Je vous prie d'excuser M. Jacques Mézard, retenu par un contretemps personnel mais qui attache une volonté infinie à dialoguer avec le Sénat sur le projet de loi ELAN.
Ce projet de loi vient d'être adopté par l'Assemblée nationale, hier, après plus de 90 heures de discussion selon la procédure du temps programmé qui n'existe pas au Sénat et qui a essuyé quelques critiques de parlementaires se plaignant de ne pas avoir eu tout le loisir de s'exprimer, mais qui a permis l'enrichissement significatif du texte.
Ce projet de loi a été construit de façon particulière, avec l'apport d'au moins 2 600 propositions de professionnels, 25 000 contributions des Français, avant la fameuse conférence de consensus à laquelle beaucoup d'entre vous ont participé, dont Mme la présidente, que je remercie. Chose singulière, à cette occasion, ce projet de loi a été transmis dans le cadre de cette conférence de consensus aux parties prenantes avant de l'être aux commissions des deux assemblées.
En aucun cas il ne s'agit d'un projet de loi portant uniquement sur le logement. Le N de « numérique » n'a pas pour objet de faire joli ! Avec M. Patrick Chaize, nous sommes viscéralement attachés au développement du numérique, dont il faut accélérer le déploiement.
Nous traitons l'aménagement du territoire, dont le logement, de manière pragmatique, dans le souci de libérer, de faciliter, de simplifier. Ce projet de loi n'introduit pas de nouvelles normes, ou très peu, mais prend les problèmes à la racine pour construire plus vite et mieux.
Avec M. Jacques Mézard, nous avons mis notre patte, celle de la co-construction, avec de longues heures de discussion. Plusieurs centaines d'amendements de tous les groupes politiques confondus ont été adoptés à l'Assemblée nationale sur un grand nombre de thématiques. Nous travaillerons dans le même état d'esprit au Sénat.
Ce projet de loi n'oppose pas les propriétaires aux locataires. Si je schématise, on a eu coutume de voir des ministres de droite favoriser les premiers et des ministres de gauche favoriser les seconds. Ce n'est pas du tout notre état d'esprit.
Les quatre titres du projet de loi correspondent aux quatre piliers de notre stratégie. Le premier vise à construire plus, mieux et moins cher en facilitant les opérations d'urbanisme dans un état d'esprit favorable à la contractualisation, à libérer le foncier et à faciliter l'aménagement lorsqu'il y a des blocages grâce aux grandes opérations d'urbanisme (GOU) créées par ce projet de loi.
Nous simplifions les documents d'urbanisme en réduisant le nombre de pièces requises, y compris pour les permis de construire, en favorisant le numérique et en revoyant les délais. Nous nous assurons de partir des attentes des élus locaux, pour une loi réaliste.
Ce projet de loi n'a absolument pas pour but de toucher à l'ambition de la loi Littoral. Il ne modifie que deux éléments : il résorbe les « dents creuses » dans les zones denses de communes qui relèvent de la loi Littoral et il autorise des infrastructures comme celles de la conchyliculture à s'installer dans une zone proche du rivage.
Le projet de loi simplifie les normes de construction, comme dans le projet de loi pour un État de service d'une société de confiance qui comporte une habilitation à légiférer par ordonnance pour réécrire le code de la construction. Ce qui m'a le plus marqué lors de ma prise de fonctions, c'est que le premier sujet dont on m'a parlé était la simplification des normes. J'ai trouvé cela incroyable, puisque, depuis que j'ai une conscience politique, tout le monde défend la simplification des normes de construction. Et il en reste encore à simplifier ! Certaines sont ubuesques. Ainsi, dans une maison individuelle à chauffage électrique, vous êtes obligé de construire une cheminée au cas où vous décideriez de passer au chauffage à bois. Le coût de la construction en est augmenté de 800 à 2 000 euros.
Le vrai problème est que le code de la construction, plus épais que le code civil ou le code du travail, est prescripteur : il fixe des objectifs mais indique également les moyens de les atteindre. La seule solution est de le réécrire, d'enlever environ une page sur cinq, afin de le rendre efficace. Nous fixons des objectifs de même qualité mais faisons en sorte qu'il ne soit plus prescripteur et qu'il laisse les acteurs de terrain déterminer les chemins à emprunter. Nous revenons donc sur un certain nombre de normes qui contraignent l'acte de construction.
L'une des mesures les plus discutées est notre proposition de passer de 100 % de logements accessibles à 10 % de logements accessibles, le reste étant des logements évolutifs. Je veux ici mettre fin aux idées préconçues : le « 100 % de logements évolutifs » a été discuté avec les associations de personnes en situation de handicap que nous avons reçues, Mme Sophie Cluzel, M. Jacques Mézard et moi-même, à de très nombreuses reprises. Le terme d'évolutif vient de ces associations.
