Intervention de Emmanuel Capus

Réunion du 19 avril 2018 à 10h30
Prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Emmanuel CapusEmmanuel Capus :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est remarquable à plusieurs égards.

Sur la forme d’abord, cela a été dit, il constitue un outil juridique unique en droit international. C’est une sorte d’accélérateur juridique, qui vise à modifier d’un seul coup le réseau des conventions bilatérales. Sans s’y substituer, il se superpose aux conventions fiscales existantes, dont il modifiera les stipulations et l’interprétation.

À un moment où le multilatéralisme est partout remis en question, cet instrument flexible et inédit prouve une fois encore que le consensus est la meilleure façon de faire avancer un agenda d’intérêt commun. Le climat, le commerce, le numérique comme ici l’évitement fiscal international sont des enjeux globaux, qui nous imposent de revitaliser les mécanismes du multilatéralisme.

Sur le fond, cet instrument constitue une avancée majeure contre les phénomènes d’évitement de l’impôt, qui présentent un risque à la fois économique et démocratique pour nos pays. Je voudrais saluer ici le rôle d’un Français, Pascal Saint-Amans, qui au sein de l’OCDE a été la figure de proue du projet BEPS et l’un des principaux promoteurs de ce texte.

En faisant primer des normes communes sur les intérêts économiques des parties, cette convention bouleverse la logique des conventions fiscales bilatérales classiques. En mettant au premier plan les notions de transparence et de sécurité juridique, elle tente de mettre fin aux failles du droit, qui permettent, pour les États, le dumping et, pour les entreprises, l’évitement fiscal.

Ce changement de logique est le bienvenu. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires, attaché à la justice fiscale internationale, le soutient et votera en faveur de ce projet de loi de ratification.

Néanmoins, comme l’a fait avant moi le rapporteur général, je souhaiterais mettre l’accent sur plusieurs points de vigilance qui méritent, je crois, d’être soulevés.

Premièrement, je déplore que la question de la fiscalité du numérique ne soit pas ou soit peu abordée dans cette convention.

Les divergences entre les États sur la question de la taxation des géants du net ont empêché que le « paquet BEPS » ne contienne des propositions concrètes en la matière. L’action 1 du BEPS prévoit seulement la remise d’un rapport sur le sujet ; ce rapport a été publié le 16 mars dernier et se contente de présenter les différentes pistes possibles, tout en prenant acte de l’absence de consensus au niveau international.

Cette absence de consensus est extrêmement préoccupante. Elle signale que la communauté internationale est très loin de mettre en place un dispositif commun.

Comme en matière de protection des données, l’Union européenne devra donc, rapidement, adopter une position unie et forte afin de pouvoir faire entendre sa voix au niveau international. Elle doit aller plus loin que les expédients récemment trouvés : je veux parler de la taxe à 3 % sur le chiffre d’affaires des GAFA, qui doit être une solution transitoire. Il faut que l’Union soit maintenant plus ambitieuse et propose une refonte de la notion d’établissement stable, adaptée à l’économie numérique.

Deuxièmement, je m’inquiète des effets de cette convention sur les entreprises françaises petites et moyennes - les PME - et de taille intermédiaire – les ETI -, qui ont été peu associées à son élaboration. J’ai rencontré un certain nombre de dirigeants d’entreprises de taille intermédiaire, qui s’inquiètent notamment des dispositions relatives aux prix de transfert. Les ETI françaises ont déjà été frappées de plein fouet par la loi Sapin II, qui a abaissé fortement le seuil applicable pour la déclaration des prix de transfert. Ce fardeau normatif pèse à présent de la même manière sur les grands groupes que sur les PME internationalisées, qui ont des équipes et des moyens plus restreints pour y répondre.

J’appelle donc la France à faire, dans son interprétation des dispositions de la présente convention, une place au statut particulier des PME et ETI. J’appelle à l’avenir à ce que ce type d’entreprises soit plus souvent consulté lors de l’élaboration des conventions internationales, auxquelles elles sont soumises comme les grands groupes.

Pour conclure, cette convention est une grande avancée dans la lutte contre l’évitement fiscal et participe de la nécessaire revitalisation du multilatéralisme en la matière. Néanmoins, sa flexibilité, qui est une force en ce qu’elle a permis de fédérer une large coalition, ne doit pas se transformer en faiblesse.

Si cette convention se transforme en régime international mouvant, ou à la carte, si les États ne font pas de la sécurité juridique une priorité dans son application, si, enfin, elle devient un prétexte pour ne plus avancer sur le chemin de la transparence fiscale, alors, mes chers collègues, nous aurons échoué.

Cette convention n’est pas une fin en soi ; elle doit être la première pierre d’un régime fiscal international plus juste, plus équitable et plus coopératif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion