Intervention de Jacqueline Gourault

Réunion du 14 juin 2018 à 14h30
Formation des ministres des cultes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jacqueline GouraultJacqueline Gourault :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les conditions d’exercice de la liberté de culte dans un cadre républicain – pour reprendre le nouvel intitulé de la proposition de loi adopté par la commission des lois – sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens.

À vrai dire, ces préoccupations, et celles qui ont motivé, chère Nathalie Goulet, cher André Reichardt, les auteurs de cette proposition de loi, sont, pour l’essentiel, plus précises : elles concernent la place de l’islam au sein de la société française, sa place comme culte parmi d’autres cultes en France, soumis aux mêmes principes constitutionnels de laïcité, de liberté d’opinion et de culte, d’égalité devant la loi, mais aussi les défis que des expressions radicales, violentes, dévoyées de l’islam font peser sur notre cohésion nationale.

Face à ces défis, le Président de la République a, vous le savez, engagé une réflexion visant à poser, dans les prochains mois, les jalons d’une réforme de l’islam de France et des conditions d’exercice du culte.

La philosophie de cette réforme est claire ; le Président de la République l’a rappelée au mois de juin 2017.

D’une part, chaque Français de confession musulmane a le droit de vivre paisiblement sa foi, comme tous les autres Français, dans le respect du principe de laïcité. Cela signifie que chaque Français, partout en France, est libre de croire ou de ne pas croire, libre de pratiquer un culte ou de n’en suivre aucun. Le Gouvernement n’acceptera jamais que ce principe fondateur soit attaqué, remis en cause ou instrumentalisé. Il le fera respecter sans outrance et sans provocation, mais avec la ferme conviction que la laïcité est constitutive de ce que nous sommes : la France.

D’autre part, les Français musulmans ont à mener, avec l’ensemble de la société française et avec l’État, un combat commun essentiel, consistant à faire reculer les idées radicales, en particulier chez les jeunes.

Ce constat, vous le faites tous comme moi : si la grande majorité des musulmans français adhèrent pleinement aux idéaux républicains et aspirent à vivre dans la concorde, ils ne sont pas, tant s’en faut, les plus entendus ; les idées radicales progressent, allant du djihadisme meurtrier le plus abject à la volonté de vivre de façon séparée, voire ségréguée, selon des règles distinctes de celles de la société française. Nul ne peut nier que leur poids, sur internet, dans certains quartiers, mais aussi dans certains lieux de culte, est excessif.

Devant cette prédominance des idées radicales, le Gouvernement et le Président de la République refusent tout fatalisme, car c’est notre rôle de protéger l’ordre public et de préserver la cohésion nationale. Il est donc essentiel d’engager la réflexion, comme vous l’avez fait dès 2016 avec un rapport faisant désormais référence, intitulé « De l’islam en France à un islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés ».

Vous aviez déjà pointé, à cette occasion, les principaux chantiers à ouvrir en la matière : la formation des ministres du culte, le financement et l’encadrement juridique du culte musulman, la représentation de celui-ci. La réflexion est donc ouverte autour du Président de la République, et le Gouvernement partage à cet égard l’ensemble des interrogations que vous avez soulevées.

Instaurer une obligation de formation pour tous les ministres du culte ne peut être, nous le croyons, une solution conforme au principe de libre organisation du culte, qui est le pendant de la laïcité, mais nous partageons intégralement votre diagnostic : structurer une offre de formation des imams en France est indispensable.

Il en va de même s’agissant des obligations de transparence du financement du culte. Ces obligations, vous le savez, pèsent aujourd’hui sur les associations qui bénéficient de plus de 153 000 euros de dons ; elles pèseront demain sur toutes les associations cultuelles si l’examen du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance aboutit.

À cet égard, nous partageons largement les préconisations que vous formulez à propos de l’extension de ces obligations à toutes les associations au sein desquelles s’exerce le culte, y compris lorsqu’elles sont, comme c’est le cas de bon nombre de lieux de culte musulmans, organisées sous le régime de la loi du 1er juillet 1901, même s’il nous semble qu’elles doivent être affinées techniquement pour pouvoir être pleinement applicables.

En clair, nous convergeons sur les constats, les interrogations, mais, malheureusement, le calendrier de ces réflexions, comme vous l’avez vous-même relevé, chère Nathalie Goulet, s’avère peu compatible avec l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi : le Gouvernement ne saurait préempter la réflexion actuellement menée avec le Président de la République.

Dans ces conditions, vous comprendrez que le Gouvernement ne peut être favorable à l’examen de la proposition de loi en l’état, sous quelque forme que ce soit. Il me paraîtrait préférable à cet égard que ce texte soit retiré.

Néanmoins, je puis vous assurer que nous avons pleinement entendu tant les préoccupations que vous avez exprimées que votre volonté d’être associés aux réflexions en cours. Cela me paraît utile, voire nécessaire ; je ne manquerai pas de le faire valoir dans la suite des discussions avec le Président de la République et le Premier ministre.

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