Il n'est pas logique, lorsque vous êtes jeune et que vous avez trois enfants, que la salle de bain soit aussi grande que la chambre des enfants. En revanche, lorsque des personnes de votre famille en situation de handicap viennent vous rendre visite, il faut que les toilettes et la principale pièce de vie leur soient dès maintenant accessibles. C'est le sens du logement évolutif.
Le logement évolutif doit pouvoir être transformé dès qu'un accident de la vie, ou le vieillissement, surviennent - le handicap est dû pour 80 % des cas à un accident. Ainsi, les parois doivent pouvoir être décalées pour agrandir la salle de bain puisqu'elles ne contiennent aucun tuyau et que le siphon est placé au bon endroit. La loi inclut la définition de l'évolutivité. En parallèle, nous travaillons avec les associations sur le décret qui définira précisément les travaux concernés.
Nous accélérons le traitement des recours contentieux. Nous avons essayé d'aller le plus loin possible dans la lutte contre les professionnels du recours abusif. Ainsi, nous réduisons par exemple le délai de jugement de 24 à 10 mois -nous nous sommes mis d'accord avec la chancellerie. Nous luttons aussi contre ceux qui jouent la montre pour récupérer des indemnités en déposant un premier recours, puis en retardant le processus par l'ajout, à plusieurs reprises, de nouveaux griefs qui remettent le compteur à zéro. Pour ce faire, nous utilisons la notion de cristallisation des moyens : le dépôt d'un recours est pour solde de tout compte en matière de griefs. Le précédent gouvernement avait proposé cette solution, mais de façon optionnelle. Cela ne peut pas marcher. Nous imposons la cristallisation des moyens, pour lutter efficacement contre les recours abusifs.
Enfin, j'ai personnellement beaucoup travaillé sur la transformation d'immeubles vacants en logements. La construction prend du temps : nous avons là une solution rapide. Pour lutter contre la vacance dans les logements, il n'existe pas d'autre solution que de recréer le lien entre les locataires et les propriétaires, au sein de cette société de confiance que j'évoquais tout à l'heure. En revanche, il faut lutter plus efficacement contre les bureaux vacants : c'est pourquoi nous proposons de grandes mesures de simplification pour faciliter leur transformation tout en étant, en même temps, coercitifs. Ainsi, lorsqu'un bureau sera vacant trop longtemps, il pourra être réquisitionné pour devenir un hébergement d'urgence pendant une durée limitée.
Le deuxième pilier de notre stratégie porte sur les « évolutions du secteur du logement social », sujet qui vous est cher. Notre objectif, très clair, est double : renforcer la production et la rénovation de logements sociaux, car il en manque beaucoup - plus de deux millions de nos concitoyens en attendent un - et inverser la logique décidée il y a quarante ans sous Raymond Barre, à savoir de privilégier l'aide à la personne, qui nous a mené au système actuel des aides personnalisées au logement (APL) - dont le coût est de 18 milliards d'euros.
Notre objectif est de consacrer une énorme somme d'argent au logement - dix milliards d'euros de financements nouveaux, avec la Caisse des dépôts et consignations - et de faciliter la construction et la rénovation du logement social. Cela passe par la restructuration des organismes de logements sociaux. Nous avons travaillé avec les bailleurs sociaux et même signé une convention avec le président de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Nous avons abordé à cette occasion le regroupement, qui est déjà engagé dans beaucoup d'endroits. Différent de la fusion, il favorise le partage de moyens, de trésoreries. Nous avons cassé le monopole bancaire afin que les bailleurs sociaux puissent se prêter de l'argent entre eux. C'est quelque chose qui n'arrive que très rarement ; la dernière fois, c'était dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dite loi Macron pour que des entreprises du même secteur d'activité selon le code de la nomenclature d'activités française (NAF) puissent se prêter entre elles. Certains bailleurs ont beaucoup d'argent et d'autres bien moins, il est donc très important d'assurer la fluidité des capitaux.
Nous voulons faciliter l'acte de construction pour les bailleurs sociaux également. Nous proposons donc de déroger au titre II de la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée (MOP). Là encore, je veux lutter contre une idée qui circule : la loi MOP n'impose pas de faire appel à un architecte, c'est totalement faux. Leur rôle est essentiel et leur travail absolument indispensable. C'est le code de l'urbanisme qui l'impose et en aucun cas nous n'avons eu l'idée de revenir sur cette disposition. La loi MOP organise un agencement des relations entre le donneur d'ordre et le maître d'oeuvre. Elle ne s'impose pas aux constructions privées ni aux ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA).
Dans ce projet de loi, nous voulons que celles et ceux qui le veulent puissent acquérir leur logement : c'est l'accession sociale à la propriété. Il faut des immeubles qui accueillent des propriétaires et des locataires. Accessoirement, vendre un logement social permet d'en construire deux ou trois autres.
Enfin, nous mettons l'accent sur la mobilité au sein du parc social. Aujourd'hui, des chambres sont libres dans un certain nombre de logements sociaux parce que les enfants sont partis. Dans le parc social, personne ne vous propose de changer de logement - je parle bien de proposition.