE a été la figure de proue du projet BEPS et l’un des principaux promoteurs de ce texte.

En faisant primer des normes communes sur les intérêts économiques des parties, cette convention bouleverse la logique des conventions fiscales bilatérales classiques. En mettant au premier plan les notions de transparence et de sécurité juridique, elle tente de mettre fin aux failles du droit, qui permettent, pour les États, le dumping et, pour les entreprises, l’évitement fiscal.

Ce changement de logique est le bienvenu. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires, attaché à la justice fiscale internationale, le soutient et votera en faveur de ce projet de loi de ratification.

Néanmoins, comme l’a fait avant moi le rapporteur général, je souhaiterais mettre l’accent sur plusieurs points de vigilance qui méritent, je crois, d’être soulevés.

Premièrement, je déplore que la question de la fiscalité du numérique ne soit pas ou soit peu abordée dans cette convention.

Les divergences entre les États sur la question de la taxation des géants du net ont empêché que le « paquet BEPS » ne contienne des propositions concrètes en la matière. L’action 1 du BEPS prévoit seulement la remise d’un rapport sur le sujet ; ce rapport a été publié le 16 mars dernier et se contente de présenter les différentes pistes possibles, tout en prenant acte de l’absence de consensus au niveau international.

Cette absence de consensus est extrêmement préoccupante. Elle signale que la communauté internationale est très loin de mettre en place un dispositif commun.

Comme en matière de protection des données, l’Union européenne devra donc, rapidement, adopter une position unie et forte afin de pouvoir faire entendre sa voix au niveau international. Elle doit aller plus loin que les expédients récemment trouvés : je veux parler de la taxe à 3 % sur le chiffre d’affaires des GAFA, qui doit être une solution transitoire. Il faut que l’Union soit maintenant plus ambitieuse et propose une refonte de la notion d’établissement stable, adaptée à l’économie numérique.

Deuxièmement, je m’inquiète des effets de cette convention sur les entreprises françaises petites et moyennes - les PME - et de taille intermédiaire – les ETI -, qui ont été peu associées à son élaboration. J’ai rencontré un certain nombre de dirigeants d’entreprises de taille intermédiaire, qui s’inquiètent notamment des dispositions relatives aux prix de transfert. Les ETI françaises ont déjà été frappées de plein fouet par la loi Sapin II, qui a abaissé fortement le seuil applicable pour la déclaration des prix de transfert. Ce fardeau normatif pèse à présent de la même manière sur les grands groupes que sur les PME internationalisées, qui ont des équipes et des moyens plus restreints pour y répondre.

J’appelle donc la France à faire, dans son interprétation des dispositions de la présente convention, une place au statut particulier des PME et ETI. J’appelle à l’avenir à ce que ce type d’entreprises soit plus souvent consulté lors de l’élaboration des conventions internationales, auxquelles elles sont soumises comme les grands groupes.

Pour conclure, cette convention est une grande avancée dans la lutte contre l’évitement fiscal et participe de la nécessaire revitalisation du multilatéralisme en la matière. Néanmoins, sa flexibilité, qui est une force en ce qu’elle a permis de fédérer une large coalition, ne doit pas se transformer en faiblesse.

Si cette convention se transforme en régime international mouvant, ou à la carte, si les États ne font pas de la sécurité juridique une priorité dans son application, si, enfin, elle devient un prétexte pour ne plus avancer sur le chemin de la transparence fiscale, alors, mes chers collègues, nous aurons échoué.

Cette convention n’est pas une fin en soi ; elle doit être la première pierre d’un régime fiscal international plus juste, plus équitable et plus coopératif.

M. Arnaud de Belenet applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Maryse Carrère, ainsi que MM. Emmanuel Capus et Didier Rambaud applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices a été adoptée à Paris le 24 novembre 2016. Elle a été signée par la France le 7 juin dernier. À ce jour, quelque soixante-douze pays l’ont signée, à l’exception notable des États-Unis.

Le projet de lutte contre l’érosion des bases d’imposition et le transfert des bénéfices – BEPS dans son acronyme anglais – a été initié lors du sommet du G20 de Los Cabos, au Mexique, en 2012. Il a ensuite été mené par l’OCDE. Ses conclusions ont été adoptées en 2015. L’enjeu principal est de lutter contre l’évasion fiscale et le transfert de profits dans les paradis fiscaux opérés par les grandes entreprises multinationales, singulièrement en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés.

De fait, les données disponibles sur le site du ministère des finances montrent que l’impôt sur les sociétés représente le premier poste d’évasion fiscale en France – entre 23 milliards et 32 milliards d’euros par an en fonction des estimations, soit presque la moitié du déficit budgétaire –, devant l’impôt sur le revenu et la TVA.

Toutefois, la portée de cette convention – peut-être justement à cause de son caractère très multilatéral – apparaît relativement limitée. Le projet BEPS comptait à l’origine quinze « actions ». La convention qu’il nous est proposé de ratifier n’en retient que quatre. En particulier, l’action concernant la fiscalité de l’économie numérique n’a pas été retenue, ce qui est dommage car ce secteur représente une source importante d’évasion de la base fiscale. Un rapport a été demandé à ce sujet ; nous aurons donc l’occasion d’en reparler.

Enfin, parmi les stipulations retenues, nombre d’entre elles sont dites optionnelles, ce qui laisse une certaine marge d’appréciation aux parties dans leur mise en œuvre.

J’en viens maintenant au contenu de la convention.

La première partie concerne le champ d’application. Les conventions fiscales antérieures concernées par ce texte sont définies comme étant l’ensemble des accords conclus entre deux ou plusieurs parties en vue d’éviter la double imposition et que chacune des parties souhaite voir couverts par cette convention. Ainsi, d’après l’étude d’impact, 88 conventions bilatérales conclues par la France sont concernées.

La deuxième partie a trait aux dispositifs « hybrides ».

La troisième partie concerne l’utilisation abusive des conventions fiscales ; il s’agit notamment d’éliminer la possibilité de non-imposition via des pratiques d’évasion ou de fraude fiscales, de limiter les prises de participation peu avant le versement de dividendes aux seules fins de bénéficier d’avantages conventionnels, d’imposer les plus-values de cession ou encore de préserver le droit d’une partie d’imposer ses propres résidents selon sa législation interne.

La quatrième partie aborde un point important de la convention multilatérale, puisqu’elle concerne le statut d’établissement stable. La notion d’établissement stable est centrale pour la détermination du pays en droit de récolter l’impôt sur les sociétés. Cette partie comporte différentes stipulations contre les pratiques des sociétés visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable, par exemple par des accords dits de commissionnaire, par le recours aux exceptions applicables à certaines activités ou encore par le fractionnement des contrats.

Les cinquième, sixième et septième parties concernent quant à elles l’amélioration du règlement des différends, les mécanismes d’arbitrage et les dispositions finales.

L’entrée en vigueur de l’accord multilatéral doit intervenir trois mois après que cinq pays au moins auront ratifié l’accord. Pour l’instant, trois l’ont fait ; compte tenu des informations disponibles, la France pourrait être le quatrième.

Le rapport de la commission des finances contient des points de vigilance quant aux conséquences de cette convention multilatérale sur les accords bilatéraux existants. Madame la secrétaire d’État, les conditions de ratification garantissent-elles la sécurité juridique des contribuables français ?

En conclusion, si le champ de cette convention apparaît restreint par rapport au projet BEPS et si son application par les États pourra être souple, elle n’en représente pas moins un progrès, en particulier pour des États du Sud, qui sont généralement peu ou mal protégés contre l’évasion fiscale. Il faut également saluer la participation à ce dispositif de micro-États ou de territoires traditionnellement considérés comme paradis fiscaux.

J’émettrai simplement deux réserves : le nombre important d’exceptions et la non-signature, à ce stade, des États-Unis – est-ce une volonté délibérée du Président Trump ? En tout cas, aucun tweet n’est sorti jusqu’à présent.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Malgré ces deux réserves, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera à l’unanimité en faveur de la ratification de cette convention.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Richard Yung et Olivier Cigolotti applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Rambaud

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à voter un article unique autorisant la ratification d’une convention.

Cette convention marque les progrès réalisés par la communauté internationale en matière de fiscalité des entreprises et de lutte contre les stratégies d’évitement de l’impôt. Ces stratégies se nourrissent du manque de coopération internationale et des différences entre les règles fiscales nationales et internationales, elles consistent à déplacer artificiellement la base taxable.

Évidemment, ces questions liées aux stratégies d’évitement se sont posées avec l’évolution de l’économie, qui s’est – comme chacun le sait – mondialisée.

L’enjeu de la coopération internationale en matière de fiscalité est bien de régler la contradiction entre une économie qui facilite la mobilité des marchandises, des services et des capitaux et un ensemble de juridictions fiscales segmentées qui, à partir d’un territoire délimité, cherchent à réguler, à capter les bénéfices, les produits définis par leurs règles fiscales.

Cette évolution remet en question les critères utilisés pour la répartition des compétences fiscales entre États. Elle remet aussi en question la validité des conventions fiscales bilatérales qui ont pour objectif d’éviter la double imposition d’un même bénéfice.

La question se pose dans un contexte où les groupes recherchent l’optimisation fiscale : la circulation des dividendes sans imposition, la récupération des pertes, la localisation des bénéfices là où il est le plus intéressant de le faire… Les moyens sont divers : la sous-capitalisation, qui consiste à prêter des fonds à sa filiale pour éviter la taxation de dividendes, ou encore le transfert de revenu compte à compte.

Les pertes de recettes imputables au phénomène d’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices sont estimées à un montant compris entre 100 milliards et 240 milliards de dollars par an, soit entre 4 % et 10 % des recettes de l’impôt sur le bénéfice des sociétés à l’échelle mondiale. Ce n’est ni acceptable pour nos finances publiques ni conforme à notre pacte social et au respect des principes républicains.

La règle doit être simple : les profits doivent être taxés là où se situe l’activité économique permettant leur réalisation et la création de valeur. Mais une fois cette règle énoncée, il convient de l’actualiser, puis de la transcrire juridiquement et politiquement. C’est ce à quoi s’est attachée l’OCDE.

La convention dont le présent projet de loi autorise la ratification reconnaît le travail de l’OCDE sur le dossier de l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises et des transferts de bénéfices. Ce travail doit beaucoup à l’impulsion politique du G20, dont les États représentent 85 % du PIB mondial et 75 % du commerce mondial – je le dis en particulier à ceux qui doutent du multilatéralisme actuel.

En 2015, le G20 a approuvé les rapports BEPS, issus du plan d’action de l’OCDE de 2013. À travers trois focus groups, l’OCDE s’est penchée sur les sujets centraux de fiscalité internationale : les règles de territorialité et la notion d’établissement stable, les retenues à la source, le concept de résidence, les prix de transfert ou encore les mesures anti-abus. Au final, ce sont quinze rapports, quinze actions élaborées par l’OCDE.

L’action 15 prévoit l’intégration de ces avancées au sein d’une convention multilatérale. La France prévoit, dans ce cadre, de notifier 88 conventions fiscales existantes.

Il ne vous aura pas échappé que les conséquences de la signature par la France de cet instrument se font déjà sentir : ainsi, une nouvelle convention avec le Luxembourg a été négociée. Elle reprend la définition large de l’établissement stable issue des travaux BEPS. En matière immobilière, elle modifie des règles qui donnaient des avantages injustifiés aux investisseurs luxembourgeois. En matière de double imposition, elle prévoit que les revenus d’un résident français imposable au Luxembourg sont imposés en France avec déduction du montant de l’impôt payé en France, mais sans exonération des profits reçus au Luxembourg – une mesure inédite par rapport au contenu traditionnel des conventions fiscales.

Enfin, des mesures anti-abus sont insérées, comme le refus d’octroi des avantages conventionnels, si l’octroi de tels avantages était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction.

