Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai par remercier nos collègues sénateurs du Nord, Jean-Pierre Decool et Dany Wattebled : ils nous permettent de nous pencher sur le sujet des caméras mobiles, qui intéresse beaucoup nos concitoyens, mais aussi bien des élus locaux.
Cette proposition de loi et le travail du rapporteur sont guidés par la volonté de renforcer la sécurité des hommes et des femmes qui travaillent tous les jours à assurer celle de nos concitoyens. Cette volonté, le groupe socialiste et républicain la partage évidemment, d’autant que ce dispositif, rappelons-le, a été mis en place sous le quinquennat précédent.
Déjà expérimenté par la police et la gendarmerie nationale à compter de 2013, il a été pérennisé pour ces corps et étendu à la police municipale, sous forme expérimentale, par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.
Je citerai également la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, que j’avais défendue comme membre du Gouvernement devant la Haute Assemblée. Y était introduite une expérimentation, qui s’est achevée il y a quelques semaines et qui visait à pacifier les relations entre citoyens et force de police en rendant systématique l’enregistrement lors des contrôles d’identité. À cette occasion, madame la ministre, nous avions évoqué la question du récépissé ; Bernard Cazeneuve et moi-même avions rejeté cette hypothèse, estimant que les caméras mobiles étaient bien plus efficaces pour les relations interpersonnelles dans des situations bien souvent difficiles.
Avec cette proposition de loi, nous continuons donc sur une route entamée il y a plusieurs années, et ce avec un avantage certain, une visibilité accrue du fait des retours d’expérimentations.
Je remercie M. le président de la commission des lois d’avoir respecté sa promesse en nous transmettant, même tardivement, le rapport d’évaluation de l’expérimentation des caméras mobiles par les agents de police municipale. Je peux ainsi conforter les propos des orateurs qui m’ont précédé et relever que ce dispositif est efficace. Les retours du terrain sont positifs, tout comme l’étaient les conclusions du rapport de 2016 sur l’expérimentation menée entre 2013 et 2016 par la police et la gendarmerie.
Permettez-moi, mes chers collègues, de revenir sur les catégories d’agents publics visées par cette proposition de loi dans sa version initiale : les sapeurs-pompiers et les surveillants de l’administration pénitentiaire.
Oui, les caméras mobiles protègent ces agents. Elles pacifient d’abord les relations entre l’agent et le public. De ce fait, elles protègent des outrages verbaux les agents qui en sont équipés, et peuvent même prévenir les agressions physiques lors de leurs interventions. Elles peuvent aussi donner aux magistrats des éléments objectifs de preuve lors de procédures judiciaires.
On aurait tort de classer la présente proposition de loi dans la catégorie des textes de nature communicationnelle, répondant à l’émotion légitime suscitée dans l’opinion publique par un fait divers isolé : les difficultés rencontrées tant par les sapeurs-pompiers que par les surveillants de prison sont bien réelles, et elles sont croissantes. La commission des lois le souligne dans son rapport : rien qu’en 2016 le nombre de sapeurs-pompiers déclarant avoir été victimes d’une agression a bondi de 20 % par rapport à l’année précédente.
Il n’est pas nécessaire d’aller chercher très loin : dans l’actualité récente, on peut citer la très violente agression qu’ont subie trois pompiers à Aurillac dans la nuit du 2 au 3 juin dernier, alors qu’ils intervenaient dans le cadre d’une tentative de suicide. Il en va de même des agressions physiques du personnel pénitentiaire, dont le nombre s’élève annuellement à 4 000, selon la direction de l’administration pénitentiaire, soit une moyenne de 11 agressions par jour, dans un contexte où les détenus sont toujours plus nombreux, au vu des conditions que vous connaissez tous.
On se souvient d’ailleurs que le mouvement social des surveillants de prison survenu au début de cette année, d’une ampleur inédite depuis vingt-cinq ans, a été provoqué par une succession d’agressions à leur encontre.
Aussi, l’usage de caméras individuelles est légitime. Il est efficace, mais il est aussi justifiable. Il serait hâtif de refuser tout moyen nouveau que la technologie peut mettre au service de notre sécurité, tant qu’il existe des garanties permettant de respecter l’équilibre fondamental entre sécurité et libertés individuelles.
L’instauration de règles strictes pour contrôler cet équilibre est un défi majeur pour le législateur à l’époque que nous traversons. Pour y parvenir au mieux, nous devons avancer prudemment.
Cette proposition de loi s’inscrit en général dans le même cadre juridique que celui des professions utilisant déjà des caméras individuelles. Les enregistrements ayant pour finalité la prévention des incidents au cours des interventions, ils ne seront donc pas permanents au regard des conditions de mise en œuvre de ces enregistrements.
Les caméras devront être portées de façon apparente, ce qui garantit d’ailleurs leur effet dissuasif, et les personnes filmées devront être prévenues, dans la mesure où les circonstances le permettent, avec pour témoin un signal visuel spécifique indiquant que la caméra enregistre.
Enfin, les agents équipés de caméras ne pourront accéder directement aux informations enregistrées.
On peut ajouter à ces dispositions le cadre réglementaire qui sera fixé par le Conseil d’État, après avis de la CNIL, quant aux modalités de traitement des données personnelles provenant des caméras individuelles.
Premièrement, seules les images issues des caméras fournies par les services sont susceptibles d’être enregistrées dans les fichiers.
