Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 29 mai 2018 à 15h00
Programmation militaire pour les années 2019 à 2025 — Explications de vote sur l'ensemble

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une chance, qui n’arrive pas souvent au cours d’un mandat, de pouvoir contribuer à la mise en œuvre de l’ambition de la France pour ses armées.

Nos débats, riches, informés, ont été à la hauteur de cette responsabilité et je tiens à remercier le président Christian Cambon pour son endurance, son écoute §et son souci de concilier les points de vue du Sénat et du Gouvernement.

Notre responsabilité d’assurer la protection de notre pays et de l’Europe n’a jamais été aussi lourde depuis la fin de la guerre froide. Le Président de la République l’a souligné lors de ses vœux aux armées en janvier dernier ; la revue stratégique de 2017 a fait le constat des grands bouleversements mondiaux que nous connaissons et qui font de notre effort de dépenses militaires un impératif catégorique.

Oui, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, nous sommes entrés dans une ère de fortes turbulences.

Une ère où certains États se délitent, ouvrant la porte aux mouvements terroristes qui prospèrent sur leurs décombres. Du Sahel au Moyen-Orient, nos forces sont engagées contre l’obscurantisme et la barbarie qui haïssent nos valeurs et menacent notre territoire.

Une ère où de grandes nations soumettent les relations internationales à des rapports de force qui font fi de l’État de droit et des principes moraux.

Une ère où d’autres États émergents affirment leur droit de participer au concert des puissances, en choisissant des logiques de rivalité et de compétition. La complexité grandissante des armements, de nouveaux espaces de conflit nous imposent un effort d’innovation technologique pour maintenir nos capacités d’intervention et de dissuasion intactes.

Une ère, enfin, où l’Europe de la défense est à la croisée des chemins. Pour la première fois, il y a deux ans, les chefs d’État européens ont estimé que la convergence des menaces sur l’Europe nécessitait un engagement et une stratégie commune pour notre propre sécurité.

L’administration américaine est devenue plus imprévisible que jamais, au point de renier ses propres engagements et d’ignorer l’avis de ses alliés. Dans ce contexte, la crédibilité de la défense européenne doit être une priorité. Les avancées européennes en matière industrielle sont importantes, elles méritent d’être saluées. Mais il faut aller beaucoup plus loin sur le plan opérationnel, comme l’a souligné le président Cambon.

Dans ce contexte dégradé, après vingt ans de déflation de notre modèle d’armée, cette loi de programmation militaire était celle de la dernière chance pour que la France préserve son rang dans le monde et assure elle-même sa propre sécurité. Est-elle à la hauteur de cette ambition historique ?

Au terme de nos débats, la réponse me semble être la « stricte suffisance », eu égard à l’importance des défis à relever. Si ce texte répare en partie les dégâts du passé, notre modèle d’armée n’est pas à l’abri. Une sous-exécution des objectifs, qui est possible au regard des précédentes lois de programmation, mettrait en péril tout l’édifice. C’est pourquoi, en tant que législateurs, nous avons demandé des garanties, des contrôles, des clauses de revoyure. Mais, in fine, c’est vous, madame la ministre, qui devrez faire preuve de courage et de ténacité pour en assurer l’application et la pérennité.

Des programmes d’intérêt vital, qui ne devront souffrir d’aucune restriction budgétaire, doivent être menés à bien sur la période : la modernisation de notre dissuasion nucléaire avec la préservation du tissu industriel français, la sécurisation de son approvisionnement et le maintien de compétences rares ; le lancement des études pour le ou les successeurs du Charles de Gaulle, avec la possibilité d’un chevauchement entre la durée de vie des deux porte-avions, comme vous nous l’avez promis ; le renouvellement de nos sous-marins nucléaires d’attaque, avec l’entrée en service du Barracuda ; les investissements dans les capacités de cyberdéfense comme de cyberoffense ; la priorité accordée, enfin, à l’innovation.

La défense de la France ne se résume toutefois pas à la qualité de ses matériels. Les hommes et les femmes qui l’assument chaque jour en sont les principaux artisans et ils méritent notre reconnaissance. Cette « LPM à hauteur d’homme » a fait l’objet au Sénat d’une attention scrupuleuse, pour améliorer la condition militaire.

Nos débats ont été particulièrement nourris et intenses sur ces questions humaines, fondamentales pour notre effort de défense.

Madame la ministre, les amendements du Gouvernement nous ont inquiétés quant à la sincérité et donc à la sécurisation du retour à votre ministère de l’intégralité de ses produits immobiliers, évalués à 500 millions d’euros. Or nous considérons que l’effort au profit de l’offre de logements et de l’entretien des infrastructures du ministère doit s’accentuer. Vous ne nous avez pas non plus pleinement rassurés quant au financement des OPEX.

Je voudrais revenir un instant sur l’éligibilité des militaires aux fonctions communales. Nous avons atteint un compromis avec la proposition de seuils fixés par la commission. Néanmoins, je pense que cet équilibre est précaire et qu’il faudra un jour ou l’autre y revenir. Pourquoi un seuil de 9 000 habitants pour les municipalités et de 30 000 pour les intercommunalités ? Il n’y a pas là de critères réellement objectifs indiscutables, et je pense donc que nous reviendrons sur ce point.

Madame la ministre, vous avez qualifié l’exercice de préparation et de discussion de cette loi de programmation militaire d’« enthousiasmant ». Nous partageons votre sentiment. Il est enthousiasmant de se pencher enfin sur une loi qui a d’autres ambitions que la réduction d’effectifs et la déflation des moyens.

Cet enthousiasme a nourri la qualité de nos débats de la semaine dernière. Mais il ne doit pas nous faire occulter la gravité des sujets qui nous occupent. Il y va de la vie de la Nation et de la sécurité des Français.

Comme le disait le général de Gaulle à Bayeux : « La défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il ne peut y manquer sans se détruire lui-même. » C’est parce que nous croyons que cette raison d’être est plus que jamais d’actualité, c’est parce que nous croyons que la France n’est plus tout à fait la même sans la noblesse de ses armées, que le groupe Les Indépendants votera, unanime, en faveur de ce texte.

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