Je crois que nous assistons à la fin d’un moment aberrant, où des conventions fiscales étaient utilisées en totale contradiction avec leur objet même : régir la situation fiscale des particuliers et des entreprises, qui ont le droit à une situation juridique claire et juste. C’est ce à quoi s’est engagé le Président de la République, il l’a rappelé dimanche dernier.

Mes chers collègues, la ratification de cette convention constitue une avancée majeure dans la réécriture du droit fiscal international, mais elle n’est qu’une étape dans un cadre complexe, divers et imbriqué.

Les mesures s’accélèrent au sein de l’Union européenne et tendent vers une harmonisation si longtemps espérée. Cette harmonisation demande des efforts à tous les États membres – y compris la France –, dont certaines règles sont spécifiques, notamment sur l’intégration fiscale.

Au niveau national, le projet de loi de lutte contre la fraude, qui sera débattu en première lecture ici au Sénat, sera l’occasion d’affirmer les principes du pacte républicain, en particulier l’idée que la « contribution commune […] doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Les sénateurs du groupe La République En Marche voteront le projet de loi autorisant la ratification de la convention de l’OCDE en débat aujourd’hui et soutiendront sans réserve la démarche du Gouvernement au niveau international, européen et national.

MM. Richard Yung et Arnaud de Belenet applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a des hasards du calendrier qui ne peuvent qu’interpeller : alors que nous examinons, en un temps pour le moins limité, la convention de l’OCDE destinée à lutter contre l’érosion fiscale et la dissimulation des bénéfices, nous sommes également réunis pour débattre d’une proposition de loi téléguidée sur le secret des affaires.

Une proposition de loi dont on peut se demander, au demeurant, si elle ne va pas transformer certains montages d’évasion fiscale en autant de secrets industriels… Avouez qu’il serait quand même quelque peu dommage que la « marque de fabrique » de quelques-unes de nos entreprises soit désormais d’échapper à l’impôt, sous quelque forme que ce soit !

Revenons-en, dans ces quelques minutes d’intervention, à l’essentiel, à savoir que le poids de l’opinion publique au niveau international est devenu suffisamment fort pour que, devant l’importance présumée ou réelle de la fraude et de l’évasion fiscales, il ne soit plus possible, même à l’OCDE, vecteur de la pensée économique libérale en actes, de ne pas se décider à agir.

Tout commence en 2008, si j’ose dire, avec cette crise financière qui a failli emporter l’ensemble des marchés boursiers internationaux et a occasionné une application à grande échelle de la règle dite de socialisation des pertes.

N’oublions pas tout de même, mes chers collègues, que d’aucuns, ici, ont voté en une journée, sans en connaître le contenu exact le matin, un collectif budgétaire comportant 400 milliards d’euros d’engagements financiers publics destinés, d’une part, à recapitaliser les banques en difficulté et, d’autre part, à mettre de l’huile dans les rouages grippés des marchés financiers !

Dans ce contexte, l’opinion publique – la véritable société civile – est devenue quelque peu exigeante à propos de l’utilisation des deniers publics en pareil cas.

Les efforts imposés depuis longtemps aux salariés, aux retraités, aux jeunes, au nom de la concurrence mondiale conduisent naturellement ceux-ci à exiger que ces efforts soient désormais portés par d’autres.

C’est donc l’opinion publique, mes chers collègues, qui a fini par imposer l’adoption de mesures afin de poursuivre la délinquance fiscale et financière, notamment dans notre pays.

Au point que nous allons bientôt nous pencher sur une proposition de loi mettant en question l’existence de la commission des infractions fiscales, mesure qui, au demeurant, aurait pu être prise bien plus tôt…

Pour l’heure, notre club de trente-cinq pays développés à économie libérale, l’OCDE, nous propose une convention modèle, qui risque fort de nous conduire à rectifier une partie de notre arsenal de coopération fiscale internationale.

Tirons parti de cette convention à visée multilatérale pour procéder à l’évaluation de certaines conventions passées depuis 2008. Madame la secrétaire d’État, je pense notamment, sans être exhaustif, à celles qui nous lient au Panama, au Qatar ou aux Bermudes.

Notons cependant que le document de l’organisation internationale est très largement optionnel et que, de fait, les conditions de la coopération sont plutôt souples.

L’ensemble de ces mesures et dispositifs met une fois encore en évidence que c’est du point de vue de l’impôt sur les sociétés, des revenus d’activité non salariée et de l’imposition des patrimoines que se situe l’essentiel de l’érosion des bases.

Cette convention de l’OCDE ne peut nous faire oublier qu’il nous faut réfléchir au devenir de notre propre système fiscal, au moment où certains pensent que les hausses de la contribution sociale généralisée, de la contribution climat-énergie et, peut-être, de la TVA peuvent aller de pair avec la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et la pérennisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et au moment où, sous l’impulsion des États-Unis, la guerre fiscale pour l’attractivité des territoires se rallume.

À notre sens, l’efficacité consisterait plutôt à rendre les dispositions fiscales universelles et à les construire de manière démocratique. C’est pourquoi nous vous avons proposé de promouvoir un projet de Conférence des parties au plan fiscal, sous l’égide de l’ONU, aux fins de préserver les conditions d’un développement durable et équilibré de l’ensemble des pays de la planète.

Voilà ce que nous voulions dire ce jour sur cette situation et sur cette convention. Nous voterons ce petit pas, conscients que le chemin sera encore bien long.

MM. Pierre Ouzoulias et Fabien Gay, ainsi que Mme Michelle Meunier applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Charles Guené, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à autoriser la ratification d’une convention financière signée par 67 pays le 7 juin 2017 et rassemblant aujourd’hui 78 États.

Le champ de cette convention multilatérale couvre, de manière inédite, celui de plusieurs conventions fiscales bilatérales, qu’il aurait été trop long de modifier une par une.

Cette convention permet une mise en œuvre effective de quatre actions contenues dans le « paquet BEPS » visant à prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices des entreprises vers des pays à fiscalité plus avantageuse.

Le reporting pays par pays est un exemple des actions recommandées par le « paquet BEPS », que nous avons déjà intégrées dans notre législation.

Le but principal du projet BEPS est d’imposer les bénéfices là où les activités qui les ont engendrés ont été effectuées.

Un cadre inclusif permet aux autres pays et juridictions intéressés de développer des standards liés aux problématiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices, et assure le suivi et l’examen de la mise en œuvre de l’intégralité des mesures issues du projet BEPS.

Dans la perspective de la mise en œuvre de ce projet, cette convention multilatérale ne constitue qu’une étape. Il s’agit néanmoins d’une réelle avancée.

Pour autant, les normes qu’elle prévoit de mettre en œuvre ne sont pas toutes obligatoires et la plupart sont optionnelles. Celles-ci peuvent aussi faire l’objet de réserves. Une grande souplesse d’application est donc laissée aux États souverains.

Notre commission des finances a émis quelques réserves que le groupe Les Républicains partage entièrement, notamment quant au choix assez isolé de la France de mettre en œuvre la plupart des normes optionnelles et d’appliquer très peu de réserves.

Concrètement, trois des articles facultatifs retenus par la France à ce stade permettent de taxer plus facilement l’activité des entités locales des multinationales.

Il sera ainsi plus facile pour les administrations fiscales nationales de redéfinir les « commissionnaires », lesquels préparent des contrats locaux pour une entreprise étrangère, en « établissement stable ». Cela étant, lorsqu’une filiale se voit qualifiée ainsi, les bénéfices qu’elle fait remonter vers le siège de la société mère peuvent être taxés localement.

Or je rappelle que la France est le quatrième pays de résidence des multinationales au monde et le premier en Europe. Comme la règle veut qu’un même profit ne soit jamais ponctionné deux fois par deux pays différents, la France se priverait ainsi de futures recettes fiscales, notamment d’impôt sur les sociétés, au bénéfice notamment des pays en développement.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Par exemple, les groupes français du secteur du BTP ne pourront plus fractionner entre différentes filiales leurs grands chantiers à l’étranger afin d’éviter de payer des impôts localement. Existe donc, pour notre pays, le risque d’une érosion des recettes d’impôt sur les sociétés, lié à la ratification de cette convention.

Par ailleurs, cette convention présente certaines limites, notamment au regard de la nécessaire contribution de l’économie numérique au paiement de l’impôt. Est-il toutefois encore cohérent de limiter le champ de la convention à ce seul type d’économie, alors que c’est toute l’économie qui glisse progressivement vers le numérique ?

Aussi semble-t-il pour le moins incongru – même si le mot est fort – qu’à cet instant cette problématique, qui va notamment remettre en cause de manière globale la notion d’établissement stable, ne soit pas incluse et traitée par le « paquet BEPS ». Ce sujet n’est abordé que dans son action 1, qui prévoit la simple remise d’un rapport. Cela paraît très insuffisant.

Ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique devrait nous interpeller, tout comme la manière dont s’interrogent les Chinois à cet égard. Il sera en effet difficile de ne pas se placer sur le terrain du « marché de consommation », notion qui pourrait demain supplanter le critère d’établissement stable, lequel critère a accompagné plusieurs générations de fiscalistes, dont la mienne. C’est sur l’évaluation de cette notion que nous devrions désormais nous pencher pour anticiper l’avenir et définir une position intellectuellement comme économiquement soutenable.

Pour autant, au-delà des réserves que nous avons formulées, le texte ne pose pas de réelles difficultés en tant qu’étape du processus. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur du présent projet de loi de ratification.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme la présidente d’avoir accepté de décaler mon intervention pour me permettre de participer, au sein du bureau du Sénat, à l’élection du président-directeur général de Public Sénat.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je suis heureux de vous présenter aujourd’hui la position du groupe Union Centriste sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

L’exercice ne pose pas de difficulté particulière. Il s’agit ici de ratifier la convention signée à Paris le 7 juin 2017, qui vise à intégrer certaines dispositions du projet BEPS. Conduit par l’OCDE sur l’initiative du G20, ce projet vise à moderniser le système fiscal international, afin de limiter substantiellement les marges dont disposent certains acteurs pour réduire artificiellement leur niveau d’imposition.

À ce jour, soixante-dix-huit États ont signé cette convention et cinq l’ont d’ores et déjà ratifiée. Son entrée en vigueur est prévue le 1er juillet 2018.

Deux points sont à souligner en particulier.

En premier lieu, il faut évoquer l’outil inédit mis en place par cette convention. Il s’agit d’une réelle avancée pour le droit fiscal international, puisqu’il permet de procéder à la modification des conventions fiscales, sans toutefois s’y substituer, tout en préservant la souveraineté des États.

En second lieu, il convient de saluer la flexibilité du texte avec la possibilité, pour chaque juridiction, d’adapter la convention multilatérale suivant ses aspirations ou sa réglementation interne.

Ainsi, seuls trois des trente-neuf articles relèvent de la norme minimale, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas faire l’objet de réserves. Le reste du texte est « à la carte ». Et dans cette liberté qui est offerte, il semblerait que la France fasse les bons choix. D’une part, parce que le Gouvernement a dressé une liste de quatre-vingt-huit conventions fiscales que la France entend couvrir par l’instrument multilatéral. D’autre part, parce que a été choisie une large interprétation du texte, avec très peu de réserves formulées.

Toutefois, au rang des regrets, et s’il n’en est qu’un qui doit être évoqué devant vous, madame la secrétaire d’État, c’est l’insuffisante information du Parlement, donc de la représentation nationale, au travers de laquelle est pourtant consenti l’impôt. Le rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, l’a très bien expliqué.

Dans le présent texte, nous assistons à un renversement de la coutume, le nombre d’options et de réserves possibles induisant une marge de manœuvre excessive de l’exécutif.

Le Parlement ne fait finalement qu’autoriser la ratification et n’a pas son mot à dire sur les modifications et évolutions actuelles comme ultérieures de la convention. Il serait pourtant légitime, dans un souci de démocratie et de transparence, d’améliorer et de renforcer son information. Ce serait là le strict minimum. Et ce minimum n’est pour l’heure pas respecté.

