À ce jour, nous n’avons pas encore pu mesurer les effets de ce qui avait alors été voté.
Dans son avis, le Conseil d’État a d’ailleurs affirmé que les conditions dans lesquelles ce texte arrivait n’étaient pas idéales : il est accompagné d’une étude d’impact incomplète et dépourvue d’une évaluation suffisante des textes précédents. J’ajoute que, pour la commission des lois, il est incomplet et technique, dénué de ligne politique suivie.
La préparation de ce projet de loi offrait pourtant l’occasion de prendre un peu de temps pour étudier dans le même mouvement l’asile et l’immigration, qui font pour la première fois l’objet d’un texte unique. Nous aurions pu également prendre un peu de temps pour tenir compte de l’intégration, par exemple. Cela n’a pas été le cas.
Les mesures relatives à l’asile se résument à une longue succession d’ajustements techniques et procéduraux ; celles qui concernent la lutte contre l’immigration irrégulière contiennent quelques adaptations bienvenues, visant notamment la vidéo-audience, que nous conservons.
En revanche, le volet « intégration » est réduit au minimum et nous semble se résumer à de l’affichage. La politique en la matière dépendra du sort que le Gouvernement compte réserver au rapport confié au député Aurélien Taché.
Sur le fond, les enjeux européens et internationaux des politiques migratoires sont totalement ignorés. Aucune mesure n’est prévue pour faire pression sur certains de nos partenaires, notamment pour l’obtention de laissez-passer consulaires ou pour encourager la participation de la France au mécanisme de solidarité européen. Enfin, la dimension migratoire de nos territoires ultramarins, de Mayotte en particulier, est éludée.
Les mineurs étrangers sont les grands absents du texte, qui ne contient aucune disposition susceptible de répondre aux problématiques posées par la crise de la prise en charge des mineurs non accompagnés, alors que les départements sont en première ligne et qu’ils ont besoin d’une action forte de l’État.
De même, ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité à l’Assemblée nationale n’ont eu le courage de traiter la situation des mineurs placés en centre de rétention avec leur famille, ouvrant même la possibilité de les retenir trois mois, dans des lieux totalement inadaptés.
L’intégration est donc le parent pauvre de ce texte. La formation linguistique à destination des étrangers en situation régulière est en moyenne de 148 heures, contre 242 heures en 2012. Même si le Gouvernement doublait le nombre d’heures de français, nous serions très loin de l’Allemagne, qui dispense 600 heures de formation linguistique aux étrangers primo-arrivants et jusqu’à 900 heures aux réfugiés.
Enfin, le nombre de visites médicales effectuées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, a baissé de plus de 76 % entre 2016 et 2017, ce qui soulève un grave problème de santé publique, notamment dans les universités.
Je ne saurais continuer sans rappeler le contexte dans lequel nous nous trouvons. L’Europe a connu depuis 2015 une vague d’arrivées sur son territoire d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale et le conflit de l’ex-Yougoslavie : un million et demi de personnes sont entrées en Europe en 2015 par la voie maritime, en Méditerranée. Depuis 2016, la pression migratoire s’est atténuée et le nombre de migrants a diminué d’un facteur cinq, grâce, notamment, aux opérations coordonnées par FRONTEX en Méditerranée, à l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016, à la mise en place de hotspots et au programme temporaire de relocalisation destiné à soulager l’Italie et la Grèce.
À l’échelle de l’Europe, la demande de protection internationale subit une baisse comparable et s’est établie en 2017 à 706 000 demandes d’asile, une diminution de 43 % par rapport à 2016. Cette évolution numérique s’accompagne d’une reconfiguration géographique des principales routes de migration vers l’Europe. Les flux en Méditerranée centrale ont connu une diminution notable – moins 32 % entre 2016 et 2017. Il en va de même en Méditerranée orientale. En revanche, le flux passant par la Méditerranée occidentale est en nette augmentation.
Fortement exposée par sa situation géographique aux flux dits « secondaires » ou « de rebond » internes à l’Union européenne, la France connaît désormais une demande d’asile à la hausse, alors même que celle-ci tend à se stabiliser chez ses voisins : 100 412 demandes en 2017, soit une augmentation de 17, 1 % depuis 2016. De même, la délivrance de premiers titres de séjour a connu une hausse ininterrompue depuis 2012, particulièrement forte en 2016 et en 2017.
En conséquence, nos structures d’accueil connaissent une tension extrêmement forte. Seuls 60 % des demandeurs d’asile sont accueillis dans des structures dédiées, des dispositifs qui se sont d’ailleurs empilés, parfois sans cohérence ni lisibilité. L’OFII est débordé par ses nouvelles missions en matière d’asile qui fragilisent sa fonction historique d’intégration des primo-arrivants.
