Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la loi de 1905 était une loi de compromis entre, d’un côté, la condamnation par l’Église de la séparation de l’Église et de l’État – confer « la France, fille aînée de l’Église » –, et, de l’autre, le projet d’Émile Combes, qui visait à empêcher l’Église de fonctionner selon ses propres règles.
La loi de 1905 sauvegarde la liberté de chacun. Son article 1er dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
La liberté de conscience est la liberté la plus fondamentale qui soit, déjà posée par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Mais quelle est la philosophie de la loi de 1905 et quelles étaient les intentions de ses pères fondateurs ?
Au-delà du cadre juridique, il existe, me semble-t-il, une ambition morale de concourir à former des « consciences autonomes ». Ainsi, selon Charles Renouvier, philosophe de la République du XIXe siècle, aujourd’hui totalement oublié, « la République n’était pas autre chose que la cité des consciences autonomes », ce que Clemenceau résumera d’une de ces formules lapidaires dont il avait le secret : « l’homme enfin seul » !
Les républicains qui feront la loi de 1905 prendront bien garde à ne pas s’engouffrer dans cette voie, en reconnaissant que la liberté de culte est le prolongement et la condition de la liberté individuelle de conscience pour les croyants.
Est-il nécessaire de rappeler que, à l’époque de l’élaboration tumultueuse de la loi de 1905, le culte musulman était inexistant en France ? Aujourd’hui, l’islam est la deuxième religion pratiquée sur notre territoire, et ses dérives ne vont pas sans poser problème, au point que les réflexions qui tournent autour de cette religion, y compris, bien évidemment, celles du législateur, tendent à en diminuer les effets collatéraux, voire pervers, tout en essayant de la faire cadrer avec l’esprit républicain.
C’est dans cet esprit que nous avons publié le rapport d’information intitulé « De l’islam en France à un islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés ». Corinne Féret était la présidente de cette mission d’information, dont les rapporteurs étaient Nathalie Goulet et André Reichardt. J’ai moi-même activement participé à ses travaux. L’idée qui nous guidait n’était pas de donner à la République la tâche de réformer l’islam – cela dépasserait le cadre de la laïcité –, mais d’inscrire l’avenir de ce culte dans la nation française en faisant en sorte qu’il ne dépende plus du monde arabo-musulman – Maroc, Algérie, Turquie, monarchies du Golfe – pour le financement des mosquées et des associations cultuelles, voire culturelles, ainsi que pour la formation des imams.
Mais venons-en au texte qui nous est soumis.
La proposition de loi du sénateur André Reichardt répond à un double objectif : d’une part, l’unification sous le seul régime des associations cultuelles, tel que défini par le titre IV de la loi du 9 décembre 1905, de toutes les associations chargées de l’exercice public d’un culte ou de la gestion d’un lieu de culte ; d’autre part, la création d’une qualification cultuelle des ministres des cultes et l’instauration de l’obligation, pour les associations cultuelles, de ne recruter leurs ministres que parmi les personnes titulaires de cette qualification.
La question qui se pose est la suivante : est-il possible d’imposer à une association dont l’objet est l’exercice public du culte de s’organiser sous la forme juridique exclusive de l’association cultuelle établie par la loi de 1905 ?
Ce texte déroge à deux principes : celui de la liberté de religion, car son application empêcherait certaines associations d’organiser des rites et cérémonies cultuels dès lors qu’elles ne se conformeraient pas aux termes de la loi de 1905, et celui de la liberté d’association, en ce sens que, l’objet social d’une association relevant du régime de la loi de 1901 pouvant n’être que partiellement cultuel, la réduire au régime de la loi de 1905 limiterait son champ d’activité.
Quant à l’épineuse question de la formation des ministres du culte, on ne peut la réduire, du moins juridiquement, à celle de la formation des seuls imams…
La proposition de loi prévoit la création d’une « qualification cultuelle reconnue » qui recouvrirait une formation « théologique » portant sur la connaissance et la pratique du fait religieux – textes, rites, etc. – et une formation civique et civile centrée sur la connaissance des lois et règles de notre République, avec comme finalité, disons-le, l’inscription de la pratique religieuse dans le cadre républicain, en particulier celui de la laïcité. Cette qualification serait délivrée par une « instance suffisamment représentative ».
Ce second point contrevient au principe constitutionnel de neutralité, dont découle celui de libre organisation des cultes, puisque, dans cette hypothèse, l’État interviendrait dans la reconnaissance d’une instance cultuelle, ce qui va à l’encontre du principe de séparation des Églises et de l’État.
De plus, la fonction de ministre du culte n’a jamais été clairement définie et varie considérablement selon les religions pour ce qui est de la lecture ou de l’interprétation des textes sacrés, mais aussi pour ce qui est des comportements à adopter dans la vie de tous les jours en fonction des prescriptions religieuses. Ainsi, si la séparation de l’Église chrétienne et de l’État est déjà en germe dans les paroles du Christ – « il faut rendre à César ce qui est à César » –, comme le démontre brillamment Marcel Gauchet dans Le Désenchantement du monde : une histoire politique de la religion, il en va tout autrement dans l’optique d’une lecture littérale de l’islam, puisque cette religion règle, par la charia, la vie civile.
L’enfer est pavé de bonnes intentions : pour les raisons de non-constitutionnalité que j’ai évoquées, nous ne pourrons voter cette proposition de loi. Elle aura néanmoins eu l’immense mérite d’ouvrir un débat qui est loin d’être clos.