Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, mes chers collègues, Bruno Retailleau, président du groupe de liaison sur les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient, m'a demandé de l'excuser, ayant dû retourner dans son département.
Il m'a demandé de vous rendre compte de la visite que nous avons effectuée avec Michel Boutant, ici présent, et Jacques Le Nay, en Irak et au Liban, du 5 au 10 janvier 2018.
Tout d'abord, merci, monsieur le ministre, d'avoir contribué à lever l'interdiction initiale des autorités irakiennes de nous rendre au nord de l'Irak, dans la plaine de Ninive, en passant par le Kurdistan. Cette interdiction était et est toujours motivée par les vives tensions entre le gouvernement central et la région autonome du Kurdistan, après le référendum sur l'indépendance.
Ne pas nous rendre dans cette partie du territoire où sont concentrés les chrétiens et d'autres minorités, comme les Yézidis, aurait fait perdre beaucoup d'intérêt à notre mission. Nous avons pu finalement passer par Erbil, mais avec l'engagement de ne pas rencontrer les autorités kurdes. Cette limitation était regrettable - bien que nous nous y soyons pliés.
L'objectif de ce déplacement était triple.
En premier lieu, il s'agissait de manifester l'intérêt et la solidarité du Sénat pour les communautés chrétiennes et les autres minorités d'Irak, victimes depuis longtemps des persécutions et, plus récemment, des crimes et exactions de Daech.
En deuxième lieu, il convenait d'évaluer les conditions du retour des réfugiés et déplacés du Kurdistan dans leurs villes et villages de la plaine de Ninive.
Enfin, nous devions visiter un certain nombre des réalisations d'ONG françaises, en partie financées sur les crédits du fonds de soutien que gère votre ministère.
Lors de ce déplacement, nous avons pu avoir des entretiens avec les autorités civiles et religieuses irakiennes et libanaises au plus haut niveau, rencontrer les acteurs locaux et dialoguer tant avec les familles chrétiennes encore réfugiées ou candidates au départ qu'avec celles qui se réinstallent dans leurs villes et leurs maisons, dans la plaine de Ninive.
Le groupe a également eu des entretiens avec les représentants des communautés yézidies et shabaks, ainsi qu'avec des associations qui rassemblent chrétiens et musulmans. Un rapport complet sur notre mission sera prochainement publié mais, d'ores et déjà, nous voulions vous faire part des six principaux enseignements.
En premier lieu, l'élimination de Daech dans sa dimension quasi-étatique et territoriale constitue bien sûr un point indéniablement positif, mais ne signifie pas l'éradication de la menace. Ses combattants n'ont pas tous été neutralisés ou arrêtés. Des cellules dormantes existent et de nombreux combattants ou activistes se sont « rasé la barbe » et fondu dans la population, dont il faut rappeler qu'une partie a soutenu l'organisation. Pour autant, ils sont toujours là. Le mode opératoire s'est modifié, se traduisant par une recrudescence des attentats sur le sol irakien. J'en veux pour preuve les trois attentats qui ont frappé Bagdad juste après notre départ. L'Europe et les alliés de l'Irak, dans cette lutte, sont plus que jamais des cibles potentielles.
Deuxième constatation : si une partie des populations déplacées est de retour, cela ne signifie pas que les conditions pérennes de sa réinstallation soient assurées, en particulier la sécurité et la gouvernance.
Ni l'une ni l'autre ne paraissent suffisamment assurées par le gouvernement central de l'Irak. Le sentiment qui domine est celui d'une grande fragilité, et donc du besoin de consolidation de la situation dans ses différentes composantes, sécuritaires comme politiques.
Ce retour concerne bien sûr les réfugiés qui n'avaient pas quitté l'Irak, mais aussi qui avaient choisi l'immigration. Aussi, monsieur le ministre, quelles sont les actions conduites par la France pour l'aide au retour ? Le groupe de liaison aimerait avoir une réunion de travail approfondi avec les services du ministère pour apprécier ces actions et voir les évolutions possibles.
Troisième constatation : la stabilité et la sécurité passent, pour l'Irak comme pour le Liban, par la tenue, en 2018, d'élections démocratiques, libres et transparentes dont les résultats seront déterminants. La question du statut des différentes composantes de la nation sera l'une des clés du futur de l'Irak et du maintien de sa diversité ethnique et culturelle. Le passage d'un statut d'inégalité, où certaines communautés sont tolérées, à celui d'une citoyenneté pleine et entière, est un enjeu essentiel pour la reconstruction de l'Irak. Il constitue une revendication ancienne et permanente de ces communautés. Peut-être pourrez-vous nous dire un mot de l'action de la France dans ce domaine.
Le quatrième point, évidemment central concerne la réconciliation, qui présuppose que justice soit rendue. Parmi les questions posées, celle du jugement des combattants étrangers est particulièrement d'actualité : où, comment et par qui ? Nous aimerions connaître la position de la France sur ce sujet.
Cinquième remarque : dans le contexte de la reconstruction, l'aide et le soutien de la communauté internationale sont particulièrement importants. Les conférences internationales pour la reconstruction qui sont annoncées à Koweït en février pour l'Irak, et à Rome et Paris pour le Liban - conférence du Cèdre - devront prendre en compte les intérêts de toutes les parties et de toutes les composantes de ces pays sur une base objective. Comment la France se positionne-t-elle notamment avec les autorités sur ce point ?
Enfin, dernière constatation, la France est présente dans la plaine de Ninive, au travers d'ONG remarquables, dont les actions sont en partie financées par votre ministère. Ces actions ne pourraient-elles revêtir un caractère plus officiel, soit au niveau de l'ambassade, soit au niveau du consulat général d'Erbil ? Il nous a semblé que, de ce point de vue, la visibilité de notre pays méritait d'être améliorée.
Sans doute le prochain déplacement du Président de la République en Irak sera-t-il l'occasion de témoigner sur place de la présence française - et s'il va à Mossoul encore davantage.
Je vous remercie.