Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un débat ô combien important, et je vous remercie de l’avoir inscrit à votre ordre du jour.
Je ne puis pas ne pas remercier, à mon tour, Jacky Deromedi, d’autant que tous ses collègues sénateurs des Français établis hors de France sont très mobilisés sur le sujet. Néanmoins, cette question concerne tous les territoires et elle concerne, en France aussi, de nombreux cas. J’en ai moi-même été saisi, et des témoignages du type de celui que l’on a entendu au cours de la séance, que je connaissais, me parviennent de différents départements.
Aussi, je me félicite, au nom du Gouvernement, de la tenue de ce débat, qui souligne que le Sénat et l’Assemblée nationale sont pleinement mobilisés. Le Gouvernement est à l’unisson de cet engagement. D’ailleurs, ce vote, qui devrait être unanime ou presque, sera de nature à conforter les démarches que le Gouvernement entreprendra ; il est important pour montrer l’adhésion du Parlement à cette action.
La situation des « Américains accidentels » est, hélas, bien connue des ministères, tant du quai d’Orsay que de Bercy. La chronologie des événements a été rappelée et, depuis 2016, un certain nombre de démarches ont été entreprises, sans rencontrer, reconnaissons-le, un grand succès.
Revenons à la genèse de tous ces problèmes. Je le répète, nous faisons face à des situations ubuesques, kafkaïennes ou, en tout cas, inextricables, auxquelles nous devons apporter des réponses. C’est le résultat de plusieurs dispositifs, dont l’effet cumulatif a bien été rappelé.
Tout d’abord, en matière de fiscalité, chaque pays est souverain et les États-Unis connaissent le principe de l’imposition sur le fondement de la citoyenneté. Or celle-ci peut s’acquérir par la seule naissance sur le sol américain, cela a été dit. Des citoyens français, qui ont aussi la nationalité américaine, sont ainsi tenus par le droit américain de procéder à une déclaration de leurs revenus auprès des services fiscaux américains et d’acquitter, le cas échéant, les impôts dus. Il en va de même, d’ailleurs, pour tous les citoyens américains résidant en France.
En application de la convention fiscale bilatérale conclue entre la France et les États-Unis en vue d’éviter les doubles impositions, c’est seulement dans les cas où l’impôt français est inférieur à celui qui est dû aux États-Unis ou dans les cas où certains revenus ne sont pas imposés de façon effective en application du droit fiscal français, alors qu’ils le seraient aux États-Unis, qu’une imposition complémentaire peut être demandée par les autorités fiscales américaines.
Ainsi, le fait d’être un « Américain accidentel » n’engendre pas ipso facto une imposition si le niveau d’imposition en France est supérieur à celui des États-Unis, toutes choses égales par ailleurs – mais les choses ne sont pas égales par ailleurs, puisque les procédures de définition de l’impôt diffèrent, j’y reviendrai.
Le second fait générateur réside dans la signature, le 14 novembre 2013, par la France et les États-Unis, d’un accord intergouvernemental, dit « accord FATCA ». À cet égard, le Sénat étant, je le sais, très attaché à la langue française, je propose que, plutôt que de parler de l’accord ou de la loi « FATCA », nous trouvions un acronyme francophone. Je propose « CCBE », car la traduction de FATCA correspond à la loi sur la « conformité des comptes bancaires à l’étranger ». Nous nous rejoindrions alors dans la défense de notre belle langue française !
Cet accord, entré en vigueur en octobre 2014 – Jean-Yves Leconte et Françoise Laborde rappelaient les travaux menés par la commission des finances à cette occasion –, visait à lutter contre l’évasion fiscale, un objectif qui n’est pas contestable en soi, mais qui, on le voit, a des effets pervers. Cet accord fixait un cadre pour l’échange automatique d’informations fiscales permettant de garantir une sécurité juridique des institutions financières françaises.
Il faut aussi avoir en tête que la France n’a pas signé un accord asymétrique pour le plaisir ; un certain nombre de nos institutions financières étaient exposées à des amendes considérables si nous ne trouvions pas un terrain d’entente. Je reconnais toutefois que le terrain d’entente est asymétrique ; c’est bien ce qui pose problème – on y reviendra d’ailleurs, car le dialogue transatlantique est assez riche en matière d’asymétrie et d’extraterritorialité…
Pour répondre à la question de Joël Guerriau, notons que la plupart des partenaires des États-Unis, notamment en Europe, se sont organisés pour faciliter la mise en œuvre de ce dispositif FATCA dans le cadre d’accords bilatéraux : c’est le cas notamment du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie, du Canada, du Mexique, du Japon et de la Suisse.
Le Trésor américain indique que 113 pays au total ont signé le même type d’accord que la France. La mise en œuvre de l’accord bilatéral a conduit les institutions financières françaises à réclamer à leurs clients doubles nationaux souhaitant accéder à certains produits financiers des justificatifs qui attestaient de la régularité de leur situation auprès des services fiscaux américains.
Pour certains de nos compatriotes qui possèdent également la nationalité américaine du fait de leur naissance sur le sol américain, l’impact de ce dispositif a pu devenir un casse-tête administratif et financier. En l’absence de lien substantiel avec les États-Unis, pays dans lequel ils ne résident pas la plupart du temps, ils rencontrent des difficultés pour fournir les informations exigées par les établissements financiers français, notamment un numéro d’identification fiscale américain.
Conscients de ces difficultés, nous avons exploré avec le ministère des finances différentes pistes, qui recoupent d’ailleurs assez largement celles qui sont recommandées dans le projet de résolution. Ce débat est pour le Gouvernement l’occasion de dresser un bilan d’étape, et j’espère que nous pourrons régulièrement faire le point sur les avancées de notre diplomatie, à l’occasion de questions orales sans débat, de questions d’actualité ou d’autres voies et moyens que vous jugerez utiles.
J’ai bien entendu l’appel assez général en faveur d’une diplomatie forte : elle le sera d’autant plus qu’elle pourra s’appuyer sur votre action, mesdames, messieurs les sénateurs. Je salue d’ailleurs la diplomatie parlementaire mise en œuvre par Antoine Lefèvre il y a quelques semaines, à l’occasion de la visite d’État du président Macron.