Madame la ministre, vous venez de qualifier cette LPM de loi de réparation et de préparation de l’avenir. Ce terme de réparation n’est pas neutre : il exprime votre sentiment sur les moyens de nos armées et sur la situation dont vous avez hérité.
Les causes sont bien connues : des moyens encore revus à la baisse par rapport à la période 2009–2014 et une activité opérationnelle dont la durée et l’intensité ont été bien supérieures aux prévisions affichées.
C’est ce qui nous avait conduits à qualifier à plusieurs reprises le budget des armées d’insincère. C’est à l’aune de ce critère de sincérité que la commission des finances a examiné le texte que vous nous soumettez.
Sur le plan des ressources, des progrès incontestables peuvent être relevés : la provision pour les OPEX, sur laquelle je ne reviendrai pas, M. Cambon l’ayant évoquée ; la fin des recettes exceptionnelles improbables ; et une meilleure prise en compte du soutien à l’exportation.
Sur le plan des dépenses, l’effort est également incontestable : création de 6 000 postes, amélioration de la condition militaire, crédits d’équipement majorés permettant le renouvellement de la dissuasion nucléaire, renouvellement de certains matériels, efforts en faveur des infrastructures et meilleur entretien programmé des matériels.
Pour autant, peut-on qualifier cette LPM de totalement sincère au sens budgétaire du terme ? Des points de fragilité, qui sont autant de points de vigilance, méritent d’être relevés.
Le premier, chacun l’a bien à l’esprit, c’est que le gros de l’effort est reporté à la législature suivante et au prochain quinquennat : les crédits des armées augmenteront ainsi de 1, 7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022 et de 3 milliards d’euros par an à partir de 2023. À charge pour vos successeurs de trouver les sommes nécessaires. Par ailleurs, si les besoins sont bien programmés jusqu’en 2025, les annuités 2024 et 2025 ne sont pas couvertes de manière ferme.
La même logique est appliquée en matière d’effectifs : sur les 6 000 créations de postes prévues, 4 500 sont renvoyées à après 2022.
La question du porte-avions Charles de Gaulle est tout juste effleurée, alors qu’une décision devra être prise avant le terme de cette LPM si nous voulons être prêts pour la date de 2038.
Le deuxième point de vigilance, et non le moindre, c’est que les contrats opérationnels assignés à nos armées sont pratiquement inchangés par rapport à ceux qui étaient inscrits dans la précédente LPM.
Or ces derniers ont été très largement dépassés et rien ne laisse penser que notre engagement puisse diminuer dans les prochaines années, bien au contraire ! Cela signifie, les mêmes causes ayant les mêmes effets, que l’effort engagé permettra sans doute de stopper la dégradation de nos capacités, mais leur régénération n’aura véritablement lieu qu’au cours du prochain quinquennat.
Le troisième point de vigilance, c’est que, à la différence de la précédente loi de programmation, ce texte ne prévoit pas de clause de sauvegarde en matière d’évolution des prix des carburants opérationnels, renvoyant à l’actualisation de 2021. Or le cours du baril de Brent atteint déjà plus de 70 dollars, alors que les hypothèses retenues dans le présent projet de loi s’établissent à 55 dollars.
Le quatrième point de vigilance, qui n’a selon moi pas été suffisamment relevé, c’est que l’équilibre général repose sur des hypothèses d’exportation, en particulier du A400M et du NH90, qui sont loin d’être acquises.
À ce titre, si l’on peut se réjouir d’une volonté de coopération avec nos partenaires, notamment l’Allemagne, les questions de propriétés industrielles et d’autorisation d’exporter, qui ne relèvent pas des mêmes procédures dans nos deux pays, sont loin d’être réglées. Notre industrie et notre souveraineté nationale ne peuvent en faire les frais.
Ces points de vigilance ont fait l’objet d’un travail approfondi entre la commission des affaires étrangères et de la défense, saisie au fond, et notre commission des finances, saisie pour avis.
Les amendements que nous avons déposés et adoptés en commission ne remettent pas en cause la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement, ni les priorités que vous avez définies. Ils vont tous dans le même sens, à savoir conforter les recettes et en garantir l’usage.
Vous l’avez indiqué il y a un instant, madame la ministre, vous croyez profondément au travail parlementaire. Aussi ne comprendrions-nous pas que le Gouvernement, au Sénat, ou selon une technique maintenant bien éprouvée avec l’Assemblée nationale, les rejette tous, pour revenir in fine au texte initial.
Vous êtes attachée à rétablir et conforter le lien État-Nation. En entendant le Parlement, vous y contribuerez. La fonction régalienne dont vous avez la charge appelle au consensus. Nous y prendrons notre part en votant votre texte, mais vous devez aussi donner des garanties au Parlement que cette loi de programmation sera bien exécutée. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce texte.