Ainsi, lorsque l’étude d’impact prévoit que « le Parlement sera informé de l’entrée en vigueur de la convention multilatérale relativement à chaque convention couverte en fonction des ratifications par les partenaires conventionnels de la France et de l’éventuelle évolution des réserves, options et notifications » et que « cela pourrait par exemple prendre la forme de développements insérés dans un document existant annexé au projet de loi de finances annuel », il est essentiel que ce devoir d’information soit rempli. Or ce n’est plus le cas depuis 2014.

Je terminerai mon intervention en me faisant le porte-parole de mon collègue Michel Canevet, afin d’alerter le Gouvernement sur la situation des Français dits « Américains accidentels ». Pour rappel, il s’agit de citoyens français, binationaux franco-américains dits « Américains par accident », parce qu’ils sont nés par hasard aux États-Unis.

En raison du droit du sol applicable aux États-Unis, ces concitoyens sont aujourd’hui directement touchés par l’application de l’accord franco-américain FATCA ou Foreign Account Tax Compliance Act, dont la loi autorisant l’approbation a été promulguée en septembre 2014. Ils sont ainsi de fait considérés comme des contribuables américains.

Or cette situation demeure extrêmement complexe, notamment pour leurs opérations bancaires et financières ou pour leurs successions. La convention présentée aujourd’hui n’évoque pas ces cas, certes particuliers, mais fâcheux.

Nous profitons donc de ce texte sur la fiscalité internationale – que le groupe Union Centriste adoptera – pour alerter le Gouvernement et lui demander de s’accorder avec son homologue américain afin d’éviter toutes ces contraintes imposées à nos concitoyens.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Delphine Gény-Stephann

Monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord pour vos interventions, vos commentaires et l’ensemble des points de vigilance sur lesquels vous m’avez alertée dans ce débat. Celui-ci, je le crois, a soulevé les bons problèmes et montre aussi qu’il existe sur ces travées un soutien fort à l’action de la France et l’action internationale dans la lutte contre la fraude fiscale, et je m’en réjouis.

Je voudrais revenir sur quatre sujets qui ont été évoqués à plusieurs reprises dans les interventions.

Le premier sujet concerne les options choisies par le Gouvernement en ce qui concerne les établissements stables, un thème central de cette convention.

Le Gouvernement a choisi une démarche cohérente qui consiste à retenir l’ensemble des options de la convention sur les établissements stables, puisque ces options répondent pleinement à l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale que nous cherchons à atteindre. Celles-ci sont directement issues du projet BEPS de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques et permettent la remise en cause des schémas d’optimisation.

Par ce choix, les entreprises étrangères ne pourront plus recourir au schéma dit « de commissionnaire » pour localiser artificiellement leurs activités commerciales à l’étranger et ne pas acquitter l’impôt sur les sociétés en France. Il s’agit d’une première réponse aux pratiques d’optimisation des acteurs de l’économie numérique. Je sais bien que ce n’est pas une réponse complète ou définitive. C’est pourquoi j’y reviendrai un peu plus tard.

Les options retenues par le Gouvernement à propos des établissements stables permettent également de lutter contre la fragmentation artificielle des fonctions des entreprises au sein de plusieurs entités, quand elles œuvrent sur un même chantier dans le but d’échapper à la reconnaissance d’un établissement stable. Cette option s’inscrit dans une démarche objective et cohérente d’anti-abus, afin d’éviter qu’un groupe international ne planifie son activité en France à travers plusieurs entités et échappe ainsi indûment à l’impôt.

J’ai bien entendu les craintes spécifiques que certains d’entre vous ont exprimées sur cette option : vous avez peur que certaines de nos entreprises ne soient imposées à l’étranger, alors qu’elles n’y ont pas d’établissement stable aujourd’hui.

Il faut toutefois rappeler qu’en vertu de certaines de nos conventions bilatérales, un établissement stable de chantier est aujourd’hui d’ores et déjà constaté lorsque la présence de l’entreprise à l’étranger est supérieure à six mois, voire trois mois pour certaines d’entre elles. Vous comprendrez donc bien que cette règle de fractionnement ne viendra pas changer l’état du droit pour les grands chantiers emblématiques qui, parce qu’ils durent plusieurs années, sont de toute façon déjà imposés dans l’État où ils sont localisés.

En outre, le fait de reconnaître un établissement stable ne conduira pas à attribuer l’ensemble des profits y afférent à l’État sur le territoire duquel le chantier est situé. Une répartition du profit sera réalisée en fonction de la valeur ajoutée créée sur place et en France. Une partie importante de ce profit restera donc taxable en France.

Par ailleurs, comme l’a affirmé l’OCDE, la nouvelle définition de l’établissement stable a d’abord une visée anti-abus et ne modifie ni les règles d’allocation des profits aux établissements stables ni la répartition des droits d’imposer hors montages abusifs. De ce fait, elle ne devrait pas se traduire par un transfert significatif de matière imposable.

La France n’est pas le seul pays développé à avoir retenu cette option sur la fragmentation des contrats : des États comme les Pays-Bas, l’Irlande, la Norvège, l’Australie, l’Argentine, Israël ou la Nouvelle-Zélande l’ont également fait. Je vous garantis que le Gouvernement sera tout particulièrement vigilant à ce que ces stipulations ne soient pas détournées par certains États pour s’adjuger, à notre détriment, une imposition plus importante que celle qui leur est due.

Le deuxième sujet a trait à la sécurité juridique des opérateurs. Comme je l’ai indiqué, le Gouvernement est parfaitement conscient de l’importance de garantir la sécurité juridique de nos opérateurs économiques. Notre souhait est de lever toute ambiguïté quant à l’interprétation qui devra être faite de l’articulation entre la convention multilatérale et les conventions fiscales bilatérales.

C’est pourquoi l’administration fiscale publiera des versions consolidées des conventions fiscales bilatérales qui intégreront les effets de la convention multilatérale. Ces versions consolidées garantiront l’intelligibilité de la norme et participeront à la bonne information des contribuables sur leurs obligations fiscales. En revanche, elles ne constituent pas formellement une interprétation de l’administration et ne sauraient par conséquent lui être opposables.

Permettez-moi de vous apporter une information complémentaire : dans le cadre de l’élaboration de ces conventions consolidées, l’administration fiscale va recenser les difficultés nécessitant une interprétation, qui feront l’objet d’une publication au BOFiP. Dans le cadre de ce travail de préparation de cette publication, une consultation en amont des acteurs économiques permettra non seulement d’identifier les questions qu’ils se posent, mais aussi de les couvrir par cette publication interprétative et donc opposable.

Par ailleurs, les réponses aux demandes de rescrit et, le cas échéant, les instructions fiscales commentant la convention multilatérale constitueront une garantie opposable à l’administration de nature à assurer la pleine sécurité juridique des opérateurs économiques.

Le troisième sujet porte sur l’importance de l’information du Parlement, compte tenu du caractère encore non définitif et évolutif de l’impact de la convention multilatérale. Le Gouvernement s’engage à informer chaque année le Parlement – je l’ai dit – des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l’égard des conventions fiscales. Cette information sera délivrée dans le rapport annuel portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances.

Je comprends tout à fait les remarques des uns et des autres sur le retard pris par le Gouvernement dans la remise de ces rapports : c’est pourquoi je m’engage à ce que ledit rapport soit bien remis chaque année. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que le retard accumulé dans la production de ce rapport annuel est en passe d’être rattrapé grâce à la remise imminente d’une version couvrant les années 2015 et 2016.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mieux vaut tard que jamais !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Delphine Gény-Stephann

Enfin, le quatrième sujet important concerne la fiscalité des géants du numérique. Comme cela a été dit, il existe des dispositions dans les articles de la convention multilatérale relatifs à l’établissement stable qui permettraient quelques avancées par rapport aux entreprises du secteur numérique, même si ces mesures ne règlent pas le problème dans son ensemble.

Le Gouvernement reste attaché à une solution de long terme qui s’appuiera sur les discussions en cours dans le cadre du BEPS à propos d’une conception élargie de l’établissement stable, discussions que nous souhaitons poursuivre et mener à bien.

D’ailleurs, une task force coprésidée par la France a été créée au sein de l’OCDE pour travailler sur ce sujet de la fiscalité du numérique. Elle remettra le fameux rapport mentionné à l’action 1 de la convention multilatérale et a d’ores et déjà récemment produit un rapport intermédiaire, qui appelle de ses vœux une solution de court terme fondée sur une taxation du chiffre d’affaires. Cette solution correspond à l’option défendue par la France au sein des instances européennes. La task force s’est donné l’année 2020 comme horizon pour achever ses travaux sur la fiscalité du numérique.

Nous restons extrêmement actifs et exigeants sur ces discussions internationales qui devraient aboutir à une solution de long terme. À court terme, nous promouvons une solution européenne opérationnelle qui consiste à taxer le chiffre d’affaires des géants du numérique en Europe, par le biais d’une directive dont un premier projet a été élaboré. Il s’agit d’une étape importante que nous encourageons sur le court terme, ce qui n’exclut pas notre travail pour trouver une solution de long terme.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Est autorisée la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, adoptée à Paris le 24 novembre 2016, signée par la France le 7 juin 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je vais mettre aux voix l’article unique du projet de loi.

Je rappelle que le vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à onze heures cinquante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles (projet n° 425, texte de la commission n° 442, rapport n° 441).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Cette nouvelle lecture intervient après l’échec de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 6 avril dernier.

Je ne reviendrai pas sur les conditions de cet échec. Mme la rapporteur en évoquera certainement les circonstances. Le Gouvernement aurait naturellement préféré que les deux assemblées puissent s’accorder sur un texte d’une telle importance, aussi bien pour les droits fondamentaux des citoyens européens que pour ses conséquences économiques. Cela aurait été un signal très positif.

En outre, l’échéance du délai de transposition se rapproche, et tout retard pris pour l’adaptation de notre législation peut alimenter quelques inquiétudes et un sentiment d’insécurité juridique, qui est ressenti par certains acteurs économiques, ainsi que – vous l’aviez souligné en première lecture et le Gouvernement y a été sensible – par les collectivités territoriales. En effet, le 25 mai 2018, le règlement général sur la protection des données, le RGPD, entrera en application directement, y compris dans ses dispositions relatives au montant des sanctions encourues.

Cependant, un accord ne peut avoir lieu que si les deux parties sont prêtes à s’accorder, ce qui n’a pas été le cas, et le Gouvernement en prend acte.

Il est vrai que les positions des deux chambres étaient assez éloignées sur plusieurs points : l’action de groupe en réparation, la création d’une dotation spécifique aux collectivités territoriales, l’exonération de toute sanction à leur égard, le fléchage des produits des amendes et des astreintes prononcées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, l’open data des décisions de justice et, enfin, l’âge du consentement des mineurs. Les discussions entre les deux rapporteurs avec le concours des deux présidents des commissions des lois n’ont pas permis de rapprocher les points de vue.

L’Assemblée nationale a donc examiné ce texte en nouvelle lecture jeudi dernier et l’a pour l’essentiel rétabli dans sa version adoptée en première lecture. Votre commission des lois a, de son côté, repris presque intégralement le texte que le Sénat avait également adopté en première lecture.

Aujourd’hui, nous aurons à nouveau des discussions sur plusieurs dispositions du texte. Les positions réciproques du Gouvernement et de votre rapporteur sont bien connues : je ne m’y attarderai donc pas.

Je voudrais toutefois revenir sur quatre points qui me semblent importants.

Le premier point a trait à l’attention portée aux collectivités territoriales. Nos précédents débats ont permis de mettre en évidence les inquiétudes de nombreuses collectivités. Cette préoccupation exprimée tout naturellement par votre assemblée a montré l’attention avec laquelle il fallait accompagner ces collectivités. L’accent a notamment été mis sur une possible mutualisation de leurs moyens afin d’appliquer le RGPD, et ce en s’appuyant sur les intercommunalités.

