La proposition de loi ne prétend donc pas bouleverser les équilibres territoriaux.
Chacun d’entre nous, mes chers collègues, a vécu dans son département deux vagues successives de révision de la carte des intercommunalités. La première a été mise en œuvre au 1er janvier 2014, la seconde au 1er janvier 2017. Nos collectivités ont besoin de stabilité !
Pour autant, un certain nombre de difficultés sont apparues.
Ceux qui, parmi vous, siégeaient déjà dans notre assemblée s’en souviennent, au moment de l’adoption de la loi NOTRe, nous avons eu de très longs débats sur le nombre d’habitants minimum pour la création d’une intercommunalité. Le gouvernement de l’époque disait 20 000 ; nous disions 10 000 ; nous nous sommes entendus sur 15 000.
Mais nous n’avons jamais discuté de la population maximale qu’il serait réaliste de prévoir dans les intercommunalités rurales, si bien que les préfets, parfaitement légalement du reste, ont pu dans certains départements modeler la carte des intercommunalités, imposant souvent leur décision par voie d’autorité, certes après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale et vote des conseils municipaux. Se sont ainsi constituées d’énormes intercommunalités rurales, dont certaines ont d’ailleurs pris le nom – c’est assez piquant – de « communauté d’agglomération », alors qu’elles sont entièrement composées de territoires ruraux, avec, parfois, de petites villes en leur sein.
Il faut reconnaître que le cadre légal prévu par la loi NOTRe n’était nullement adapté à ce type d’intercommunalités. La raison en est simple : ni le gouvernement de l’époque ni – à sa décharge – nous-mêmes n’avons un seul instant envisagé que la constitution de tels groupements était rationnelle. Encore une fois, ces regroupements se sont généralement formés, non pas sur l’initiative des élus, mais sur celle des préfets, souvent assez fiers de pouvoir apparaître comme de grands modernisateurs et faire ainsi valoir des états de service prestigieux…
Mais désormais, il faut bien les faire fonctionner, ces structures ! Or quand les outils juridiques n’ont pas été créés pour ce faire, cela pose problème !
Le rôle du Sénat n’est pas de remettre en cause ces groupements ; il est de faciliter leur fonctionnement. C’est pourquoi l’une des mesures phares de cette proposition de loi renvoie à cette idée que, tout autant que le centralisme d’État, le centralisme intercommunal est une mauvaise chose. Autrement dit, il n’y a pas de bon centralisme !
Ce qui importe, c’est de respecter le principe de subsidiarité et faire en sorte que l’on n’aspire pas, au niveau de la grande intercommunalité, l’exercice de compétences qui seraient mieux exercées à l’échelon local.
Mais encore faudrait-il que cet échelon local puisse s’organiser… Or, dans les textes applicables, on ne trouve aucun cadre juridique permettant de créer des pôles territoriaux et, si la possibilité de créer des communes nouvelles existe, elle a été inégalement exploitée par les élus communaux. En découle une sorte de vide, un espace non exploré, qui est celui de la proximité dans les grandes intercommunalités.
Cette proposition de loi vise à combler ce vide et organiser cet espace, en donnant une réalité plus forte aux pôles territoriaux qu’un certain nombre d’intercommunalités, d’ailleurs, ont eu l’intelligence de mettre en place, mais sans pouvoir, sur un plan juridique, leur déléguer de compétences, car ils ne reposent finalement que sur un arrangement interne.
Cette disposition revêt beaucoup d’importance aux yeux des auteurs du texte et je tenais à insister sur ce point.
Une deuxième disposition découle de l’analyse que j’exposais précédemment : la carte des intercommunalités a tout de même été remodelée deux fois de suite, à trois ans d’intervalle ; ce n’est pas pour recommencer une troisième fois dans un avenir proche !
Nous demandons une pause, disais-je, tout simplement parce que les élus locaux la demandent. Ils veulent qu’on leur fiche la paix – pardonnez-moi du terme. Ils veulent qu’on leur garantisse la stabilité pendant plusieurs années. Ils veulent que les évolutions à venir découlent de leurs propres initiatives, et non de celles de l’État.
Nous considérons donc que le travail ayant été fait par les préfets – plus que fait, parfois… –, il convient de laisser désormais les éventuels regroupements ou les divisions qui pourraient survenir dans certaines intercommunalités fonctionnant mal à l’initiative pleine et entière des élus. Cela n’empêchera pas la commission départementale de la coopération intercommunale de continuer à réfléchir aux aménagements, notamment pour les syndicats intercommunaux qui subsisteraient encore après ces deux vagues de révision de la carte, de délibérer et d’avoir naturellement ses propres idées.
Mais la proposition de loi n’en reste pas là, ses auteurs ayant observé que, pour les départements et les régions, un certain nombre d’imprécisions ou d’insuffisances demeuraient dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Les départements, tout d’abord.
Notre intention est de mieux définir leur vocation de solidarité territoriale et de la renforcer. Le département, avec ses conseillers départementaux, certes élus sur des territoires plus vastes depuis la réforme ayant mis en place des binômes pour assurer la parité, est tout de même – notamment par comparaison avec la région – la collectivité la plus proche des communes et des intercommunalités.
Les conseillers départementaux sont de très bons relais pour les projets de ces dernières et le département, en règle générale, est très attaché à mener des politiques contractuelles. Il faut, je crois, l’encourager à le faire, ce que ne permettait pas suffisamment la loi NOTRe.
Nous voulons aussi, face aux difficultés de l’agriculture, que la compétence du département en matière de politique agricole soit renforcée.
Enfin, nous souhaitons que son rôle d’aménageur, notamment au travers de sociétés d’économie mixte d’aménagement, soit pleinement reconnu.
Les régions, ensuite.
Beaucoup d’entre vous l’ont observé au moment de la discussion sur la loi NOTRe, la réforme de 2015, pour la première fois dans l’histoire de la République, ne comportait aucune mesure de décentralisation.
De ce fait, les régions sont aujourd’hui des colosses aux pieds d’argile. Elles sont plus grandes, mais, précisément de par cette taille accrue, moins cohérentes. Dans la plupart d’entre elles, il n’y a pas d’affectio societatis et leurs compétences n’ont nullement été accrues – d’ailleurs, si elles l’avaient été, encore eût-il fallu donner aux régions les moyens nécessaires, et nous savons ce qu’il en est…
Par conséquent, cette réforme étant inaboutie, nous demandons que les responsabilités des régions soient élargies, par délégation de l’État, dans les domaines de la politique de l’emploi et de l’enseignement supérieur.
Telle est, mes chers collègues, l’économie générale de cette proposition de loi, qui va maintenant faire l’objet de nos débats.