Intervention de André Reichardt

Réunion du 14 juin 2018 à 14h30
Formation des ministres des cultes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour, en qualité de coauteur de cette proposition de loi, de rappeler que celle-ci est née de la réflexion menée sur l’islam par la mission d’information sénatoriale, voilà moins de deux ans, dont le rapport portait le titre suivant : « De l’islam en France à un islam de France ».

Ses deux objectifs ayant été abondamment rappelés par les orateurs précédents, je n’y reviens pas. Je souhaiterais toutefois préciser qu’elle a été cosignée par plus de cinquante sénateurs et sénatrices des seuls groupes Les Républicains et Union Centriste, que j’ai bien voulu solliciter. Je voudrais tout particulièrement remercier ce dernier groupe, l’Union Centriste, d’avoir bien voulu inscrire dans un de ses créneaux de la semaine dite sénatoriale.

Je voudrais également remercier Mme Françoise Gatel, issue de ce même groupe, d’en avoir fait le rapport, tout en m’excusant auprès d’elle de l’importance du travail que cela lui a causé.

À ce stade, force est néanmoins de constater que ce texte ne correspond naturellement plus du tout à notre intention initiale. Au sortir de la commission des lois, le texte que nous examinons aujourd’hui est entièrement vidé de son sens.

L’article 1er concernant le recours au régime de l’association cultuelle de la loi de 1905 a été supprimé, de même que l’article 4 relatif à l’obligation de formation des ministres des cultes. S’y substitue un article 3 bis instituant un conseil consultatif des cultes, placé auprès du ministre en charge des relations avec les représentants des cultes.

Il va de soi que cette situation ne saurait me convenir, vous l’aurez compris, non pas par orgueil personnel, étant l’auteur du texte d’origine, mais parce que je pense sincèrement que le Sénat rate ici une occasion de faire réellement œuvre utile. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements visant à rétablir le sens de la proposition de loi initiale, non sans avoir tenu compte de certaines observations de Mme la rapporteur.

Ma préoccupation essentielle concerne la nécessité de rendre obligatoire pour les cadres religieux et les ministres des cultes une formation spécifique leur assurant une connaissance des principes civils et civiques, des rites de leur confession et de la langue française.

Mes chers collègues, la raison en est évidente : il s’agit bien entendu d’éviter que, faute de formation suffisante, des ministres du culte diffusent des messages contraires à la tolérance et au respect des valeurs républicaines. Au-delà, il s’agit également, grâce à cette formation, comprenez-le bien, de permettre à ces « porteurs de la parole » de contribuer à l’organisation, à terme, dans notre pays, d’un véritable islam de France.

Je suis en effet personnellement convaincu que c’est par la formation du plus grand nombre que pourront être endiguées les dérives et les politiques opaques mises au jour dans le rapport de la mission sénatoriale précitée. Pour en avoir parlé abondamment autour de moi, je relève que nombreux sont ceux qui sont du même avis.

L’opposition à cette mesure se fonde, non pas sur l’inopportunité de l’objectif visé, mais sur son éventuel caractère inconstitutionnel. À cet égard, je me suis personnellement autorisé à saisir de la question deux éminents constitutionnalistes, dont les études, sous réserve de leur accord, pourraient bien entendu être rendues publiques. Leurs conclusions sont moins radicales que les sentences prononcées ici ou là et que j’ai encore entendues à l’instant.

Je me permets ici de m’inspirer des analyses de l’un et l’autre de ces deux juristes concernant tout particulièrement le concept de l’ordre public, sur le fondement duquel des restrictions au libre exercice du culte peuvent être apportées, au sens de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’une part, et de l’article 1er de la loi de 1905, d’autre part.

En l’absence de définition de la notion d’ordre public, il convient de se référer à la décision du Conseil d’État du 28 avril 2004, qui a proposé de retenir, pour l’application de la loi du 9 décembre 1905, une acception large de la notion d’ordre public, « recouvrant non seulement, comme en matière de police générale, la sécurité publique, la tranquillité publique et la moralité publique, mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées ».

Le rapport Stasi de 2003, à l’origine de la loi du 15 mars 2004, qui a encadré, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires, soulignait également que, « aujourd’hui, la question n’est plus la liberté de conscience, mais l’ordre public », remis en cause par « les tensions et les affrontements dans les établissements autour de questions religieuses ».

Quant à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dont l’objet est la prohibition du port du voile intégral par les femmes musulmanes, son fondement dans l’ordre public a même été entendu au sens immatériel des exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française. L’ordre public, mes chers collègues, peut donc s’accorder avec la recherche de l’harmonie, éloignée d’une conception répressive.

Partant, une telle définition large de la notion d’ordre public, dans son application au champ religieux, et en particulier à l’islam, est de nature, selon les deux éminents juristes précités, à justifier une conception extensive, sinon instrumentale de celui-ci. Et ils considèrent dès lors que la proposition de loi que, avec d’autres, j’ai déposée intéresse bien l’ordre public, au sens où son objet est d’empêcher la propagation de doctrines religieuses radicales incompatibles avec les lois de la République, de la part d’imams autoproclamés, qui échappent au contrôle de la communauté et qui nourrissent naturellement le terrorisme islamique.

S’il s’agit, bien entendu, d’une intrusion dans la libre organisation des religions, cette restriction est on ne peut plus « nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui », au sens de l’article 9, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les deux juristes ajoutent que, comme toujours lorsqu’il s’agit de concilier deux exigences constitutionnelles ou conventionnelles – la liberté religieuse, d’une part, et la sauvegarde de l’ordre public, d’autre part –, il appartiendra au juge, qu’il soit national ou européen, d’apprécier la proportionnalité et les justifications mises en avant par le législateur pour adopter une loi plus restrictive ou imposer de nouvelles obligations, le législateur étant naturellement compétent, aux termes de l’article 34 de la Constitution, pour « fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

Mes chers collègues, compte tenu de l’absence de précédents significatifs, de la part tant du Conseil constitutionnel que de la Cour européenne des droits de l’homme, l’un des deux constitutionnalistes dont je viens de parler en arrive à la conclusion qu’« il est particulièrement délicat d’anticiper une quelconque réponse dans un sens ou dans l’autre ».

L’autre juriste indique, quant à lui, que la proposition de loi « peut éventuellement trouver sa justification dans l’ordre public, même si la distance apparaît importante entre les dispositions organiques proposées et l’objectif de police poursuivi. »

Au vu de certaines dérives sectaires et radicales, je pense pour ma part qu’il est urgent de trouver un moyen de former les cadres religieux et les ministres des cultes, afin que tous les citoyens puissent exercer leur liberté religieuse dans le respect de nos valeurs républicaines.

C’est bien là tout l’objet de ce texte. Les mesures répressives, comme on en voit à longueur de textes, ne suffisant pas, il nous faut un « rocher » préventif, « un rocher contre lequel se briseraient toutes les tentatives centrifuges des citoyens, des groupes sociaux et du communautarisme au sein de la société », pour reprendre à mon compte les propos tenus par le doyen Jean Carbonnier à la fin du XXe siècle.

Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention, en espérant sincèrement que cette proposition de loi ouvre enfin la voie à un vrai débat, à la fois politique et juridique, car je crois que notre rôle n’est pas de rester les bras croisés.

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