Par ailleurs, la question de l’exonération des sanctions administratives demeure posée. Vous le savez, l’Assemblée nationale reste très opposée à cette exonération que vous avez introduite en faveur des collectivités territoriales. Le Gouvernement ne s’y était pas opposé, considérant que le maintien par ailleurs d’une responsabilité de nature pénale permettait, pour l’essentiel, de se prémunir contre les éventuelles dérives de quelques élus.

Certains cas ont cependant été signalés récemment à la CNIL. Il faut rester vigilant sur le fait que tout abus doit pouvoir être sanctionné, afin que tous les acteurs, publics comme privés, soient responsabilisés dans la mise en œuvre de ce nouveau cadre. Naturellement, la CNIL fera preuve de discernement comme elle l’a toujours indiqué en la matière.

Le deuxième point porte sur la question de l’utilisation des algorithmes. Il s’agit de trouver un équilibre entre les nécessités de l’administration de notre pays et les garanties offertes aux usagers. C’est l’objet de l’article 14, dont nous avons d’ailleurs beaucoup discuté en première lecture. Il faut trouver le bon équilibre, afin non seulement de préserver les principes auxquels nous sommes aussi attachés que vous, mais également de permettre aux administrations d’agir en recourant à des techniques modernes et performantes.

Cet article a de nouveau été modifié par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. La rédaction adoptée reprend certaines préoccupations de votre assemblée, puisqu’elle interdit explicitement à l’administration, saisie d’un recours administratif contre une décision, de statuer sur ce recours sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel. Les décisions administratives prises sur le seul fondement d’un algorithme doivent aussi comporter, à peine de nullité, la mention de cette information.

En ce qui concerne spécifiquement Parcoursup, qui fait l’actualité, votre commission a supprimé à nouveau la disposition du code de l’éducation articulant le fonctionnement du dispositif avec les obligations d’information et de publication des règles de fonctionnement de l’algorithme, prévues par le code des relations entre le public et l’administration.

Je souhaite rappeler que le Gouvernement est très attaché à la transparence du dispositif. C’est la raison pour laquelle, si nous sommes défavorables à la suppression de cette disposition, nous avons en revanche soutenu l’ajout d’une disposition qui prévoit que le Parlement sera destinataire chaque année d’un rapport sur la mise en œuvre du dispositif. Ce rapport sera établi par le comité éthique et scientifique qui a été créé.

Le Gouvernement considère, au vu de tous ces éléments, que le texte de l’article 14 résultant des travaux de l’Assemblée nationale a atteint un point d’équilibre et que celui-ci doit désormais être stabilisé et préservé.

Mon troisième point porte sur les préoccupations que vous avez exprimées à l’occasion de l’examen des articles 17 bis et 17 ter.

La nécessaire adaptation de notre droit de la concurrence au numérique est une question d’actualité qui a toute sa place dans nos débats, mais elle dépasse le cadre de ce texte.

Dans la rédaction issue de la nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, il est précisé que le consentement de l’utilisateur n’est pas libre lorsqu’une entreprise restreint indûment, sans justification d’ordre technique, économique ou de sécurité, les possibilités de choix de cet utilisateur, notamment lors de la configuration initiale du terminal.

Là encore, le Gouvernement considère qu’un point d’équilibre a été atteint. Ce sujet doit par ailleurs être traité au niveau européen. Nous y travaillerons très prochainement avec la Commission européenne.

Enfin, c’est mon quatrième point, s’agissant de l’action de groupe en matière de protection des données personnelles, l’Assemblée nationale a rétabli l’extension de cette action à la réparation des préjudices matériels et moraux. Elle n’a pas souhaité différer de deux années, jusqu’au 25 mai 2020, l’entrée en vigueur du dispositif, ni soumettre la faculté pour une association d’exercer une action de groupe à un agrément délivré par l’autorité administrative.

Le Gouvernement partage ce point de vue, qui illustre la volonté de renforcer la capacité d’action des citoyens face aux atteintes à la protection de leurs données personnelles. C’est une évolution importante.

En conclusion, je souhaite rappeler que ce projet de loi, loin d’être technique, est éminemment politique, car il porte sur nos valeurs, les valeurs européennes et françaises.

Au moment où nous débattons, le scandale Cambridge Analytica a déjà nourri beaucoup d’inquiétudes. Facebook est gravement mis en cause et son dirigeant a dû s’expliquer devant le Congrès des États-Unis la semaine dernière. Outre-Atlantique, les regards se portent donc sur notre modèle européen, que le Congrès a cité à plusieurs reprises.

Le Président de la République française a d’ailleurs rappelé, dans son discours au Parlement européen ce mardi, que ce nouveau cadre européen est devenu une législation de référence. Nous devons la porter avec force, car elle incarne, me semble-t-il, et notre souveraineté numérique, et la singularité du modèle européen. Elle ouvre un espace qui favorise la croissance et l’innovation, dans le respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux.

Ce texte nous donne l’occasion de montrer que nos sociétés européennes sont à la hauteur de ces enjeux et des attentes de nos concitoyens. C’est à cet esprit de responsabilité, que nous devons tous préserver, que je fais appel et j’espère que nous pourrons, ainsi, adopter très rapidement ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Ce texte, vous le savez, vise à mettre la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dite loi informatique et libertés, en conformité avec deux importants textes européens. Le premier est le règlement général sur la protection des données, directement applicable à partir du 25 mai 2018, et le second, une directive spécifique aux traitements mis en œuvre en matière policière et judiciaire qui doit, elle, être transposée avant le 6 mai 2018.

En première lecture, notre assemblée avait approuvé les grandes orientations du projet de loi initial et la plupart des apports de l’Assemblée nationale, sauf exceptions ponctuelles.

Améliorant le texte, nous nous étions particulièrement attachés à mieux accompagner les petites structures dans la mise en œuvre de leurs nouvelles obligations et à renforcer la protection des droits et libertés des citoyens.

À ce titre, le Sénat avait d’abord tenu à répondre aux attentes et aux vives inquiétudes de nos entreprises de moyenne, petite et très petite taille, les TPE-PME, et de nos collectivités territoriales. Leurs représentants ont tous confirmé, en audition, qu’elles ne pourraient être prêtes pour l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai, et ce en raison de l’absence d’information et d’accompagnement par les pouvoirs publics.

C’est en pensant à elles, grandes oubliées de ce texte alors qu’elles structurent et font vivre le territoire français, que le Sénat a proposé plusieurs évolutions.

Il a voulu dégager de nouveaux moyens financiers pour la mise en conformité, en « fléchant » le produit des amendes et astreintes prononcées par la CNIL à leur intention et en créant une dotation communale et intercommunale pour la protection des données personnelles.

Il a voulu faciliter la mutualisation des services numériques entre collectivités.

Il a voulu réduire l’aléa financier pesant sur ces dernières, en supprimant la faculté pour la CNIL de leur imposer des amendes administratives.

Il a voulu faire preuve de prudence, en approuvant l’action de groupe en réparation en matière de données personnelles, mais en reportant son entrée en vigueur de deux ans.

Enfin, il a voulu encourager la CNIL à diffuser des informations et à proposer des normes de droit souple adaptées aux besoins et aux moyens des collectivités comme des TPE-PME.

Le Sénat avait également souhaité rééquilibrer certains éléments du dispositif pour renforcer la protection des droits et libertés des citoyens.

Adoptant des propositions émanant de tous les groupes politiques et fidèle à son rôle traditionnel de chambre des libertés, il avait prévu plusieurs avancées.

Il rétablissait l’autorisation préalable des traitements de données portant sur les infractions, condamnations et mesures de sûreté, et précisait la liste des personnes autorisées à mettre en œuvre ces fichiers.

Il encourageait le recours aux technologies de chiffrement de bout en bout des données personnelles pour assurer leur sécurité.

Il conservait le droit général à la portabilité des données, personnelles comme non personnelles, pour permettre de faire véritablement jouer la concurrence entre services en ligne.

Il permettait aux utilisateurs de terminaux électroniques d’avoir le choix d’y installer des applications respectueuses de la vie privée.

Il encadrait plus strictement l’usage des algorithmes par l’administration pour prendre des décisions individuelles – il s’agissait de bannir les boîtes noires –, et renforçait les garanties de transparence en la matière, notamment lors des inscriptions à l’université avec Parcoursup. C’est un exemple, et pas des moindres !

Examiné selon la procédure accélérée, ce projet de loi n’a fait l’objet que d’une seule lecture par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, avant la réunion d’une commission mixte paritaire.

Malgré deux rencontres préparatoires entre rapporteurs qui ont permis, grâce à l’intervention des présidents des deux commissions – et je remercie le nôtre, M. Philippe Bas –, à l’issue de près de trois heures de négociation, et au prix de concessions réciproques, de proposer un compromis global accepté par le Sénat et votre rapporteur, nous nous sommes heurtés au refus des députés du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Après une réunion de groupe, …

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

… ces derniers n’ont jamais voulu transiger.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Notre temps, effectivement, et surtout celui des citoyens !

Depuis 1958, la règle a toujours été l’accord entre nos deux assemblées. Entre 1958 et octobre 2017, seulement 12 % des textes ont été adoptés par la procédure dite du « dernier mot » à l’Assemblée nationale. Entre octobre 2017 et le 25 février 2018, en cinq mois seulement, ce taux est monté à 37 % !

Exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Dans la semaine du 6 avril, ce ne sont pas moins de deux projets de loi importants qui ont vu leur commission mixte paritaire échouer, et ce en dépit d’efforts importants déployés par le Sénat.

Sur fond de réforme constitutionnelle, on peut s’interroger : le groupe majoritaire de l’Assemblée nationale aurait-il décidé de saper le fonctionnement bicaméral de notre démocratie ?

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Tout à fait !

Cette démarche, en tout cas, serait d’une rare inconscience et révélerait une grave méconnaissance de nos fonctionnements démocratiques.

En tant que garde des sceaux et ancien membre du Conseil constitutionnel, madame la ministre, je vous interpelle solennellement sur cette dangereuse dérive.

Le bicamérisme est un des tenants essentiels de l’équilibre des pouvoirs, seul garant du fonctionnement démocratique. Sans le Sénat, le Parlement n’est plus que le bras armé de l’exécutif. Le parti majoritaire de l’Assemblée nationale ne peut prétendre seul représenter la France. Il n’en a pas la légitimité.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Sur l’ensemble des élus de France, que les citoyens ont très bien élus, et dont les sénateurs sont les représentants, combien ce parti majoritaire représente-t-il en proportion ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

C’est ensemble, et seulement ensemble, que le Sénat et l’Assemblée nationale sont représentatifs du peuple de France.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Ces abus de procédure sur les CMP, les désinformations graves dont nous venons d’avoir connaissance constituent une pente dangereuse.

Sans surprise, la commission mixte paritaire, réunie le 6 avril dernier, a dans cette logique périlleuse constaté qu’elle ne pouvait élaborer un texte commun.

En dehors de quelques accords ponctuels limités à des sujets essentiellement techniques, l’Assemblée nationale a rétabli pour l’essentiel, encore une fois sans surprise, le texte qu’elle avait adopté en première lecture.

Les principaux apports du Sénat ont été sommairement balayés et, évidemment, des points de désaccord importants demeurent, non sans fondement.

Sur les collectivités territoriales, d’abord, nous nous heurtons à un incompréhensible refus de prendre en compte leurs spécificités.

Alors que le Gouvernement s’était montré prêt à des concessions raisonnables sur ce sujet, nos collègues députés ont refusé de voir les difficultés que l’application du RGPD suscitera pour les collectivités territoriales.

Pour la majorité de l’Assemblée nationale, une collectivité territoriale est un responsable de traitement comme un autre. Elle devrait donc être placée sur le même pied qu’une entreprise ou qu’une start-up, et sa situation ne mériterait aucun traitement spécifique. C’est grave !

