Il est probable que le temps qui s’est révélé nécessaire à l’élaboration de ces lois ait fortement favorisé leur pérennité. Sur chacun de ces sujets, le temps consacré par le législateur aux débats n’a pas été perdu. Au contraire, il a été source d’enrichissement de ces textes, à la fois par des questionnements, des confrontations, des apports en termes de contenu et par l’onction mûrement réfléchie de la représentation nationale.
Un autre aspect préoccupant de la réforme des institutions promise par l’exécutif est l’affaiblissement du Sénat.
Notre « grand Conseil des communes de France », comme l’exprimait Gambetta, est trop souvent présenté comme un poids dans le processus législatif, voire un obstacle à la réalisation de l’intérêt général.
Quoi qu’en dise, par lapsus ou non, le Gouvernement, madame la garde des sceaux, il y a un risque qui n’est pas fantasmé : le pouvoir exécutif, emporté en quelque sorte par l’hubris présidentielle, à laquelle peut être soumise toute personne qui se sent consacrée, cherche à diminuer le rôle du Parlement par la réduction du droit d’amendement ou par la reprise en main de l’ordre du jour. Au bout du compte, le Gouvernement considère que cet espace commun consacré à la délibération que constitue le Parlement est un attribut superfétatoire ou un élément décoratif.
Le temps nécessaire à la délibération est la condition de forme pour que le Parlement soit véritablement le lieu solennel et souverain dévolu à la fonction législative.
« Les mots savent de nous des choses que nous ignorons d’eux », écrit le poète. C’est aussi vrai pour le débat parlementaire. En effet, la délibération permet souvent d’aboutir à une position ou à une analyse que l’on n’aurait pas eue tout seul ou que l’on n’avait pas eue initialement. Nous devons donc sanctuariser ce lieu.
Le Sénat n’est certes pas un pouvoir d’opposition systématique, pas plus qu’un contre-pouvoir stérile : s’il peut être parfois un contrepoids, il est surtout un lieu de propositions et d’enrichissement de la loi.
Madame la garde des sceaux, on n’a jamais vu un pouvoir périr de trop de débats. En revanche, on voit des pouvoirs s’atrophier en cédant à la tentation présidentielle du monologue, fût-il agrémenté et festonné des apparences du débat.
Il est certain que la tentation présidentielle de décider seul est forte, mais c’est précisément notre rôle de mettre en garde contre ce prurit, qui ne peut qu’aboutir à une fausse réponse et, au final, à affaiblir la démocratie parlementaire – pléonasme précieux –, à laquelle nous tenons, madame la garde des sceaux.