Ne pensant pas être doté de capacités divinatoires, je parlerai du sujet tel que je l’analyse et de ma réflexion actuelle.
On peut, me semble-t-il, aborder cette question sous deux angles principaux : d’une part, la contribution ou la collaboration de l’exécutif et du Parlement pour fabriquer la loi, pour établir la norme et, autant que possible, la rendre pertinente et, d’autre part, la capacité des deux à dialoguer lorsque le Parlement, au nom du peuple, exerce une fonction de contrôle. Sommes-nous, à l’heure actuelle, dans une situation inquiétante ou acceptable qui justifierait toutefois des perfectionnements ?
Concernant la contribution des deux composantes à la fabrication de la loi, j’observe dans tous les pays – je dis bien : tous les pays – une prééminence, une force d’initiative universelle de l’exécutif pour préparer les projets de loi, y compris dans les régimes facialement les plus parlementaires. Si vous prenez de temps en temps quelques minutes pour observer la vie politique et institutionnelle britannique, rien n’est plus évident.
Il y aura toujours un équilibre ou plutôt en réalité – soyons francs entre nous – un déséquilibre entre l’initiative gouvernementale et l’initiative parlementaire pour l’engagement d’une proposition législative. En revanche, pour ce qui est du travail sur le projet, l’objet, la finalité sont, je le rappelle, une condition de la loyauté et de la transparence du débat parlementaire. Si l’objet même de la loi se transforme à mesure d’apports plus ou moins désordonnés, cela perturbe et dénature les conditions de réflexion et de prise de position personnelle, intime, de chaque parlementaire. Il est donc cohérent et éthique du point de vue de la mission même du législateur de cadrer et de fixer les termes de l’objet législatif et du processus qu’il va traverser.
Le droit d’amendement est-il un droit d’expression absolue ? Est-ce sa finalité, sa mission pour construire la loi ?
L’amendement n’a pas, me semble-t-il, pour vocation d’alimenter simplement un commentaire de la loi ou un discours d’accompagnement ; cela peut être fait au travers des autres composantes du débat parlementaire. Il a pour objet de transformer le projet de loi au regard de sa finalité. Si l’on est opposé à cette finalité, on déposera des amendements alternatifs, on proposera des réponses autres à l’objectif poursuivi. Bien entendu, cela ne retire rien au droit de protester, de faire connaître des mécontentements, de contester ; ce droit appartient à tous les parlementaires. Mais le support de cette contestation n’est pas principalement l’amendement.
La Constitution prévoit déjà, sans que cela démange trop le Parlement depuis soixante ans, de ne pas présenter d’amendements sortant du domaine législatif, lequel est précisément encadré par la loi.
J’ai dit que je ne parlerais pas des améliorations éventuelles que le texte constitutionnel pourrait comporter, mais je m’y embarque un instant : si l’on devait considérer qu’il est préférable de déclarer irrecevables les amendements sans finalité normative, je ne crois pas que l’on retirerait quoi que ce soit à la contribution du Parlement à la réalisation de la loi.
J’en viens, d’un mot, à la capacité de contrôle du Parlement, qui est, me semble-t-il, tout à fait complète ; à cet égard, je rejoins les appréciations favorables qui ont été portées sur la réforme de 2008.
Nous avons des échanges directs avec le Gouvernement à travers les auditions de ministres et les différentes formes de questions que nous posons à tout moment. Nous créons des commissions d’enquête assez fréquemment et en toute liberté, sous réserve de la séparation des pouvoirs avec la justice – il faut tout de même garder au moins cela. Nous formons, de manière souvent très opportune et utile, des missions d’information au sein de nos commissions, la plupart du temps par accord entre nous, sans objections polémiques. De façon générale, le travail d’évaluation des commissions est très développé.
Tout cela donne une production très riche. Simplement, comme le jeu ce soir semble être, pour le principal, de distribuer des mauvais points à l’exécutif, je voudrais que nous ayons un tout petit regard d’autoévaluation sur ce sujet. En effet, il me semble que, dans la littérature que nous produisons en matière de contrôle parlementaire, dont je reconnais tout à fait la luxuriance, deux éléments ne sont pas tout à fait satisfaisants.
Sur la forme, d’abord, qui signe, et qu’est-ce qui qualifie un rapport du Sénat, considéré à l’extérieur comme ayant l’autorité du Sénat ?
J’entends dire, ici comme jadis à l’Assemblée nationale : ne vous inquiétez pas, car vous n’avez pas à prendre position sur le fond du rapport, simplement à voter pour sa publication. Naturellement, par courtoisie et respect du travail accompli, tout le monde vote pour. C’est ainsi que, les uns et les autres, nous sommes en permanence associés, en quelque sorte, à l’autorité prêtée à un rapport du Sénat, alors que nous sommes en sérieux désaccord avec une partie de ce qui y est écrit et que nous n’avons jamais eu l’occasion d’en discuter.
Il me paraît donc légitime de réfléchir aux perfectionnements que nous pouvons encore apporter à nos propres procédures en matière de contrôle.
Ensuite, il me semble avoir observé – mais c’est probablement une déformation un peu critique – que le rapport entre le souhaitable et le possible est parfois légèrement déséquilibré. Un rapport parlementaire, c’est à peu près comme une conférence de presse ministérielle : en dessous de cinquante préconisations, le seuil de crédibilité n’est pas franchi…
En d’autres termes, l’opération de contrôle parlementaire tend à s’approprier tout le domaine du souhaitable et à laisser au suivant dans la liste, c’est-à-dire au Gouvernement, le soin de délimiter le domaine du possible.
La question devant laquelle nous sommes est : trouvons-nous que ce pays est trop gouvernable ? Tous les membres de notre assemblée appartiennent à un groupe qui, un jour ou l’autre, a participé à l’exécutif. Par ailleurs, nous voyons bien, quand nous nous comparons non seulement à l’avant-1958, mais aussi à nombre de nos partenaires et amis européens, qu’il arrive qu’un pays soit ingouvernable, ce qui n’est pas favorable, en particulier, aux plus pauvres et aux plus menacés.
Pouvoir faire des réformes, transformer le pays, c’est la légitimité élémentaire d’un système démocratique, dans lequel un exécutif est nécessaire.