Intervention de Yannick Botrel

Réunion du 19 avril 2018 à 10h30
Prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nos concitoyens – chacun le sait ici – sont attentifs et très concernés par ce qui touche à l’évasion et l’optimisation fiscales agressives. Le sujet dont nous débattons se trouve donc au cœur des préoccupations et des attentes citoyennes.

Après un examen en commission des finances, nous sommes réunis ce matin pour débattre du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales entre pays dans le but de prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Ce texte, technique au fond, est au croisement de deux sujets d’actualité marquants, sur lesquels il me semble nécessaire de revenir avant d’aborder le cœur du sujet.

C’est tout d’abord l’évolution de l’économie, qui se mondialise encore davantage sous l’influence de la numérisation de nos sociétés. La progression de cette tendance sur une dizaine d’années est impressionnante.

Récemment, Marck Zuckerberg, créateur et président-directeur général de Facebook, en a été l’illustration, comme on l’a vu à l’occasion de son audition par le Parlement américain dans le cadre du scandale Cambridge Analytica.

Si cela peut sembler, de prime abord, un peu loin du sujet, je crois au contraire qu’il s’agit du fondement même de la problématique. Ce scandale récent concerne 87 millions d’utilisateurs de ce réseau social à travers le monde, dont 200 000 Françaises et Français.

En second lieu, une autre donnée chiffrée est intéressante : la société Facebook revendiquait, à la fin de l’année dernière, 2, 13 milliards de comptes utilisateurs actifs. Or, chacun a en mémoire le débat créé par la localisation fiscale des activités de cette entreprise.

Si j’évoque cela, mes chers collègues, c’est pour mettre en lumière brièvement, même si ce sujet mériterait des développements plus importants, le poids économique et sociétal des géants de l’internet, les « GAFA » – Google, Apple, Facebook, Amazon… –, dans le monde et dans nos économies en particulier. Leur émergence a considérablement renforcé la prégnance des firmes multinationales, ce qui a entraîné – d’aucuns s’accordent à le reconnaître – des pratiques de fraude et d’optimisation fiscales extrêmement agressives.

Je ne reviendrai pas sur l’absolue nécessité qu’il y a de lutter contre la fraude fiscale ; nous en sommes, j’en suis certain, toutes et tous intimement convaincus dans cet hémicycle.

Nous sommes cependant aujourd’hui dans une situation improbable, une sorte d’entre-deux. Des initiatives concrètes ont pu être élaborées pour réguler ces comportements. Je pense notamment à la taxe Google encore défendue récemment ici même, notamment par le groupe des sénateurs socialistes. Je pense aussi à la proposition de loi du groupe socialiste et républicain visant à la suppression du « verrou de Bercy », qui sera prochainement examinée par notre Haute Assemblée.

Les opinions publiques ont été choquées et ulcérées par la révélation des récents scandales de fraude fiscale révélés par les « Panama papers » et les « Paradise papers », qui ont défrayé, à juste raison, la chronique.

La réalité en la matière, même si cela est déplaisant, c’est que, malgré des avancées, nous sommes aujourd’hui loin du compte et qu’il nous faut encore progresser.

C’est dans ce contexte que nous examinons ce projet de loi de ratification, qui découle de l’initiative dite BEPS, portée par l’OCDE, dont l’action 15 est ainsi traduite en droit positif.

En quoi ce projet est-il opportun et bienvenu ? Il s’agit en premier lieu d’une question de méthode. Nous le savons, la lutte contre la fraude fiscale est un domaine dans lequel la coopération internationale peut être difficile et où les comportements opportunistes, égoïstes, de certains États sont une difficulté qu’il faut dépasser.

À cet égard, la perspective d’une convention multilatérale apparaît parfaitement intéressante.

Concrètement, la signature de cette convention multilatérale procédera à la modification d’un nombre important de conventions bilatérales. Cela nous épargnera une procédure classique, qui durerait, selon les estimations disponibles, au moins une vingtaine d’années, si du moins il fallait examiner séparément ces conventions. En ces temps d’engorgement de l’ordre du jour du Parlement, il s’agit d’un point qu’il convient de souligner.

S’agissant du fond, ce texte s’appliquera aux conventions conclues entre les parties signataires et modifiera le contenu et la portée de certaines stipulations des conventions bilatérales.

La convention contient des mesures obligatoires – des standards minimums – visant à modifier le préambule des conventions fiscales, à insérer une clause anti-abus de portée générale et à moderniser la procédure de règlement des différends.

Plus explicitement, ce texte permet de s’assurer que les bénéfices sont imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les engendrent et là où la valeur est créée, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales bilatérales. Il permettra l’évitement artificiel du statut d’établissement stable, tout en améliorant les règles fixant le cadre du règlement des différends en cas de double imposition.

Tout au plus, je ne peux que regretter qu’à ce stade les États-Unis refusent d’intégrer la démarche, confirmant de la sorte une forme d’unilatéralisme très contestable.

Le Gouvernement nous demande d’autoriser la ratification de cette convention multilatérale, sur laquelle la France souhaite, par ailleurs, exercer sur plusieurs points son droit de réserve afin de préserver ses intérêts légitimes.

Sur le fond je ne vois pas d’argument qui pourrait conduire à ne pas voter le présent projet de loi visant à autoriser le Gouvernement à ratifier cette convention, que le groupe socialiste et républicain juge nécessaire dans le contexte actuel, pour ne pas dire plus…

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