En matière d’asile, les procédures sont encore insatisfaisantes et toujours trop longues, mais des efforts doivent être relevés. L’OFPRA a réussi à réduire quelque peu les délais d’instruction de ses dossiers et nous pouvons espérer que les objectifs fixés seront bientôt atteints. La situation de la Cour nationale du droit d’asile est plus préoccupante, avec l’augmentation de 34 % des recours et de 29 % des affaires en attente entre 2016 et 2017. La CNDA a besoin d’un peu de temps pour se mettre à niveau, si je puis me permettre cette expression.
En matière d’éloignement, nos systèmes sont en surchauffe et nos dispositifs sont sursollicités : le taux d’occupation des centres de rétention s’établit cette année à 81 % et s’accompagne d’une gestion des escortes et des transferts à flux tendus. Faut-il rappeler en outre que le financement est en baisse ? Il est positif d’afficher un objectif de renvoi et de traitement de l’immigration irrégulière, mais il serait préférable d’y consacrer les moyens nécessaires, alors que le budget correspondant est en diminution de 7 % en 2018 par rapport à 2017.
Au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat a essayé d’apporter une certaine ligne directrice marquée, tout d’abord, par une volonté très ferme en matière de traitement de l’immigration irrégulière, mais aussi par le souhait affiché de préserver les droits accordés en matière d’asile et de respecter les procédures. Nous avons également conforté le secteur de l’intégration, qui n’était pas traité, et nous avons ajouté des éléments concernant le traitement des mineurs, mais aussi la situation de Mayotte, en particulier. Les débats permettront d’aborder les détails de ces mesures.
S’agissant de l’immigration irrégulière, je veux rappeler que la commission des lois a décidé de nouveau d’organiser un débat au Parlement chaque année ; de resserrer les conditions du regroupement familial ; de transformer – oui ! – l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence et de mieux identifier les secteurs économiques en manque de main-d’œuvre. En ce qui concerne les réfugiés, elle a également souhaité maintenir le délai d’appel à un mois et ne pas le réduire à quinze jours, car une telle évolution n’offrirait en réalité aucun gain en termes de rapidité et d’efficacité de traitement de l’immigration. Ce serait un leurre, selon moi. Enfin, la commission a voulu compléter la définition des pays d’origine sûrs et mieux protéger les mineurs, en particulier ceux qui risquent de subir des mutilations sexuelles.
J’insiste aussi sur le fait que nous avons ramené les collectivités locales dans le débat. Celles-ci sont sollicitées à travers les schémas d’hébergement régionaux et il est utile, par ailleurs, qu’elles soient désormais représentées au sein de l’OFII, compte tenu de l’évolution des compétences.
Concernant l’intégration, il faut certainement moins accueillir, mais se donner les moyens de mieux accueillir. Pour cela, il importe de redonner du sens au contrat d’intégration républicain, en associant Pôle emploi au dispositif et en certifiant le niveau de français obtenu par les étrangers à la fin de la procédure. Il est également important de réaffirmer la compétence de l’OFII en matière de visites médicales des étudiants étrangers.
Je terminerai par la lutte contre l’immigration irrégulière. Sur ce sujet, on nous reproche d’avoir durci le texte. C’est vrai, nous en avons fait le choix. On ne peut pas avoir une immigration régulière et traiter les demandes d’asile dans de bonnes conditions, au profit de ceux qui doivent en bénéficier, si l’on n’est pas capable de tenir un discours ferme à l’encontre de ceux qui entrent irrégulièrement sur le territoire et qui entendent y rester.
C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que le refus définitif d’une demande d’asile vaudra obligation de quitter le territoire national. C’est pourquoi nous demandons que le Gouvernement négocie avec les pays sources le nombre de visas long séjour en fonction des laissez-passer consulaires qui nous sont accordés. Tout le monde sait dans cette enceinte que si ce n’est pas le cas, les mesures d’éloignement seront dénuées d’efficacité.
Il est indispensable de réorganiser le séquençage de la rétention administrative plutôt que sa durée. L’intervention du juge des libertés et de la détention, le JLD, à cinq jours me paraît donc absolument nécessaire.
Enfin, nous avons complété le texte en sanctionnant plus sévèrement les étrangers délinquants, mais, surtout, nous avons refusé d’affaiblir le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier sur le territoire, ainsi que cela avait été fait à l’Assemblée nationale.
S’agissant des mineurs étrangers, nous interdisons explicitement le placement en rétention de mineurs isolés et nous limitons à cinq jours la durée de rétention des mineurs accompagnants. Je rappelle qu’une famille peut être placée en rétention avec ses enfants pour la durée de la rétention théorique, soit 45 jours aujourd’hui et 90 jours, peut-être, demain. Cela n’est pas acceptable et nous avons choisi de limiter cette mesure à cinq jours au maximum.