Intervention de Delphine Gény-Stephann

Réunion du 19 avril 2018 à 10h30
Prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Delphine Gény-Stephann :

Monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord pour vos interventions, vos commentaires et l’ensemble des points de vigilance sur lesquels vous m’avez alertée dans ce débat. Celui-ci, je le crois, a soulevé les bons problèmes et montre aussi qu’il existe sur ces travées un soutien fort à l’action de la France et l’action internationale dans la lutte contre la fraude fiscale, et je m’en réjouis.

Je voudrais revenir sur quatre sujets qui ont été évoqués à plusieurs reprises dans les interventions.

Le premier sujet concerne les options choisies par le Gouvernement en ce qui concerne les établissements stables, un thème central de cette convention.

Le Gouvernement a choisi une démarche cohérente qui consiste à retenir l’ensemble des options de la convention sur les établissements stables, puisque ces options répondent pleinement à l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale que nous cherchons à atteindre. Celles-ci sont directement issues du projet BEPS de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques et permettent la remise en cause des schémas d’optimisation.

Par ce choix, les entreprises étrangères ne pourront plus recourir au schéma dit « de commissionnaire » pour localiser artificiellement leurs activités commerciales à l’étranger et ne pas acquitter l’impôt sur les sociétés en France. Il s’agit d’une première réponse aux pratiques d’optimisation des acteurs de l’économie numérique. Je sais bien que ce n’est pas une réponse complète ou définitive. C’est pourquoi j’y reviendrai un peu plus tard.

Les options retenues par le Gouvernement à propos des établissements stables permettent également de lutter contre la fragmentation artificielle des fonctions des entreprises au sein de plusieurs entités, quand elles œuvrent sur un même chantier dans le but d’échapper à la reconnaissance d’un établissement stable. Cette option s’inscrit dans une démarche objective et cohérente d’anti-abus, afin d’éviter qu’un groupe international ne planifie son activité en France à travers plusieurs entités et échappe ainsi indûment à l’impôt.

J’ai bien entendu les craintes spécifiques que certains d’entre vous ont exprimées sur cette option : vous avez peur que certaines de nos entreprises ne soient imposées à l’étranger, alors qu’elles n’y ont pas d’établissement stable aujourd’hui.

Il faut toutefois rappeler qu’en vertu de certaines de nos conventions bilatérales, un établissement stable de chantier est aujourd’hui d’ores et déjà constaté lorsque la présence de l’entreprise à l’étranger est supérieure à six mois, voire trois mois pour certaines d’entre elles. Vous comprendrez donc bien que cette règle de fractionnement ne viendra pas changer l’état du droit pour les grands chantiers emblématiques qui, parce qu’ils durent plusieurs années, sont de toute façon déjà imposés dans l’État où ils sont localisés.

En outre, le fait de reconnaître un établissement stable ne conduira pas à attribuer l’ensemble des profits y afférent à l’État sur le territoire duquel le chantier est situé. Une répartition du profit sera réalisée en fonction de la valeur ajoutée créée sur place et en France. Une partie importante de ce profit restera donc taxable en France.

Par ailleurs, comme l’a affirmé l’OCDE, la nouvelle définition de l’établissement stable a d’abord une visée anti-abus et ne modifie ni les règles d’allocation des profits aux établissements stables ni la répartition des droits d’imposer hors montages abusifs. De ce fait, elle ne devrait pas se traduire par un transfert significatif de matière imposable.

La France n’est pas le seul pays développé à avoir retenu cette option sur la fragmentation des contrats : des États comme les Pays-Bas, l’Irlande, la Norvège, l’Australie, l’Argentine, Israël ou la Nouvelle-Zélande l’ont également fait. Je vous garantis que le Gouvernement sera tout particulièrement vigilant à ce que ces stipulations ne soient pas détournées par certains États pour s’adjuger, à notre détriment, une imposition plus importante que celle qui leur est due.

Le deuxième sujet a trait à la sécurité juridique des opérateurs. Comme je l’ai indiqué, le Gouvernement est parfaitement conscient de l’importance de garantir la sécurité juridique de nos opérateurs économiques. Notre souhait est de lever toute ambiguïté quant à l’interprétation qui devra être faite de l’articulation entre la convention multilatérale et les conventions fiscales bilatérales.

C’est pourquoi l’administration fiscale publiera des versions consolidées des conventions fiscales bilatérales qui intégreront les effets de la convention multilatérale. Ces versions consolidées garantiront l’intelligibilité de la norme et participeront à la bonne information des contribuables sur leurs obligations fiscales. En revanche, elles ne constituent pas formellement une interprétation de l’administration et ne sauraient par conséquent lui être opposables.

Permettez-moi de vous apporter une information complémentaire : dans le cadre de l’élaboration de ces conventions consolidées, l’administration fiscale va recenser les difficultés nécessitant une interprétation, qui feront l’objet d’une publication au BOFiP. Dans le cadre de ce travail de préparation de cette publication, une consultation en amont des acteurs économiques permettra non seulement d’identifier les questions qu’ils se posent, mais aussi de les couvrir par cette publication interprétative et donc opposable.

Par ailleurs, les réponses aux demandes de rescrit et, le cas échéant, les instructions fiscales commentant la convention multilatérale constitueront une garantie opposable à l’administration de nature à assurer la pleine sécurité juridique des opérateurs économiques.

Le troisième sujet porte sur l’importance de l’information du Parlement, compte tenu du caractère encore non définitif et évolutif de l’impact de la convention multilatérale. Le Gouvernement s’engage à informer chaque année le Parlement – je l’ai dit – des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l’égard des conventions fiscales. Cette information sera délivrée dans le rapport annuel portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances.

Je comprends tout à fait les remarques des uns et des autres sur le retard pris par le Gouvernement dans la remise de ces rapports : c’est pourquoi je m’engage à ce que ledit rapport soit bien remis chaque année. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que le retard accumulé dans la production de ce rapport annuel est en passe d’être rattrapé grâce à la remise imminente d’une version couvrant les années 2015 et 2016.

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