La crise financière de 2008 a frappé l'Union européenne, et particulièrement la zone euro, dans une situation de profonde impréparation institutionnelle. Aucun cadre intégré de supervision et aucun instrument financier commun n'avaient été mis en place. Une crise bancaire pouvait conduire à une crise budgétaire et, inversement, la dégradation financière d'un État pouvait compromettre son secteur bancaire. La confiance accordée aux banques de la zone euro dépendait de l'État membre en charge du soutien financier en cas de difficulté. Entre 2008 et 2016, la conversion de dettes privées en dettes publiques a été considérable : la Commission européenne a approuvé plus de 5 000 milliards d'euros d'aides d'État au secteur financier européen, soit environ 35 % du PIB européen de 2016, dont 1 900 milliards d'euros ont été effectivement déboursés.
Il était donc urgent, ainsi que l'ont reconnu les chefs d'État et de gouvernement lors du sommet de la zone euro de juin 2012, de « briser le cercle vicieux qui existe entre les banques et les États » afin que « lorsqu'un mécanisme de surveillance unique aura été créé pour les banques de la zone euro », le Mécanisme européen de stabilité (MES) puisse « avoir la possibilité de recapitaliser directement les banques ». Ils dressaient ainsi clairement la feuille de route de ce que devait être l'Union bancaire. Où en est-on aujourd'hui ?
La condition préalable à la possibilité de recapitalisation directe des banques a été levée par la mise en place du mécanisme de surveillance unique (MSU). Sous la pression de la crise financière, ce premier pilier de l'Union bancaire a fait l'objet d'un accord politique dans un temps très court à l'échelle européenne et d'une montée en puissance très rapide. La mise en place de ce dispositif, opérationnel depuis 2014, a pourtant nécessité un important transfert de compétences au profit de la Banque centrale européenne (BCE). Le nouveau superviseur supranational assure désormais la surveillance directe des 111 banques les plus importantes de la zone euro, représentant plus de 80 % des actifs bancaires. Les 3 500 banques identifiées comme moins importantes restent sous supervision nationale. Ce dispositif, considéré à juste titre comme une réussite institutionnelle, est le plus abouti des piliers de l'Union bancaire et bénéficie d'une reconnaissance internationale incontestée. Quelques points d'attention méritent toutefois d'être relevés.
Les établissements sous supervision directe représentent plus de 20 000 milliards d'euros d'actifs. Les banques françaises en constituent le premier contingent, avec près de 7 000 milliards d'euros d'actifs, loin devant l'Allemagne, avec environ 4 000 milliards d'euros, alors que les deux systèmes bancaires sont de taille comparable, autour de 8 000 milliards d'euros d'actifs. Cette différence majeure est liée aux structures bancaires propres à chaque pays. Parmi les huit banques de la zone euro mondialement systémiques, trois sont françaises et seule une est allemande. Le secteur bancaire allemand est constitué en grande partie par des établissements de taille intermédiaire très ancrés dans le tissu économique local. C'est en partie un facteur d'explication des divergences persistantes, passées et futures, dans les négociations sur l'Union bancaire.
Les établissements bancaires qui restent placés sous supervision nationale le sont sur la base d'une méthodologie harmonisée développée par la BCE afin de soumettre l'ensemble des établissements de la zone euro à une norme commune de surveillance. C'est un point de vigilance pour la crédibilité de l'Union bancaire et une condition centrale à l'acceptation d'un partage effectif des risques du système bancaire, particulièrement des mécanismes communs de soutien financier.
Au-delà du projet spécifique de l'Union bancaire, l'ambition de stabilité du système financier tout entier impose d'étendre le périmètre de la supervision et de la résolution aux institutions financières non bancaires, telles que les assurances ou les infrastructures de marché. Or ces dernières en sont formellement exclues, car le mandat de superviseur de la BCE est fondé sur l'article 127 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui limite son périmètre aux seules banques de la zone euro. C'est dans ce contexte que la Commission prévoit de confier la supervision des chambres de compensation à l'Autorité européenne des marchés financiers, la BCE ne s'y associant qu'indirectement sous l'angle des risques liés à la conduite de la politique monétaire, au fonctionnement des systèmes de paiement et à la stabilité de l'euro.