M. Jean-Marc Boyer opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Faut-il vraiment rappeler ce que sont les collectivités territoriales ? Cela fait froid dans le dos !

Ces dernières sont soumises à des sujétions tout à fait particulières : si elles mettent en œuvre des traitements de données personnelles, ce n’est pas pour en tirer profit, mais parce qu’elles y sont obligées par la loi, parce que certaines compétences leur ont été transférées et pour rendre un meilleur service à nos concitoyens. Comme l’État, elles sont d’ailleurs chargées de missions de service public et exercent des prérogatives de puissance publique.

Ces arguments n’ont pas suffi à nos collègues députés, qui ont supprimé nos ajouts et, en particulier, ont rétabli la possibilité pour la CNIL d’imposer des amendes administratives et des astreintes aux collectivités territoriales.

Je vous proposerai logiquement, mes chers collègues, d’en revenir à notre texte.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

S’agissant des traitements en matière pénale, l’Assemblée nationale a accepté des reculs inquiétants pour les droits et libertés de nos concitoyens. Ces motifs d’inquiétude justifient pleinement que le Conseil constitutionnel soit saisi.

À titre d’exemple, pour les données d’infraction, l’Assemblée nationale a supprimé l’encadrement, protecteur pour la vie privée, de l’open data des décisions de justice, le régime d’autorisation préalable par la CNIL des traitements d’infractions pénales et de condamnations, ainsi que les garanties concernant les personnes morales désormais autorisées à mettre en œuvre ces traitements, alors que l’État, lui, a besoin d’autorisation.

Je vous proposerai de réintroduire l’ensemble de ces garanties essentielles pour les droits et libertés de nos concitoyens. Dans un domaine aussi sensible, le Sénat aura jusqu’au bout, et c’est important, tenu son rôle traditionnel de chambre des libertés.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Esther Benbassa et Françoise Laborde applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Concernant les algorithmes, je regrette la suppression injustifiée de plusieurs garde-fous essentiels et un sérieux, très sérieux recul sur le principe de transparence que le Sénat avait institué.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Je souhaite, en particulier, attirer votre attention sur le cas de Parcoursup et dénoncer, ici, une réelle hypocrisie : malgré des discours pleins de bonnes intentions, l’Assemblée nationale a finalement reculé en séance, estimant que les établissements d’enseignement supérieur devaient déroger aux règles de transparence des algorithmes locaux, c’est-à-dire ceux qui permettent d’accéder aux filières.

Il est totalement impensable que les lycéens choisis par les universités au moyen d’algorithmes ne puissent pas savoir quels paramètres seront appliqués lors de leur sélection !

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Sur un sujet aussi sensible, et dans le contexte que connaissent actuellement nos universités, cette opacité n’est pas acceptable. Beaucoup de dérives seront possibles !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Alors qu’une récente délibération de la CNIL appelle au respect du principe de transparence de Parcoursup, l’Assemblée nationale se contente ici, pour toute garantie, d’acter une remise de rapport au Parlement ! Quel moyen commode de remettre à plus tard le traitement d’un problème que l’on ne souhaite pas vraiment résoudre !

Exclamations sur plusieurs travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le rôle du législateur étant bien de fixer des normes, de veiller au respect de nos principes fondamentaux, et non de commander des rapports dilatoires, je vous proposerai de réinscrire dans la loi le principe de transparence voté par le Sénat en première lecture.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Louis Lagourgue et Mme Françoise Laborde applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

S’agissant de l’action de groupe, nous en approuvons le principe, y compris pour la réparation des dommages. Nous demandons simplement le rétablissement de deux mesures de prudence pour éviter d’éventuels abus et laisser un peu de temps à nos entrepreneurs et à nos élus locaux avant de les exposer à un tel risque contentieux.

Je ne m’étendrai pas sur plusieurs autres divergences ponctuelles.

Pour conclure, quelques mots, trop rapides, sur l’âge du consentement des mineurs au traitement de leurs données.

Nous rétablissons cet âge à seize ans, mais l’important n’est pas un an de plus ou un an de moins ! Le véritable enjeu porte sur l’éducation au numérique et le régime protecteur qu’il convient d’instaurer sur internet pour nos enfants et nos adolescents. Marie Mercier nous en a donné un aperçu concernant la pédopornographie. Catherine Morin-Desailly, dans un rapport prochain, détaillera l’ensemble des risques : cyber-harcèlement, emprise, radicalisation, impact sociétal, etc. Là, le débat pourra enfin et utilement s’ouvrir.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Louis Lagourgue et Mme Françoise Laborde applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer une nouvelle fois le travail de notre rapporteur et relever la force des quelques mots qu’elle nous a adressés s’agissant de cette nouvelle lecture du texte.

M. Charles Revet et Mme Brigitte Micouleau acquiescent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Ce projet de loi, que nous réexaminons aujourd’hui en séance, a subi de nouvelles modifications à la suite de son passage par l’Assemblée nationale. Plutôt que de modifications, je devrais d’ailleurs parler de ratures, de lacérations, de déni !

C’est en tout cas ainsi que le Sénat a perçu le dédain avec lequel l’Assemblée nationale a abordé la navette législative et sabordé la commission mixte paritaire.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mmes Nadia Sollogoub et Esther Benbassa applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Il semblerait, mes chers collègues, que le contexte de mise au pas institutionnelle prenne le dessus sur la recherche de compromis, qui, ici, nous anime si souvent. Le groupe socialiste et républicain approuve donc la réaction du président Larcher, lequel défend, avec un sens de l’équilibre, la contribution du Sénat à la vie démocratique de notre pays.

Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Les CMP ne sont pas des contretemps à la marche en avant du Gouvernement ; ce sont des moments indispensables à la bonne rédaction de la loi. Dans son courrier au président de Rugy, M. Larcher l’a démontré avec force.

Le projet de loi instaurant le droit à l’erreur, puis ce projet de loi relatif à la protection des données personnelles : les exemples récents sont inquiétants. Ils témoignent d’un pouvoir et d’une majorité sourds à la contradiction, si ce n’est aux contre-pouvoirs, si ce n’est au Parlement.

Les preuves ne manquent pas s’agissant du texte sur les données personnelles, à commencer par le sort réservé aux dispositions en direction des collectivités, dont l’ambition était de protéger nos élus en les accompagnant au mieux dans les changements induits par la future loi.

Quand l’Assemblée nationale décide de refuser l’exemption d’amendes administratives et d’astreintes pour les collectivités territoriales et leurs groupements, quand elle rejette la mesure visant à destiner le produit des sanctions pécuniaires au financement d’un accompagnement par l’État des responsables de traitement et de leurs sous-traitants, la chambre basse fait preuve de courte vue. À moins qu’elle ne confirme l’ignorance de très nombreux députés du nouveau monde, qui ne connaissent rien – et ne veulent rien connaître, semble-t-il – de la vie des collectivités locales.

Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

L’actualité nous montre pourtant combien cette amélioration sénatoriale est pertinente.

Si comme moi, mes chers collègues, vous avez choisi de remplir au plus tôt votre déclaration de revenus en ligne, ou de vérifier le calendrier qui s’y applique, vous avez dû être aiguillés vers une vidéo mode d’emploi. Jusque-là, rien de plus normal !

Seul problème, alors que tout le monde n’a que les termes « données personnelles » à la bouche, alors que l’Assemblée nationale refuse d’accorder un peu de tolérance aux collectivités territoriales, l’État central, lui, par la main de la DGFiP, a fait le choix d’inonder Google de données personnelles des contribuables français !

Mme Maryvonne Blondin acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

( Mme Maryvonne Blondin acquiesce de nouveau.) et les contribuables se voient obligés d’envoyer des données personnelles à Google, sans même y avoir consenti.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Laborde, Maryse Carrère et Esther Benbassa applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

La vidéo mode d’emploi précitée, dont le visionnage est obligatoire, est effectivement hébergée chez un GAFA §

Cerise sur le gâteau, le bandeau d’information sur l’utilisation des données et les cookies, obligatoire sur tous les sites européens pour protéger la vie privée, renvoie vers une page qui n’est accessible qu’une fois la vidéo YouTube visionnée !

L’État central, Bercy lui-même, se fait avoir comme un bleu en matière de données personnelles et on conteste aux collectivités, pourtant bien moins armées, la nécessité d’un accompagnement adapté.

Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Laborde, Nadia Sollogoub et Sylvie Vermeillet applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Pour en revenir aux articles du texte, j’approuve la fermeté de Mme la rapporteur sur l’article 10 bis. Je crois en effet comprendre qu’elle regrette « la position fermée de l’Assemblée nationale » sur un sujet aussi sensible en matière de sécurité. Alors que la CNIL autant que le Conseil national du numérique sont favorables à l’incitation au chiffrement des données, il est incompréhensible que l’Assemblée la rejette.

S’agissant des dispositions relatives aux fichiers de police et de justice, les députés ont souhaité modifier le délai pour rectifier ou supprimer des données personnelles, lorsque la loi est enfreinte par le responsable de traitement. Les députés estiment qu’une action « dans les meilleurs délais » est suffisante, alors que nous proposions un maximum d’un mois pour intervenir.

Ne pas imposer de contraintes temporelles serait une erreur. Cela laisserait un temps élargi aux responsables de traitement pour résoudre le problème, ce temps pouvant menacer l’intégrité des utilisateurs et leur porter préjudice à long terme. Le délai d’un mois que nous avions fixé était donc, à mon sens, une bonne mesure.

Les algorithmes, qui font débat et sont méconnus du grand public, méritent aussi que nous nous attardions sur leur fonctionnement et leur utilisation. Or l’Assemblée nationale a jugé bon de ne pas rendre plus transparentes les décisions algorithmiques, comme les attributions sur le portail admission post-bac – devenu Parcoursup – ou pour Pôle emploi.

Un droit de regard sur ces décisions est nécessaire, afin d’éviter tout sentiment d’incompréhension ou d’injustice qui serait ressenti par les utilisateurs. Cette approche pédagogique aiderait nos concitoyens à mieux accepter les décisions les concernant et, avant tout, à les comprendre.

Nous réaffirmons qu’un recours limité aux algorithmes est souhaitable. Nous vivons un moment charnière, marqué par une aspiration des citoyens à plus de transparence dans les décisions. Ce n’est pas en se délestant de certaines décisions sur des algorithmes que ce lien de confiance, qui s’est distendu au cours des dernières années, se renouera.

Plus généralement, le récent scandale ayant agité Facebook, avec la vente de données à Cambridge Analytica, doit nous interpeller. L’utilisation par cette société des données de près de 87 millions d’utilisateurs du site à des fins politiques, le soutien au candidat Donald Trump lors de la campagne présidentielle aux États-Unis, nous a rappelé à quel point la protection de nos données est importante. Aucune mesure de protection n’est surfaite ; aucune mesure de protection ne doit être négligée.

La vente de ces données a révélé un système d’ampleur, largement soupçonné, mais pas encore identifié. Il permet aux acheteurs de se procurer des adresses mail, des dates de naissance, d’accéder aux réseaux d’interconnaissances des utilisateurs et, encore plus important pour les publicitaires et les entreprises commerciales, de connaître leurs goûts.

Cette intrusion dans notre intimité, que nous consentons lors de l’inscription sur le site en question, peut avoir des répercussions sur notre vie privée, comme sur la vie d’un pays tout entier. C’est pourquoi une meilleure régulation des données est nécessaire.

Nos collectivités sont également concernées. Traitant des données sensibles, elles doivent à tout prix être protégées contre un quelconque type d’intrusions. C’est pourquoi, j’y insiste, il est nécessaire de créer, pour elles, un statut spécifique et de réintroduire les dispositions supprimées par les députés.

