Intervention de Didier Rambaud

Réunion du 19 avril 2018 à 10h30
Prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier RambaudDidier Rambaud :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à voter un article unique autorisant la ratification d’une convention.

Cette convention marque les progrès réalisés par la communauté internationale en matière de fiscalité des entreprises et de lutte contre les stratégies d’évitement de l’impôt. Ces stratégies se nourrissent du manque de coopération internationale et des différences entre les règles fiscales nationales et internationales, elles consistent à déplacer artificiellement la base taxable.

Évidemment, ces questions liées aux stratégies d’évitement se sont posées avec l’évolution de l’économie, qui s’est – comme chacun le sait – mondialisée.

L’enjeu de la coopération internationale en matière de fiscalité est bien de régler la contradiction entre une économie qui facilite la mobilité des marchandises, des services et des capitaux et un ensemble de juridictions fiscales segmentées qui, à partir d’un territoire délimité, cherchent à réguler, à capter les bénéfices, les produits définis par leurs règles fiscales.

Cette évolution remet en question les critères utilisés pour la répartition des compétences fiscales entre États. Elle remet aussi en question la validité des conventions fiscales bilatérales qui ont pour objectif d’éviter la double imposition d’un même bénéfice.

La question se pose dans un contexte où les groupes recherchent l’optimisation fiscale : la circulation des dividendes sans imposition, la récupération des pertes, la localisation des bénéfices là où il est le plus intéressant de le faire… Les moyens sont divers : la sous-capitalisation, qui consiste à prêter des fonds à sa filiale pour éviter la taxation de dividendes, ou encore le transfert de revenu compte à compte.

Les pertes de recettes imputables au phénomène d’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices sont estimées à un montant compris entre 100 milliards et 240 milliards de dollars par an, soit entre 4 % et 10 % des recettes de l’impôt sur le bénéfice des sociétés à l’échelle mondiale. Ce n’est ni acceptable pour nos finances publiques ni conforme à notre pacte social et au respect des principes républicains.

La règle doit être simple : les profits doivent être taxés là où se situe l’activité économique permettant leur réalisation et la création de valeur. Mais une fois cette règle énoncée, il convient de l’actualiser, puis de la transcrire juridiquement et politiquement. C’est ce à quoi s’est attachée l’OCDE.

La convention dont le présent projet de loi autorise la ratification reconnaît le travail de l’OCDE sur le dossier de l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises et des transferts de bénéfices. Ce travail doit beaucoup à l’impulsion politique du G20, dont les États représentent 85 % du PIB mondial et 75 % du commerce mondial – je le dis en particulier à ceux qui doutent du multilatéralisme actuel.

En 2015, le G20 a approuvé les rapports BEPS, issus du plan d’action de l’OCDE de 2013. À travers trois focus groups, l’OCDE s’est penchée sur les sujets centraux de fiscalité internationale : les règles de territorialité et la notion d’établissement stable, les retenues à la source, le concept de résidence, les prix de transfert ou encore les mesures anti-abus. Au final, ce sont quinze rapports, quinze actions élaborées par l’OCDE.

L’action 15 prévoit l’intégration de ces avancées au sein d’une convention multilatérale. La France prévoit, dans ce cadre, de notifier 88 conventions fiscales existantes.

Il ne vous aura pas échappé que les conséquences de la signature par la France de cet instrument se font déjà sentir : ainsi, une nouvelle convention avec le Luxembourg a été négociée. Elle reprend la définition large de l’établissement stable issue des travaux BEPS. En matière immobilière, elle modifie des règles qui donnaient des avantages injustifiés aux investisseurs luxembourgeois. En matière de double imposition, elle prévoit que les revenus d’un résident français imposable au Luxembourg sont imposés en France avec déduction du montant de l’impôt payé en France, mais sans exonération des profits reçus au Luxembourg – une mesure inédite par rapport au contenu traditionnel des conventions fiscales.

Enfin, des mesures anti-abus sont insérées, comme le refus d’octroi des avantages conventionnels, si l’octroi de tels avantages était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction.

Je crois que nous assistons à la fin d’un moment aberrant, où des conventions fiscales étaient utilisées en totale contradiction avec leur objet même : régir la situation fiscale des particuliers et des entreprises, qui ont le droit à une situation juridique claire et juste. C’est ce à quoi s’est engagé le Président de la République, il l’a rappelé dimanche dernier.

Mes chers collègues, la ratification de cette convention constitue une avancée majeure dans la réécriture du droit fiscal international, mais elle n’est qu’une étape dans un cadre complexe, divers et imbriqué.

Les mesures s’accélèrent au sein de l’Union européenne et tendent vers une harmonisation si longtemps espérée. Cette harmonisation demande des efforts à tous les États membres – y compris la France –, dont certaines règles sont spécifiques, notamment sur l’intégration fiscale.

Au niveau national, le projet de loi de lutte contre la fraude, qui sera débattu en première lecture ici au Sénat, sera l’occasion d’affirmer les principes du pacte républicain, en particulier l’idée que la « contribution commune […] doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Les sénateurs du groupe La République En Marche voteront le projet de loi autorisant la ratification de la convention de l’OCDE en débat aujourd’hui et soutiendront sans réserve la démarche du Gouvernement au niveau international, européen et national.

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