Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la France a la chance de bénéficier des institutions de la Ve République, lesquelles nous ont permis d’avoir un régime politique stable. La Ve République a fait la preuve de sa robustesse ; celle-ci n’est plus à démontrer.
Ces institutions, que d’aucuns voudraient bouleverser, ont évité à notre pays de connaître des crises politiques majeures, l’instabilité politique ou, comme nos amis italiens, la paralysie politique, source de fragilités dont l’histoire a pu nous apprendre qu’elles peuvent se révéler dramatiques dans certaines circonstances.
Parmi les raisons essentielles qui fondent notre régime actuel figure la recherche d’un équilibre entre la légitimité présidentielle, voulue par son premier Président et destinée à doter les institutions d’un garant et d’un arbitre, et la légitimité des parlementaires, chargés d’écrire la loi et de contrôler l’action du Gouvernement. Ils sont nos blocs de marbre qui fondent nos institutions et qui ont pu admettre et supporter les nombreuses révisions de notre Constitution, et ce sans que soit remise en cause cette mécanique délicate construite autour de cet équilibre.
À ce jour, vingt-quatre révisions ont permis d’en peaufiner le fonctionnement et de l’adapter aux nouvelles réalités, notamment européennes. Mais elles ont surtout affiné le rôle du Parlement. Sans redevenir source d’instabilité politique comme sous la IIIe et, plus encore, la IVe République, elles ont renforcé ses moyens d’exercer au mieux son rôle d’artisan de la loi et de contrôleur de l’exécutif. Parmi celles-ci, la réforme de 1974 permettant à soixante sénateurs ou soixante députés de déférer une loi devant le Conseil constitutionnel ne fut pas la moindre. Depuis 1995, le Parlement siège en session unique ; depuis 2008, ses pouvoirs de contrôle ont été rénovés en profondeur et son fonctionnement a gagné en liberté et en modernité.
Pour autant, il serait dommageable de rester béat : la Ve République souffre de maux qui lui sont propres, et ses institutions ont connu leur part de dérèglements. Songez donc au passage du mandat présidentiel au quinquennat en 2000 et à l’unanimisme ou au quasi-unanimisme qui a prévalu à l’époque et sur lequel nous aurions dû nous interroger. Le couplage entre le moment présidentiel et le moment législatif qui en a résulté a peut-être écarté les risques de cohabitation, mais il l’a fait au prix de l’abaissement et, au final, de l’affaissement de l’Assemblée nationale en transformant l’élection législative en une réplique et, finalement, en une homothétie de l’élection présidentielle, ce qui réduit en termes de temps et d’enjeux le débat relatif aux élections législatives qui suit de quelques jours la consécration présidentielle. Pour autant, il y a bel et bien des améliorations depuis le « parlementarisme rationalisé » des origines de la Ve République vers un « parlementarisme rationnel ».
De son côté, l’actuel chef de l’État et l’exécutif laissent entendre que cette direction n’est pas la bonne. À ce stade, les annonces faites sur la prochaine réforme constitutionnelle semblent indiquer que l’exécutif serait insuffisamment doté des outils nécessaires pour gouverner. En tout cas, tel est le credo présidentiel. Qui peut croire sérieusement que la Constitution forgée par le général de Gaulle souffrirait presque d’un excès de parlementarisme ?
Un argument massue est avancé : rendre le travail du Parlement plus efficace. « Plus, plus vite », nous dit-on. La commission mixte paritaire n’aboutit pas ? Eh bien, finissons-en au plus vite ! Le projet de loi de finances fait l’objet de discussions prolongées ? Une perte de temps inutile ! Cet amendement n’a qu’un lien indirect avec le texte discuté ? Il n’a pas lieu d’être !
Soyons francs, ce prurit réformateur ne me paraît pas compatible avec le cœur et l’essence même du travail parlementaire qui, par nature, demande du temps. En tout état de cause, il ne doit pas conduire à limiter la capacité du Parlement à remplir son rôle, celui que lui avait assigné le constituant, à savoir élaborer la loi et contrôler l’action du Gouvernement.
Or, pour faire la loi, il faut certes de la rigueur, du dialogue, mais aussi, et surtout, du temps. L’un ne peut se faire sans l’autre. Nous avons tous des exemples de lois express, bâclées par une mauvaise impatience et tronquées par une précipitation. Songez que la loi de 1881 sur la liberté de la presse a été discutée devant le Parlement pendant près de six mois ; la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, devant laquelle notre collègue Requier a fait sa génuflexion