Alors que les géants du numérique, et d’autres, s’insurgeaient contre le RGPD, qui doit entrer en vigueur le 25 mai prochain, les voilà qui commencent à revoir leur copie…

Ils insistaient sur l’impossibilité de mettre en œuvre les règles établies par le RGPD, alors que les acteurs français du numérique, sans excès de chauvinisme, répondaient le contraire. Le président de Facebook lui-même, Mark Zuckerberg, a finalement reconnu, au début du mois d’avril, que ses équipes étaient en train de travailler à reprendre certaines dispositions du RGPD, même hors de l’Union européenne.

Des évolutions sont donc possibles, tant idéologiques que techniques. On peut envisager une meilleure protection des données, et tous les acteurs du numérique devront s’y plier car la sécurité des utilisateurs et de notre société en dépend.

Ces évolutions positives adviendront, dans les temps, malgré le manque d’ouverture que nous avons constaté chez nos collègues députés.

Que de travail accompli depuis les premiers débats européens en la matière, les premières tentatives de lobbying infructueuses des GAFA à Bruxelles !

Ce cheminement lent et méticuleux saura, je l’espère, inspirer le Gouvernement dans son approche de la réforme institutionnelle à venir, afin que des parlementaires des deux chambres puissent, à l’avenir, transposer dans notre droit national – à travers une collaboration plus fructueuse qu’aujourd’hui – le fruit des compromis européens.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Vermeillet et Françoise Laborde, ainsi que M. Jean-Louis Lagourgue applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le 25 mai prochain, toutes les entreprises européennes ou collectivités territoriales gérant des données, indépendamment de leur taille, seront tenues de se conformer au règlement général sur la protection des données.

Cette réglementation européenne, annoncée en 2012 et réalisée depuis 2016, doit nous permettre de nous prémunir des dangers d’une gestion abusive des données.

Il faut dire que l’actualité des dernières semaines nous a invités à la plus grande prudence. Mon prédécesseur à cette tribune a évoqué la vidéo de YouTube…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

… sur le site du ministère de l’économie et des finances. Je voudrais, pour ma part, insister sur le scandale Facebook et l’utilisation de certaines de ses données dans les récentes campagnes américaine et britannique par la société Cambridge Analytica.

On a parlé de 90 millions d’utilisateurs du réseau social, mais ce chiffre, n’en doutons pas, va s’accroître au fur et à mesure des investigations et des demi-vérités successives des auteurs de ces infractions.

En début de semaine, l’entreprise a dû reconnaître avoir organisé plusieurs rencontres avec des représentants du parti europhobe UKIP et de l’organisation Leave.EU, deux initiatives pro-Brexit. C’est une atteinte profonde à la démocratie, tout comme, d’ailleurs, les événements survenus aux États-Unis un an plus tôt !

Le réseau social annonce prendre les devants sur l’adoption du RGPD, en proposant à ses utilisateurs de nouvelles règles liées à la vie privée. Cette opération de communication est, à mon avis, une vaste farce.

S’il suffit d’un clic pour accepter les nouvelles fonctionnalités, il faut trois ou quatre clics successifs sur la case « non » pour les refuser et faire accepter son choix. Un parcours du combattant pour la plupart des usagers, qui, par conséquent, n’optent pas pour la deuxième solution.

Facebook demande aujourd’hui à ses utilisateurs de le laisser accéder à des données sur l’orientation sexuelle, la religion ou encore l’affiliation politique. « Retirez tout ce que vous ne voulez pas partager », nous prévient le réseau social, ce qui signifie, bien entendu, que l’accord est donné par défaut.

Ensuite, Facebook invite à accepter une option de reconnaissance faciale, sous le prétexte que ce nouvel outil permet de mieux protéger l’utilisateur contre un piratage ou une utilisation illégale de ses photos sur le réseau social.

Le problème est que l’offre relève du « tout ou rien » : soit, mes chers collègues, vous acceptez et offrez gratuitement une empreinte de votre visage à Facebook, soit vous refusez à la force de plusieurs clics et à la lecture d’une page lénifiante sur les bienfaits de cette fonction, mais vous bloquez alors d’autres fonctionnalités utiles. Là aussi, dans la plupart des cas, l’internaute n’opte pas pour le refus.

Tout cela, bien sûr, sans parler de la question de la publicité ciblée, sujet sur lequel, lors de son audition devant le Congrès américain, le vice-président de Facebook Rob Sherman a benoîtement répondu : « Les gens ont le choix de ne pas être sur Facebook ». On pourrait écrire des livres entiers à propos de cette phrase !

Faut-il pour autant vivre dans la peur permanente? Je ne le pense pas.

Le RGPD dote notre pays des outils nécessaires pour protéger les droits numériques de nos concitoyens : droit de récupération de ses données, droit à l’effacement de ces mêmes données, nouvelles protections pour le traitement d’informations concernant les mineurs de moins de seize ans et mise en place d’une amende administrative pour les contrevenants, pouvant grimper jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Pour exercer ces nouveaux droits, le citoyen français pourra se tourner vers la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui, avec ce projet de loi, disposera de nouveaux atouts pour moderniser son action.

L’institution s’était modernisée sous l’impulsion de ses présidents successifs. Elle entre aujourd’hui dans l’âge de la maturité, avec, notamment, le renforcement de ses pouvoirs de contrôle et de sanction, y compris à l’égard des groupes étrangers, et une capacité à ordonner la suspension ou la cessation d’un transfert de données.

C’est cette même institution qu’un de nos anciens collègues, Alex Türk, a longtemps présidée. Celui-ci nous avertissait sur l’urgence de nous protéger : à ceux qui lui demandaient si la prophétie de George Orwell se réaliserait un jour, si nous étions susceptibles de tomber sous le joug d’un Big Brother numérique, il répondait calmement que nous subissions déjà sa domination silencieuse et nous exhortait à agir pour défendre une société de la confiance et de la vie privée.

Pour créer une telle société, il faut consacrer le droit de chaque citoyen à choisir !

Le destin de l’amendement Qwant, visant à supprimer Google des moteurs de recherche par défaut et à laisser chaque utilisateur libre de son choix, est représentatif de l’enjeu des débats. Déposé, retiré, rejeté en séance à l’Assemblée nationale, redéposé, complété au Sénat, supprimé en nouvelle lecture et finalement adopté en commission des lois, sur l’initiative du groupe Les Indépendants, il est au cœur du combat moderne entre David et Goliath, entre l’utilisateur et les GAFA, entre le droit individuel et le régime mis en place par les géants historiques du net.

Donnons-nous donc les moyens de faire de la CNIL ce garant des libertés individuelles que le projet de loi l’appelle à être. Notre groupe a déposé plusieurs amendements en ce sens, pour s’assurer que les membres de cette institution aient à la fois les compétences techniques et l’engagement éthique et moral nécessaires à la réalisation de telles missions.

Ce texte, mes chers collègues, est une étape pour redonner de la liberté aux internautes. J’entendais, voilà quelques années encore, l’ex-patron de Google affirmer que seuls les criminels se souciaient de protéger leurs données. Je crois qu’il n’y a rien de plus faux ! Le droit à la vie privée est un fondement essentiel de notre République, défini à l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il est essentiel que notre chambre démontre qu’elle n’est pas indifférente à la révolution numérique, qu’elle en épouse les contours et qu’elle amène dans ce débat la sagesse et la responsabilité pour lesquelles elle est reconnue.

Oui à une vie privée numérique, oui à une meilleure protection de nos données personnelles, oui, enfin, à une pratique libre et indépendante du net. Ce texte nous donne l’occasion de poser une base juridique solide à l’encadrement des données. Nous devons nous en saisir et assurer à la fois la protection des citoyens français et la souveraineté de nos données.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Gisèle Jourda et Sylvie Vermeillet applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tout d’abord, je m’associe aux remerciements quasi unanimes qui vous ont été adressés, madame la rapporteur, de même que je vous remercie de vos propos justes et sincères.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Alors que nous nous apprêtons à discuter des derniers points d’achoppement qui demeurent entre notre chambre et l’Assemblée nationale sur ce projet de loi, le RGPD s’est retrouvé au cœur de l’actualité internationale.

Lors des auditions du fondateur de Facebook conduites la semaine dernière, plusieurs sénateurs américains ont souligné la nécessité d’établir une régulation de l’utilisation des données personnelles à des fins commerciales, ce qui est une évolution considérable dans un pays où la législation européenne en la matière est souvent perçue comme une entrave à la liberté d’entreprendre.

Le dirigeant de Facebook a lui-même reconnu que « nous traversons un grand changement philosophique au sein de la société » et a fini par accepter le principe de contrôles aux États-Unis.

Comme je le soulignais lors de la première lecture, le RGPD et ce projet de loi n’apportent pas toutes les réponses à « ce grand changement philosophique », c’est-à-dire la prise de conscience des limites du modèle économique des services en ligne reposant sur un principe de gratuité apparente, mais en réalité financé par l’exploitation des données personnelles.

Beaucoup d’utilisateurs, aux États-Unis comme en France, attendent de pouvoir disposer de leurs données comme ils disposent de leur personne.

Si l’on peut reconnaître à ce texte des avancées significatives comme le renforcement des pouvoirs de sanction de la CNIL en contrepartie d’un assouplissement du régime de déclaration, mais également l’étoffement des droits des personnes concernées par des traitements de données, nous regrettons de ne pas avoir été entendus par nos collègues de l’Assemblée nationale sur de nombreux sujets – je pense notamment aux collectivités territoriales.

Pis, certains sont même allés jusqu’à dire que la suppression des amendes administratives et l’exemption d’astreinte déresponsabiliseraient nos élus locaux, qui, de fait, n’appliqueraient pas le RGPD ! Doit-on y voir un procès en amateurisme fait à nos collectivités ? Je ne l’espère pas.

Vouloir que les collectivités, notamment les plus rurales, soient exemptées d’astreintes et d’amendes administratives ne constitue pas une exemption de respect du RGPD, mais une meilleure prise en compte de leurs spécificités.

C’est d’abord une demande de considération des collectivités, dont les impôts ne doivent pas à mon sens venir nourrir la CNIL

Mme la rapporteur applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

C’est ensuite une attente des élus, qui demandent davantage de moyens pour former leur administration et protéger plus efficacement les données, car, oui, il faut que les données de nos collectivités soient davantage protégées parce qu’il a pu y avoir, c’est un fait, certaines dérives. Mais je le dis, ce n’est pas aux collectivités de supporter la totalité du coût de la protection de données.

La commission des lois du Sénat a su répondre à ces attentes par la réintroduction de la dotation communale et intercommunale pour la protection des données à caractère personnel, tandis que l’Assemblée nationale a maintenu les possibilités de mutualisation, qui permettent notamment d’avoir un délégué commun à la protection des données pour plusieurs collectivités ou organismes publics.

Sur ce sujet particulier, ainsi que sur le reste du texte, je souhaite une nouvelle fois souligner la grande qualité des propositions faites par notre rapporteur Sophie Joissains et son approche attentive et constructive.

Maigre consolation : nous notons toutefois que nos propositions ont permis une évolution de nos collègues députés en faveur d’une reconnaissance des difficultés particulières liées à l’illettrisme informatique et de la suppression des mentions à l’article 12 qui auraient porté atteinte aux archives.

Concernant les sujets de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale, si, à titre personnel, je soutiens les dispositions visant à faciliter le recours aux actions de groupe en cas de traitement illicite de données personnelles, nous restons en revanche convaincus de la nécessité d’inscrire dans la loi un certain nombre de garde-fous en vue de l’utilisation croissante d’algorithmes par l’administration et des risques liés à la sous-traitance de données personnelles.

S’agissant des algorithmes, nous ne sommes bien évidemment pas opposés à leur utilisation : elle délivre les agents de tâches répétitives et pourrait utilement réduire les délais des décisions attendues par les administrés. Nous considérons cependant que la modernisation de l’administration doit se faire a minima à droit constant et se conformer aux règles préexistantes, qui visent à protéger les administrés.