Deuxièmement, les images, les sons et l’identité du porteur sont stockés simultanément, et ce dernier doit justifier le cas échéant l’absence de déclenchement.
Troisièmement, les données doivent être conservées pendant un délai limité de six mois, sauf en cas d’utilisation dans le cadre d’une procédure judiciaire – cela a été rappelé par notre collègue Éliane Assassi –, et accessibles pour les personnes filmées.
Il faut toutefois souligner que, comme la CNIL le rappelle depuis 2015, plusieurs points demeurent problématiques dans le cadre ainsi établi.
Le premier point concerne l’accessibilité des données : la CNIL estime qu’au vu de la durée de leur conservation, et du fait que les traitements ne sont pas centralisés, le droit d’accès indirect aux images n’est pas effectif.
Deuxièmement, la CNIL met le doigt sur la difficile interprétation de la loi quant aux cas dans lesquels l’enregistrement est possible, c’est-à-dire « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées ». Mes chers collègues, la notion d’incident et, plus encore, celle de risque d’incident sont éminemment subjectives, chacun l’aura bien compris.
Enfin, les enregistrements peuvent être réalisés en tous lieux, sans distinction entre l’espace public et les domiciles privés. Selon la CNIL, « des règles spécifiques devraient être prévues de manière à limiter toute atteinte à la vie privée des personnes concernées ». Nous l’avons fait dans ce texte, notamment pour les contrôles visant à des interventions médicales.
Ces préconisations de la CNIL nous montrent que la réflexion sur la technique est nécessaire et qu’elle doit être encore approfondie.
Il est problématique de traiter ces sujets par une proposition de loi. En effet, l’étude d’impact nous manque. Le travail de l’auteur et celui du rapporteur ne sont pas en cause – ils sont, je le répète, d’une grande qualité –, mais on peut regretter que le Gouvernement ne se soit pas saisi de ce sujet pour nous fournir des éléments techniques et éthiques qui nous permettraient d’avoir une vision plus globale encore de la question.
Malgré ces difficultés, la commission des lois a travaillé et a apporté des améliorations importantes. La proposition de loi initiale, en se contentant d’étendre l’existant à d’autres catégories de personnel, ne donnait pas forcément de réponses aux problématiques évoquées précédemment.
Des améliorations ont été apportées concernant les limites du cadre d’utilisation des caméras individuelles ; notre groupe les soutiendra.
J’approuve également la modification de l’article 2 visant à n’étendre le dispositif au personnel pénitentiaire qu’à titre expérimental. Rien ne justifiait un traitement différent de celui qui a été réservé à toutes les autres professions concernées jusqu’ici par le dispositif.
Nous approuvons aussi l’introduction de l’article 2 bis pérennisant l’expérimentation dont ont bénéficié les polices municipales. Nous allons ainsi, potentiellement, combler le vide juridique : le rapport d’expérimentation nous y incite.
Pour ma part, madame la ministre, je vous incite aussi, si vous le voulez bien – vous l’avez évoqué vous-même –, à exercer une pression amicale sur votre collègue chargé des relations avec le Parlement pour que ce texte soit adopté rapidement, et de manière conforme, par l’Assemblée nationale.
J’avais également déposé un amendement visant à permettre, dans un cadre bien identifié, d’offrir l’anonymat aux sapeurs-pompiers qui portent plainte, afin d’éviter qu’ils ne se trouvent exposés à des risques de représailles de la part des personnes mises en cause. La commission des lois l’a ce matin déclaré irrecevable au regard de l’article 45 de la Constitution. Je le regrette, parce que je crois sincèrement que cet amendement s’inscrivait dans la droite ligne de ce texte : j’entendais ainsi contribuer à sécuriser des professionnels qui risquent leur vie tous les jours pour protéger la nôtre. Cette question mérite en tout cas d’être débattue, et je ne manquerai pas de la porter plus loin à l’avenir sur le plan législatif.
En conclusion, le groupe socialiste et républicain, je le répète, se félicite de l’évolution dans laquelle s’inscrit la présente proposition de loi. Néanmoins, comme l’a rappelé notre collègue Stéphane Artano, prenons garde de ne pas mécaniser systématiquement tous les rapports humains.
L’utilisation des caméras mobiles est utile et pacificatrice, mais la formation des personnels doit demeurer prioritaire pour leur permettre de reconnaître et de gérer correctement les comportements. Il faut donc savoir où placer la barre du curseur.
Je lisais cette semaine un article qui traitait de la nouvelle traduction de 1984, ce fameux livre. On y lit que cet ouvrage « est toujours en avance sur nous. Il forme encore, en 2018, un phare inversé, notre horizon. » Gardons cela en tête, ne rejoignons pas cet horizon, et gardons-nous de dérives orwelliennes que pourrait entraîner une logique de surveillance poussée jusqu’au bout.
En 2007 déjà, la CNIL appelait à la vigilance dans son rapport annuel : « L’innovation technologique est à la fois porteuse de progrès et de dangers. Les individus sont tentés par le confort qu’elle procure, mais ils sont peu conscients des risques qu’elle comporte. » Aujourd’hui encore, c’est la vigilance face à ces risques qui doit être le mot d’ordre du législateur quand il touche à ces domaines.
C’est avec cette préoccupation que le groupe socialiste et républicain votera en faveur de cette proposition de loi.