Qu'en est-il, en principe, de l'appel aux contribuables ? Le Mécanisme de résolution unique, deuxième pilier de l'Union bancaire, s'inscrit dans les standards internationaux élaborés après la crise pour renforcer la capacité du système financier à absorber ses propres pertes. Ce dispositif, opérationnel depuis janvier 2016, consacre désormais, au sein de la zone euro, la priorité donnée au financement privé dans la gestion des crises bancaires. Ce financement passe concrètement par un Fonds de résolution unique (FRU), alimenté par des contributions annuelles des établissements bancaires sous supervision directe de la BCE. Le Conseil de résolution unique (CRU) devient l'autorité de résolution unique responsable des banques sous supervision directe, mais souffre d'un processus décisionnel encore trop dépendant des autorités nationales de résolution qui pourrait se révéler trop complexe en cas de crise grave. Le Fonds de résolution unique, actuellement abondé à hauteur de 17 milliards d'euros, est destiné à financer les éventuelles résolutions bancaires. Il devra avoir atteint un niveau cible d'au moins 1 % du montant des dépôts garantis, soit 55 milliards d'euros, au plus tard en 2024. Les banques françaises y auront contribué à hauteur de 15,5 milliards d'euros environ, soit 30 % du total.
Le principe de renflouement interne qui sous-tend ce nouveau cadre permet dorénavant d'organiser la recapitalisation d'un établissement défaillant en imposant à ses actionnaires, puis à ses créanciers, la réduction partielle ou totale du montant de leurs créances. Les dépôts jusqu'à 100 000 euros sont exclus du renflouement. Les établissements de crédit doivent en conséquence disposer d'un niveau minimum de dettes éligibles au renflouement interne qui pourront être utilisées jusqu'à un montant représentant au moins 8 % du passif de l'établissement. Au-delà, il peut être fait appel au Fonds de résolution.
Désormais, la gestion d'une banque présentant une défaillance avérée ou prévisible obéit théoriquement à une procédure harmonisée. Une banque peut être soit préventivement recapitalisée, soit liquidée, soit, si cela est nécessaire pour préserver la stabilité financière, c'est-à-dire, notamment pour les banques considérées comme systémiques, placée en résolution et bénéficier du Fonds de résolution. Les aides d'État restent toujours possibles dans la mesure où elles respectent le cadre européen des aides publiques au secteur financier, mais elles n'interviennent, en principe, qu'une fois qu'il a été fait appel aux actionnaires, aux créanciers et au Fonds de résolution.
Comment ce dispositif a-t-il fonctionné dans les faits en 2017 ? Banco Popular Español, banque systémique, a été résolue par renflouement interne des actionnaires et des détenteurs d'obligations, sans intervention du Fonds de résolution ni appel aux fonds publics. Toutefois, les problèmes de liquidité qui se manifestaient ont été réglés par le rachat par la banque Santander. Monte dei Paschi di Siena a été préventivement recapitalisée par l'État italien à hauteur de 4,3 milliards d'euros. Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca ont été placées en liquidation en juin 2017. Après un renflouement interne qui s'est heurté à des difficultés pratiques, l'État italien a accordé 4,8 milliards d'euros en capital et 12 milliards d'euros en garantie. Ces deux banques avaient toutefois sollicité une recapitalisation préventive en mars 2017 qui, si elle avait été instruite, aurait peut-être potentiellement permis de limiter l'utilisation de l'aide d'État. Les cas de mise en pratique effective sont rares, mais permettent d'ores et déjà de penser qu'il reste des marges de progrès dans la pratique du renflouement interne et que le recours aux fonds publics est encore bien présent.