Enfin, je tiens également à alerter le Gouvernement et les députés sur les risques liés aux contrats de sous-traitance des données personnelles, susceptibles de se multiplier à travers l’Union européenne. De notre point de vue, à défaut de permettre aux personnes concernées d’avoir connaissance des clauses relatives au traitement de leurs données entre le responsable du traitement et son sous-traitant, le texte devrait au moins prévoir de les informer de l’identité de ce dernier.

Les responsables de traitement eux-mêmes y ont intérêt : dans une course mondiale aux gisements de données personnelles, le haut niveau de protection garanti par notre droit pourrait en effet devenir un argument commercial séduisant pour des consommateurs de services en ligne soucieux de leur intégrité numérique.

Pour conclure, les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen dans leur majorité voteront la version du Sénat, qui, à notre sens, est plus protectrice de nos concitoyens mais aussi de nos collectivités territoriales.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mes collègues parlementaires qui ont travaillé sur ce texte particulièrement important sur la protection des données personnelles, sujet majeur.

Nous ne pouvons en effet passer outre l’urgence de bâtir une souveraineté numérique européenne, une souveraineté forte pour protéger les intérêts des États membres, des entreprises, des collectivités territoriales, des citoyens, contre toute ingérence extérieure.

La révolution numérique et technologique est inéluctable. L’Europe est prise en tenaille entre les géants américains d’un côté, avec les GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple – et les géants chinois BATX – Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi –, de l’autre.

Le scandale de Cambridge Analytica a été un électrochoc et une prise de conscience collective de l’ampleur et du fonctionnement de cet écosystème qui collecte toutes les données de notre vie numérique.

Je vous rappelle que 2 millions d’Européens, dont plus de 200 000 Français, seraient concernés par la fuite de leurs données personnelles.

Je me permets aussi d’évoquer, comme Jérôme Durain, cette fameuse vidéo informative sur le prélèvement à la source, hébergée par YouTube, que Bercy oblige à regarder lorsque l’on se rend sur le site des impôts. Ainsi, le contribuable qui a à cœur de déclarer ses impôts se fait directement siphonner des données personnelles par Google… C’est incroyable, c’est inquiétant.

Si nous tenons à notre liberté et à la protection de nos données, nous devons engager une réforme globale et apporter une réponse européenne claire et unanime.

Ce qui s’avère être plus compliqué que prévu…

Les échecs successifs des deux dernières commissions mixtes paritaires chargées d’examiner, pour l’une, le projet de loi renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public et, pour l’autre, le projet de loi relatif à la protection des données personnelles témoignent de la distance que cherchent à instaurer les députés du groupe majoritaire de l’Assemblée nationale avec notre Haute Assemblée. Deux visions du monde nouveau s’affrontent.

En tant que représentants des territoires, notre devoir au Sénat est de favoriser les libertés publiques, de protéger la vie privée et de défendre, avec force, détermination et bon sens les collectivités territoriales.

C’est ce que nous avons tenté de faire dans le cadre de ce projet de loi relatif à la protection des données personnelles et c’est ce que les députés de la majorité ont notamment rejeté.

Les orientations de ce projet de loi, approuvées par le Sénat dès la première lecture, vont dans le bon sens. Ces dernières adaptent au droit de l’Union européenne la loi française du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Elles transposent ainsi le « paquet européen de protection des données », adopté par le Parlement européen et le Conseil le 27 avril 2016, qui entrera en vigueur le 25 mai 2018.

Sans enfreindre nos libertés, il nous faut donc mettre en place des moyens de surveillance renforcés pour assurer notre sécurité, en particulier notre sécurité juridique.

La réponse doit être européenne, pour protéger tout d’abord les droits et libertés des citoyens.

C’est, par exemple, la raison pour laquelle le Sénat a souhaité maintenir à seize ans la majorité numérique et donner au consommateur de nouveaux droits, comme le droit à la portabilité des données.

La réponse européenne à cet enjeu doit aussi responsabiliser tous ceux qui traitent les données.

Les TPE-PME, ainsi que les collectivités territoriales, en font partie.

Le texte leur impose des obligations pour se conformer aux nouvelles règles issues du règlement général sur la protection des données, qui doivent être appliquées, je le rappelle, dès le 25 mai 2018, au risque de sanctions lourdes. Pour les entreprises, elles sont de l’ordre de 4 % du chiffre d’affaires mondial. C’est considérable.

Les collectivités territoriales, elles, étaient absentes dans les dispositifs dérogatoires prévus. Or elles sont directement concernées par la protection des données personnelles qu’elles collectent en raison d’obligations légales – état civil, cadastre, listes électorales, etc.

De toute évidence, elles ne pourront financièrement assumer ces obligations d’ici le 25 mai prochain. Je pense au respect des procédures encadrant l’usage des traitements de données personnelles, ou bien encore à l’obligation de se doter d’un délégué à la protection des données, y compris dans les plus petites collectivités.

C’est pourquoi la commission des lois du Sénat a souhaité donner aux collectivités territoriales les moyens d’accomplir ces nouvelles modalités de traitement en imposant à la CNIL d’adapter les normes aux besoins des collectivités, en facilitant la mutualisation des services supports offerts par les syndicats mixtes au bénéfice des communes et intercommunalités, en créant une dotation communale et intercommunale pour la protection des données à caractère personnel, prélevées sur les recettes de l’État, en exonérant les collectivités territoriales, au même titre que l’État, des amendes et astreintes administratives en cas de sanction.

Mes chers collègues, il s’agit ici non pas de déresponsabiliser les collectivités, mais de se rappeler ensemble que ces dernières, notamment les collectivités les plus modestes en milieu rural, manquent de financements et de moyens.

M. Charles Revet approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Madame la garde des sceaux, le 25 mai, c’est demain : je vous remercie de bien vouloir prendre en compte cette difficulté supplémentaire pour les élus.

Naturellement, le groupe Les Républicains soutiendra cette nouvelle version de ce projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

J’ai eu peur que la procédure ait terriblement accéléré et que notre ordre du jour porte sur la réforme constitutionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Je crois que c’est effectivement le sujet. Néanmoins, s’agissant de la protection des données personnelles, les exemples de Cambridge Analytica et de la vidéo mise en ligne par Bercy sur le prélèvement à la source dans une louable intention pédagogique, mais qui a techniquement permis à Google de recueillir les données personnelles principalement de navigation – mais pas seulement – de 2 millions de Français, montrent que l’enjeu du texte qui est soumis une nouvelle fois à notre examen n’en est que plus important. Sans parler évidemment de l’urgence compte tenu de la date contrainte de l’entrée en vigueur du règlement européen le 25 mai prochain.

Alors oui, la commission mixte paritaire, réunie le 6 avril dernier, n’a pas réussi à trouver un accord, malgré la volonté des deux rapporteurs – je veux saluer tout particulièrement la rapporteur du Sénat, Sophie Joissains –…

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

… de surmonter certaines difficultés. Je le souligne vraiment. Les divergences demeuraient trop fortes, trop profondes, notamment sur l’extension de l’action de groupe – et pas seulement sur les collectivités – en matière de protection des données personnelles à la réparation des préjudices matériels et moraux, sur la possibilité pour les présidents de commission et de groupe parlementaires de saisir la CNIL sur une proposition de loi, sur l’encadrement de l’usage des algorithmes par l’administration, et bien évidemment sur l’accompagnement des collectivités locales dans l’application du nouveau droit.

Nous avions introduit en première lecture le fléchage du produit des amendes et des astreintes prononcées par la CNIL vers les collectivités locales. Mon groupe préférait, en application du principe « qui décide paie », que nous nous tournions vers des dispositifs communautaires. La suppression des amendes administratives à l’intention des collectivités locales avait recueilli ici un plein consensus. Les députés avaient estimé que les collectivités devaient se voir appliquer les mêmes règles que celles qui seront appliquées aux entreprises. C’était regrettable. Il me semble que leur position a évolué du fait de nos travaux. Néanmoins la commission mixte paritaire n’a pas abouti.

Depuis le début de la législature, six des sept commissions mixtes paritaires relevant de la commission des lois, en revanche, ont abouti. La tension s’est néanmoins accrue ces dernières semaines entre les deux chambres, nous l’avons tous constaté.

La friction est souvent génératrice de consensus, elle est parfois nécessaire ; elle est néanmoins préoccupante. Le dialogue instauré à ce sujet entre les présidents de nos deux assemblées, la semaine dernière, en revanche, est tout à fait rassurant et, permettez-moi de le dire, hélas ! nécessaire.

Ce qui fait le Sénat, c’est sa sagesse, c’est son travail de fond, sa culture du compromis ; nul besoin d’en faire la démonstration aujourd’hui. Le Sénat est nécessaire à l’élaboration d’une loi de qualité

Mme Catherine Morin-Desailly s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

M. Arnaud de Belenet. En revanche, s’agissant des conditions nécessaires au compromis ou, à tout le moins, au débat avec l’Assemblée nationale, force est de constater que nous n’avons pas réussi ces dernières semaines à les réunir. En faire porter, mes chers collègues, la seule responsabilité sur l’Assemblée nationale ne me semble pas dans la culture, dans la tradition d’équilibre, d’honnêteté intellectuelle de notre assemblée.

Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Ce n’est pas une tradition : c’est la réalité !

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

M. Arnaud de Belenet. Ces derniers mois, j’ai souvent entendu ici que tout ce qui est excessif est insignifiant. Or l’excès et l’insignifiance, ce n’est pas le Sénat !

Même mouvement.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Nous avons entendu nos collègues députés s’exprimer : entendons-les, examinons leur posture, entendons la façon dont ils voient les choses ! §Ne me faites pas de procès d’intention ! Pas à moi !

Nous les avons entendus s’exprimer sur le fait qu’ils ne comprenaient pas un certain nombre de mots, d’expressions employés notamment dans nos communiqués de presse. §Et il est vrai qu’une certaine forme de vivacité les caractérisait.

Ils vivent très mal le dépôt d’un grand nombre de propositions de loi sénatoriales juste avant le dépôt par le Gouvernement de ses projets de loi. Entendons-les ! §J’arrête là la liste parce que je sens que je vais provoquer une irritation forte.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

M. Arnaud de Belenet. Néanmoins, entendons ce que nous disent nos collègues députés, recréons les conditions d’un dialogue avec le Sénat : c’est ainsi que nous ferons, à mon humble avis, la démonstration de la totale utilité et du caractère indispensable du Sénat à l’exercice de la démocratie et de la production de textes de loi de qualité.

M. Didier Rambaud applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, il y a quarante ans, en 1978, le Parlement adoptait l’une des premières lois protectrices des données personnelles dans le monde, faisant de la France une pionnière dans ce domaine.

Cette question, qui relève de la protection de la vie privée, de l’intimité de chacun, est devenue, avec les évolutions technologiques, tout à fait fondamentale pour l’ensemble de nos concitoyens.

Une réponse européenne était bien entendu nécessaire, plus personne ne pouvant penser que le droit national, aussi novateur soit-il, pourrait suffire à l’ère de ce que l’on peut considérer comme une révolution numérique mondiale.

Ce texte, loin d’être seulement technique, comporte de nombreux aspects politiques et la récente audition du patron-fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, devant le Congrès américain nous l’a, s’il en était besoin, confirmé.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que dans l’affaire Cambridge Analytica, ce sont les données personnelles d’au moins 87 millions d’utilisateurs de Facebook qui ont été « siphonnées », volées – peut-être ne l’avons-nous pas dit clairement – pour servir la campagne présidentielle de Donald Trump.

Le scandale Cambridge Analytica aura sans doute permis de réveiller un peu les consciences des utilisateurs d’internet et des réseaux sociaux. Cela aura au moins permis à chacun de comprendre, d’appréhender concrètement, qu’en dehors de la question de la vie privée, la protection des données personnelles constitue également un enjeu majeur pour nos démocraties.

Rappelons que l’utilisation des données des utilisateurs de Facebook par Cambridge Analytica aurait permis le basculement de trois États américains en faveur de l’élection du candidat républicain et son accession à la Maison-Blanche.

