Intervention de Angèle Préville

Réunion du 5 juin 2018 à 21h30
Conclusions du rapport sécurité routière : mieux cibler pour plus d ' efficacité — Débat organisé à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois constitutionnelles de législation du suffrage universel du règlement et d'administration générale

Photo de Angèle PrévilleAngèle Préville :

Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, s’interroger sur la baisse automatique de la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur les routes à double sens et sans séparateur central à compter du 1er juillet 2018 ne revient bien évidemment pas à s’opposer au renforcement, nécessaire, de la sécurité routière.

J’entends les enjeux posés en termes de mortalité routière et souhaite à ce titre rappeler un point scientifiquement essentiel : lorsqu’il y a accident, la vitesse est le facteur aggravant. L’énergie acquise par un véhicule du fait de sa vitesse est proportionnelle au carré de cette vitesse : ainsi, si l’on multiplie cette vitesse par trois – par exemple, pour passer de 30 kilomètres par heure à 90 kilomètres par heure –, l’énergie accumulée est multipliée par neuf. Cette énergie acquise doit être dissipée pour que le véhicule s’arrête. En d’autres termes, celui-ci ne s’arrêtera que lorsque toute l’énergie sera dissipée et transformée. Si le freinage est impossible ou insuffisant, l’énergie se dissipera par destruction, ce qui peut entraîner des blessures, voire le décès des passagers.

Toutefois, la vitesse n’est sûrement pas seule responsable des accidents et des tués : 21 % des tués le sont par défaut de port de ceinture. Je plaide pour une analyse plus fine et pour que l’inventivité et la créativité dont nous sommes capables soient à l’origine de mesures plus adaptées.

Si la vitesse aggrave incontestablement les accidents, il faut aussi s’interroger sur les relations causales que sont le non-respect du code de la route, le degré d’alcoolémie, l’usage des stupéfiants, des médicaments, du téléphone, la fatigue, la somnolence, le rôle des camions ou encore le mauvais entretien des routes.

Vous l’avez mentionné, madame la ministre, et le rapport d’information le pointe : 3 500 personnes meurent chaque année en France sur les routes et 75 000 sont blessées. Ces chiffres sont terrifiants.

Je remarque que 15 % des personnes tuées sont des piétons – 51 % d’entre elles ont plus de 65 ans – et que 5 % sont des cyclistes. En d’autres termes, 20 % des tués sont des piétons ou des cyclistes, ce qui constitue une augmentation de plus de 8 %. À l’avenir, développement durable oblige, il y aura davantage de piétons et cyclistes, il faudrait y réfléchir sérieusement.

La mortalité routière connaît en France une stagnation depuis quelques années. La sécurité routière doit s’élever au haut rang des politiques publiques prioritaires. Cela implique des actions fortes pour des résultats probants. Pour cela, la concertation doit être la plus large possible et associer les acteurs concernés.

Madame la ministre, je n’interrogerais pas cette mesure uniforme que vous imposez, si les baisses liées à l’expérimentation étaient significatives. Or l’expérimentation n’a pas mesuré l’évolution de l’accidentalité, n’a pas étudié en parallèle des tronçons sans limitation pour servir de témoins. En outre, elle s’est limitée à seulement quatre semaines.

Je ne contesterais pas non plus cette réforme, si elle n’était pas à double tranchant pour nombre de nos territoires. Cette mesure, madame la ministre, devrait bien entendu s’appliquer dans le cadre de la décentralisation, donc au cas par cas.

La loi de décentralisation du 13 août 2004 a abouti au transfert d’une certaine partie du réseau routier national aux départements. Aujourd’hui, vous nous annoncez une mesure qui aurait dû être, si ce n’est laissée à la discrétion et à l’appréciation des départements, au moins concertée avec ces derniers.

Je plaide donc, pour reprendre les mots du rapport d’information présenté par nos collègues, pour la mise en place de « conférences départementales de la sécurité routière », qui seraient coprésidées par les présidents de conseil départemental et les préfets et « dont le rôle serait d’identifier les routes ou les tronçons de route accidentogènes ».

D’ailleurs, dans de nombreux territoires, des tronçons sont déjà limités à 70 kilomètres par heure. C’est la preuve qu’un travail a déjà été entamé, lequel reste encore à affiner.

Cette question, vous l’aurez compris, est selon moi liée aux spécificités des territoires. Je suis une élue du Lot, département rural et enclavé, non desservi par des gares TGV. La voiture y est l’unique mode de transport de proximité. Nos routes n’ont donc pas l’envergure des routes franciliennes, le trafic n’y est pas le même.

La longueur totale du réseau routier est de plus de 12 000 kilomètres, répartis de la façon suivante : 93 kilomètres d’autoroutes seulement, 16 kilomètres de routes nationales, mais 4 013 kilomètres de voies départementales et un peu plus de 8 000 kilomètres de routes communales. Dans le Lot, les accidents se concentrent à 65 % sur le réseau principal, le réseau secondaire ne représentant que 25 % des accidents.

Notre département se caractérise par un niveau d’investissement dans la voirie supérieur à la moyenne des collectivités de sa strate. La limitation de vitesse envisagée suscite donc des interrogations chez les habitants des territoires ruraux, que je représente, voire leur incompréhension. Rien n’atteste que cette baisse réglera nos problèmes en matière de sécurité routière. Nous demandons simplement une application différenciée de la mesure en fonction de la dangerosité des routes.

Il serait également opportun de mettre davantage l’accent sur la prévention, notamment auprès des jeunes. Ayant été professeur, je me souviens que des simulateurs de conduite très ludiques avaient fortement marqué les esprits de collégiens et leur avaient fait prendre conscience à la fois de leur temps de réaction, qui est en moyenne d’une seconde, et de la distance parcourue pendant ce temps de réaction. Je rappelle que, lorsqu’on roule à 45 kilomètres par heure, cette distance est de 12, 5 mètres.

Je conclurai mon propos par une idée simple : une conduite responsable est fondée sur des règles admises et comprises par les usagers, qui se les approprient et ainsi les respectent.

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