Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 14 juin 2018 à 14h30
Formation des ministres des cultes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de la discussion générale, et bien des choses ont déjà été dites. La place de l’islam dans notre société ?… Vaste débat !

« Ouvrir une école, c’est fermer une prison. » Cette formule, souvent prêtée à Victor Hugo, est probablement, en réalité, de l’éditeur Louis-Charles Jourdan. Mais qu’importe, car le message est clair et intemporel : la science et la connaissance contre l’obscurantisme et l’ignorance ; l’esprit critique et le libre arbitre contre l’endoctrinement et le déterminisme.

La réalité, néanmoins, est un peu plus complexe que cela, et cette phrase pose deux problèmes au moins : il n’y a jamais eu en France autant d’écoles qu’aujourd’hui, et, pourtant, le nombre de prisons n’a pas diminué pour autant, loin de là ; délinquance et criminalité des jeunes explosent ; il n’y a plus seulement que les adultes qui passent à l’acte.

L’école et l’enseignement ne font pas tout. La présente proposition de loi tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d’une formation les qualifiant à l’exercice de ces cultes, défendue par mes collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, prévoit, aux articles 3 et 4, un contrôle par l’État de la définition de la formation et de la qualification des ministres des cultes.

Dans le contexte que nous connaissons, l’idée est notamment de remédier au recrutement d’imams étrangers, rémunérés par des pays tiers, véhiculant les thèses d’un islam radical, prêchant en langue étrangère, poussant à la haine et encourageant les pratiques discriminatoires sur notre sol. Il s’agit de combattre le phénomène pernicieux des imams autoproclamés.

Or ces formations proposées à des radicalisés ne les « déradicaliseront » pas forcément. C’est là un premier écueil.

Si vous considérez que des imams manquant de qualification pourraient tirer quelque bénéfice de ce type de formation, ayez ceci en tête : il existait déjà l’an dernier pas moins de quatorze diplômes universitaires de formation sur le fait religieux et la laïcité, offrant une formation au contexte sociohistorique, au droit et aux institutions de la France, à la gestion d’institutions cultuelles et à une approche universitaire du fait religieux, mais les imams étrangers ne s’y sont inscrits qu’en très petit nombre. C’est là un second écueil.

Dans la mesure où elle touche au contenu même de la pratique religieuse, je suis rassurée sur le fait que ladite « qualification cultuelle reconnue », dont devront justifier les ministres des cultes, relèvera non pas du domaine de la loi, mais bien de chaque confession, selon des modalités dont celle-ci sera seule juge.

Je suis convaincue en effet que l’État n’a pas vocation à contrôler les instituts de formation théologiques, et encore moins à déterminer le programme de leur enseignement. Ainsi, l’idée de créer une faculté de théologie musulmane au sein de l’université publique, comme il est proposé en application du droit local alsacien-mosellan, ne me paraît pas être une bonne idée.

Si le problème des imams étrangers radicaux doit, bien sûr, être réglé, l’on se trompe peut-être de cible ; ou du moins, l’on se trompe d’urgence. En effet, ils ne sont pas le canal principal de la peste islamiste qui ravage le monde et notre pays. M. Amir Amghar, sociologue spécialiste du salafisme et de l’orthodoxie en islam, explique ainsi que ce n’est plus uniquement dans les mosquées que l’on se radicalise aujourd’hui, mais par des rencontres entre individus par interfaces interposées. Les fidèles sont de plus en plus jeunes et sont en recherche d’informations sur l’islam par d’autres moyens, internet notamment. Là est aussi l’un des chantiers principaux.

Le problème de la radicalisation et de la violence des jeunes n’est pas uniquement un problème de jeunes. La vraie question est la suivante : pourquoi notre génération d’adultes rencontre-t-elle plus de mal que celle d’hier à apprendre à l’enfant qui grandit à gérer sa frustration, à maîtriser son agressivité et à découvrir d’autres modes de résolution des conflits que le recours à la violence ? Les bébés du XXIe siècle ne naissent pas plus violents que ceux des siècles précédents. Le problème central est celui de l’éducation, qui est l’apanage des parents.

La formation, l’instruction, si elles peuvent aider à l’insertion dans la société par une accumulation de compétences, ne remplaceront jamais la transmission donnée par le cadre familial, qui, seule, peut marquer durablement un individu et en faire quelqu’un de bon et d’impliqué pour le bien commun.

La formation des imams est utile, certes, mais il ne faudrait pas surestimer ses effets. Il convient de garder à l’esprit qu’elle ne constitue pas uniquement la solution ultime au mal du siècle. Ce sont des structures sociales, la prévention et l’accompagnement des familles – tout ce qui peut recréer le lien social – qu’il faudrait développer davantage.

Je voterai ce texte, car j’estime qu’il va dans le bon sens. Il est une première pierre, certes imparfaite, mais une première pierre tout de même à l’édifice.

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