Dans ce contexte, et plus d’un an après l’adoption par l’Europe du règlement général pour la protection des données, RGPD, qui repose sur le droit fondamental que constitue, pour chaque citoyen européen, la protection de sa vie privée et de ses données personnelles, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue hélas ! à trouver un accord.

Je vais faire un peu de patriotisme sénatorial §: c’est tout à fait regrettable et le signal envoyé est aussi regrettable.

Certains de nos collègues députés ont choisi d’adopter une posture plutôt politicienne, rejetant le compromis proposé par le Sénat et ses apports.

Ce projet de loi, issu d’un règlement longuement négocié au niveau européen, n’était bien sûr pas dénué de défauts à nos yeux. Nous avions d’ailleurs fait des propositions en vue de son amélioration et regretté le manque de courage politique pour aborder par exemple les dispositions liberticides de la loi Renseignement.

Mais nous avions soutenu, sans considération partisane – vous le remarquerez –, certaines des modifications apportées par le Sénat en première lecture, notamment pour encadrer plus strictement l’usage des algorithmes par l’administration pour prendre des décisions individuelles – comme cela est préconisé dans la loi d’octobre 2016 pour une République numérique » –, ainsi que pour renforcer les garanties de transparence en la matière, par exemple pour les inscriptions dans l’enseignement supérieur – Parcoursup.

Au cours de cette nouvelle lecture, nous continuerons bien évidemment à soutenir et à défendre les amendements visant à combattre les exceptions à la loi d’octobre 2016 pour une République numérique, comme la mise en place pour Parcoursup du secret des délibérations.

Au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous entendons la complainte qui monte des rues et dans nos universités. Nous sommes sensibles aux revendications de nos étudiants et des enseignants du supérieur, notamment sur l’opacité de la sélection par Parcoursup, que cette assemblée aura, j’en suis sûre, la volonté de rejeter, comme elle l’a fait en première lecture.

Le groupe CRCE avait également souhaité que les collectivités territoriales soient mieux accompagnées dans la mise en œuvre de leurs nouvelles obligations et que la CNIL soit dotée des moyens suffisants au plein exercice de sa mission.

Tout cela a malheureusement été balayé par l’Assemblée nationale, qui a rétabli son texte en séance jeudi dernier et le rétablira encore, quel que soit le résultat de nos travaux – je le suppose…

J’avais regretté, lors de la première lecture, un texte qui manquait d’ambition ; je le regrette encore aujourd’hui. Mais à cela s’ajoute la déception de voir que, sur un sujet aussi important pour notre démocratie, pour nos libertés, le consensus ait été sacrifié sur l’autel de la politique politicienne.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes très chers collègues, « le Nouveau Monde doit apprendre de l’Ancien » :…

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

… c’est en ces termes que s’exprimait il y a quelques jours l’ancien patron de la Federal Communications Commission, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d ’ administration générale. Je croyais que c’était du Macron !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

… dans le New York Times, faisant la promotion de l’Europe dans sa conception de la protection de la vie privée.

Aujourd’hui, au lendemain de la scandaleuse affaire Cambridge Analytica, où l’on a découvert que les données de dizaines de millions d’internautes ont été détournées, ces propos prennent une saveur toute particulière. Ils doivent encore être appréciés à l’aune des aveux de Mark Zuckerberg lui-même, qui, la semaine dernière, convoqué par le Congrès, reconnaissait que, oui, Facebook avait collecté les données d’internautes n’ayant pas de compte, mais liés à des Facebookers ; que, oui, Facebook avait constitué des shadow profiles, faits confirmés par une employée de Cambridge Analytica, qui a depuis lors précisé que certaines données auraient pu servir lors de la campagne sur le Brexit.

Alors oui, le RGPD est regardé avec intérêt outre-Atlantique. Oui, certains Américains commencent à se rendre compte, en l’absence chez eux de législation sur les données, de la menace désormais avérée que font peser les géants du numérique non seulement sur la vie économique, mais également, ce qui est plus grave, sur la vie démocratique et citoyenne.

Oui, sur ces questions, et ce n’était pas l’intention à l’origine, il faut désormais réguler ! C’est le fondateur du World Wide Web, le Britannique Tim Berners-Lee lui-même, qui s’exprimait ainsi il y a quelques jours dans l’un de nos grands quotidiens nationaux, constatant que le web dans les mains de quelques géants de plus en plus monopolistiques s’éloignait dangereusement du web libre et ouvert de ses débuts.

Les événements, mes chers collègues, nous rattrapent et nous démontrent jour après jour que ce modèle économique de l’internet basé sur la captation et le profilage des données, sur la publicité et la gratuité, n’est plus viable à terme ; on a laissé se créer les conditions d’une revente sauvage, quasi incontrôlée, des données, laissant des monopoles se constituer, lesquels ne cessent d’éliminer du jeu leurs concurrents, le système s’autoalimentant par le biais de toujours plus de données traitées, renforçant toujours plus les positions dominantes.

Aujourd’hui, il faut dire stop à ces entreprises, les GAFAM, qui continueront de contester les actions juridiques lancées contre elles, qui réaffirmeront la main sur le cœur que tout ira bien. Elles ont largement outrepassé leurs droits : c’est vrai en matière de fiscalité, c’est vrai en matière de concurrence déloyale et aujourd’hui, fait nouveau et grave, elles outrepassent leurs droits en s’attaquant au cœur de ce qui fait nos systèmes démocratiques, s’immisçant dans les processus électoraux et contribuant à la manipulation des opinions. Ce n’est pas tolérable !

Dans ce contexte, le RGPD est assurément le coup de frein ; je pense qu’il ne sera efficace que s’il est accompagné d’une vraie volonté politique, madame la garde des sceaux : d’une part, accompagner avec les moyens financiers et humains nécessaires son application – le besoin de formation et d’information de nos collectivités, de nos administrations, de nos entreprises et de nos concitoyens est en effet immense – ; d’autre part, il faut qu’il soit accompagné d’une vraie prise de conscience politique qui fasse que nous ne soyons pas uniquement dans le défensif, mais que son application s’inscrive dans une cohérence d’action et une stratégie plus globale et offensive.

Or, pour l’instant, que constatons-nous ? Des incohérences entre le ministre de l’économie, qui, dans le sillage de l’action de l’Union, s’attaque aux abus de position dominante de Google et d’Apple – ce que j’approuve totalement, même si je pense que tout cela doit être accompagné d’une politique industrielle puissante –, et d’autres ministères, lesquels, pendant ce temps-là, contractualisent ou ont contractualisé aveuglément avec ces mêmes acteurs. Je l’ai dit au ministre de l’éducation nationale la semaine dernière lors d’une question d’actualité au Gouvernement. Ce dernier en est d’ailleurs convenu.

Le dernier fait en date a déjà été cité par certains de mes collègues : il s’agit de la mise en ligne sur YouTube, par la direction générale des finances publiques, sans que le citoyen-contribuable en ait été préalablement informé, d’une vidéo d’information susceptible d’offrir à Google les données de millions de Français ! Est-ce franchement sérieux ?

Non ! au banc des commissions et sur des travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

S’agissant des marchés publics portant sur le traitement des données ou la formation de nos administrations, il y a là encore beaucoup à dire. Je vous l’ai déjà dit il y a quinze jours, madame la garde des sceaux : nous exigeons un surcroît de rigueur de la part du Gouvernement dans le choix des prestataires, notamment lorsqu’il s’agit des données publiques sensibles.

Dans la même perspective, l’État doit s’inquiéter de voir certains de ses agents quitter des postes hautement stratégiques, qui celui de directeur de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui celui de directeur du numérique pour l’éducation, afin de rejoindre des entreprises exerçant – c’est avéré – un lobbying intense sur l’appareil d’État.

Qu’on se le dise : ces mouvements nous fragilisent, et j’aimerais que l’on mette un peu de déontologie là-dedans ! Cette porosité est vraiment préoccupante.

En résumé, madame la garde des sceaux, ma question est la suivante : qui coordonne le traitement de ces sujets au niveau du Gouvernement ?

Où est l’équivalent français du chief technology officer d’Obama ?

Où est le commissariat au numérique dont, préoccupés de la souveraineté de notre pays et de celle de l’Union européenne, nous avions, ici même, au Sénat, inscrit le principe dans la loi pour une République numérique ?

Où est, en tout état de cause, celui qui disposerait de suffisamment d’autorité et de poids pour assurer la transversalité de la réflexion et la cohérence de l’action gouvernementale sur ces sujets ?

Vraiment, madame la garde des sceaux, il est temps que nous sortions de cette complaisance naïve ou de ce fatalisme consistant à penser que nous avons une révolution de retard. Ces attitudes vont à l’encontre de nos intérêts supérieurs et entravent le développement d’un internet construit sur nos valeurs.

Pour cette raison, je déplore que les députés, en lien avec le Gouvernement, n’aient pas jugé bon de prendre en compte les avancées du Sénat sur ces sujets que nous connaissons bien, sur lesquels nous disposons d’une tradition de réflexion, d’anticipation et d’initiative.

Je voudrais, à cet égard, saluer le travail de notre commission des lois et celui de la commission des affaires européennes, aux travaux desquelles, d’ailleurs, j’ai pu participer.

Dois-je rappeler que la CNIL, dont nous avons fêté les quarante ans dans cette enceinte il y a quelques jours, est née sur l’initiative du Sénat ?

À ce titre, nous pensions que nous pouvions améliorer, sur quelques sujets, ce texte de transposition de directive. Le traitement des masses de données et l’intelligence artificielle exigent une transparence absolue des plateformes et des algorithmes utilisés, seule condition de la neutralité. De même faut-il garantir une liberté de choix des fournisseurs de logiciels ou de services nécessaires au fonctionnement de ces derniers. Tel était le sens des amendements que j’ai portés au nom de notre groupe, le groupe Union Centriste, et que vous avez boudés, madame la garde des sceaux.

Je remercie Mme la rapporteur d’avoir compris ce sens et, par ailleurs, d’avoir voulu améliorer ce texte, en concertation avec l’ensemble des sénateurs, pour ce qui concerne les collectivités territoriales.

S’agissant, en quelques mots, de la plateforme Parcoursup, il y a quelques semaines, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, avec le rapporteur Jacques Grosperrin, nous avions abordé la question de la transparence des algorithmes de traitement, mais sans aboutir à une solution satisfaisante. À la demande du Gouvernement, auteur d’un amendement de dernière minute, et dans un souci d’apaisement et de sécurisation des acteurs, alors que la plateforme était déjà active et utilisée par les étudiants, nous avions accepté une exception aux règles de publicité pour Parcoursup.

Mais on voit bien que cette question de la transparence des algorithmes n’était pas traitée ; or elle reste centrale dans le fonctionnement de la nouvelle plateforme, ceci ne retirant rien, bien sûr, au respect dû au travail des universités et au secret des délibérations.

Dernier point : je viens de déposer une proposition de résolution européenne sur ce que je considère comme un angle mort du RGPD, à savoir la question des objets connectés. Tout, demain, transitera par eux, et notamment nos données les plus sensibles ; la question de leur certification est donc posée, ainsi que celle de la définition d’une politique industrielle en la matière.

À défaut d’avoir voulu réformer nos règles économiques et nos règles de concurrence au niveau européen, il va nous falloir être beaucoup plus offensifs sur ce sujet.

En tout état de cause, mes chers collègues, l’intensification des problèmes sur lesquels j’ai voulu insister au nom de mon groupe est inexorable.

Pour conclure, je voudrais saluer le rôle majeur qu’a joué la CNIL dans cette affaire. Le dynamisme et la clairvoyance de sa présidente ont fait jouer à la France un rôle majeur. Notre pays a été moteur dans l’élaboration de ce règlement et a aiguillonné le G29 dans le bon sens.

Mon dernier mot est pour notre rapporteur : exigeante, constructive, à l’écoute, elle a su faire progresser ce texte utilement.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Robert applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.