Avec Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous sommes heureux d'accueillir Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, pour cette audition sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dont Marie Mercier, qui était déjà rapporteur de la proposition de loi d'orientation et de programmation du Sénat pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, sera rapporteur. Je tiens à dire d'emblée qu'il n'y a pas d'opposition, entre le Gouvernement et le Sénat, sur les objectifs poursuivis. Chacun est convaincu de la nécessité d'une prise de conscience collective et il convient de donner un coup d'arrêt à un certain nombre de comportements qui ne devraient plus avoir cours à notre époque. Être d'accord sur les fins toutefois n'empêche pas de discuter des moyens ; ce n'est pas parce que les objectifs poursuivis sont d'une légitimité incontestable que les moyens le sont aussi.
Grâce aux échanges entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes, et à la réflexion menée dans le cadre d'un groupe de travail pluraliste constitué par la commission des lois à l'automne dernier, le Sénat a formulé des propositions. Cela ne fut pas en vain : non seulement nous sommes déjà d'accord sur l'allongement du délai de prescription à trente ans pour les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, mais en plus, nous avons eu le bonheur de constater que les députés de la majorité parlementaire ont su faire usage de nos travaux, les reprenant parfois mot pour mot dans leurs amendements, même dans leurs objets : ainsi des dispositions qui s'étaient vu opposer un avis défavorable du Gouvernement au Sénat ont été adoptées par l'Assemblée nationale avec un avis favorable du Gouvernement... C'est le cas pour l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs, de l'aggravation des peines encourues pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et de l'aggravation des peines pour non-assistance ou pour non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs. En quelque sorte, le Sénat sert ainsi de bureau législatif aux députés de la majorité parlementaire, et nous aurions pu y voir une sorte d'hommage, si notre travail avait été cité... Hélas, cela n'a pas été le cas.
Nous avons aussi noté un progrès important sur le fond : le Gouvernement a clairement renoncé à un dispositif de nature inconstitutionnelle en abandonnant l'idée de créer une situation dans laquelle un agresseur aurait pu être condamné à vingt ans de prison sans avoir la possibilité de se disculper ; c'est ce qu'on appelle une présomption irréfragable de culpabilité. Celle-ci figurait dans le projet initial du Gouvernement, qui voulait certainement réagir à l'actualité. Mais après avoir pris le temps de la réflexion, et après avoir consulté le Conseil d'État, il a admis qu'une telle disposition était impossible dans un État de droit. En tant que président de la commission des lois, il m'appartient aussi, au risque d'apparaître parfois sans doute ringard, de veiller au respect des droits de la défense et de l'État de droit.
Nous nous demandons aussi pourquoi le Gouvernement a inscrit dans ce texte des dispositions qui relèvent du pouvoir réglementaire. La Chancellerie considère-t-elle désormais que les contraventions relèvent du domaine législatif ? Il faudrait dans ce cas modifier l'article 34 de la Constitution à l'occasion de la prochaine révision constitutionnelle ! D'autres dispositions relèvent aussi plutôt d'une circulaire ou d'une directive aux parquets de la direction des affaires criminelles et des grâces : c'est le cas, par exemple, d'une disposition précisant comment interpréter la notion de contrainte, qui est l'un des éléments constitutifs du viol. Nous devons aussi à cet égard être cohérents avec le travail que le Gouvernement a engagé, dans son projet de révision de la Constitution, en matière d'irrecevabilité des amendements dépourvus de portée normative ou qui relèvent du domaine réglementaire.