Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 21 juin 2018 à 10h30
Protection du secret des affaires — Adoption définitive des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Quel bilan peut-on dresser à l’issue de la CMP ?

Plusieurs apports du Sénat ont été maintenus dans le texte ; je veux vous en dresser la liste.

La distinction entre la détention légitime et l’obtention licite du secret est conservée, alors que le texte initial confondait les deux notions, du fait d’une certaine méconnaissance de la directive que nous avions à transposer.

La clarification de la rédaction des cas d’obtention illicite est maintenue, en conformité avec la directive.

Le caractère « non opposable » du secret des affaires – plutôt que « non protégé », conformément à la directive – pour les autorités administratives et juridictionnelles demeure aussi dans le texte.

Est maintenu également le caractère non opposable - plutôt que non protégé, conformément à la directive - du secret des affaires en cas d’action en justice pour les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés. Pour ces derniers, la protection du secret est expressément maintenue.

Une règle en matière de prescription a été ajoutée, par simple analogie avec le droit de la propriété industrielle ; cela avait été demandé par toutes les personnes que nous avions pu auditionner, magistrats, avocats ou représentants des entreprises.

La règle d’indemnisation des préjudices résultant d’une atteinte au secret des affaires a été alignée sur la règle en vigueur en matière de contrefaçon, comme dans l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Je tiens à souligner que cette proposition de loi a été conçue à partir des instruments du droit de la propriété industrielle, même si nous ne sommes pas dans le champ de ce droit.

Dans le cadre de toute procédure judiciaire, le juge pourra prendre connaissance seul d’une pièce couverte par le secret avant de décider des modalités de communication de cette pièce éventuellement adaptées ; dans tous les cas, cette pièce devra faire l’objet d’une communication, au nom du respect du principe du contradictoire.

J’en viens à présent aux termes du compromis trouvé par les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Nous sommes revenus, dans la définition des informations protégées par le secret des affaires, à la valeur commerciale plutôt qu’à la valeur économique. Il s’agit toutefois d’une valeur commerciale effective ou potentielle, ce qui revient quasiment à la valeur économique. Sur ce point, le juge devra tenir compte des travaux préparatoires dans son office d’interprétation de la loi.

L’amende civile en cas de procédure abusive, introduite par l’Assemblée nationale, a été rétablie. Nous considérions ce dispositif à la fois inutile – l’amende civile actuelle pour procédure abusive, de 10 000 euros, n’a jamais été prononcée – et douteux d’un point de vue constitutionnel, en particulier au regard du principe d’égalité et du principe de nécessité des peines.

Le délit de détournement d’une information économique protégée à des fins exclusivement économiques, introduit dans ce texte à l’initiative du Sénat, a quant à lui été supprimé.

Nous avions pourtant tenu compte des objections du Conseil d’État, en veillant à ce que notre définition de cette infraction pénale ne pose pas de difficulté en matière constitutionnelle : nous avions introduit un élément matériel précis, à savoir le contournement délibéré des mesures de protection destinées à conserver le caractère secret de l’information.

De plus, la répression de ce délit n’aurait pas été plus faible que, notamment, celle du vol. Le délit d’espionnage économique aurait été puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, alors que le vol est puni, certes de trois ans d’emprisonnement, mais d’une amende de 45 000 euros seulement, ces peines allant jusqu’à vingt ans et 150 000 euros dans certaines circonstances aggravantes spécifiques.

L’amende encourue aurait été bien plus forte pour le délit d’espionnage économique, et elle aurait été quintuplée pour une personne morale, par application des règles de droit commun : ce serait plus efficace, compte tenu des personnes visées. D’autre part, on pourrait prévoir sans trop de difficulté des circonstances aggravantes pour le délit d’espionnage économique comme pour le vol, par exemple s’il était commis avec violence ou en bande organisée.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette question, mais, pour ne pas faire trop long, je me contenterai de dire qu’il est indispensable, en tout état de cause, que la réflexion se poursuive sur le volet pénal de la protection du secret des affaires. Il importe, alors que nos entreprises sont confrontées à de véritables actes d’espionnage économique, que nous puissions disposer dans notre droit pénal d’une arme rigoureuse et dissuasive, comme il en existe en Chine ou encore aux États-Unis, avec le Cohen Act.

Cette réflexion doit aussi porter sur la révision de la loi du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage ».

En conclusion, la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire reste très marquée par les apports du Sénat, que ce soit dans l’amélioration et la clarification du texte, dans sa fidélité à la directive ou dans sa cohérence.

Par accord entre les deux rapporteurs et avec le Gouvernement, deux amendements vous seront présentés sur les conclusions de la commission mixte paritaire.

Le premier d’entre eux a pour objet de clarifier les différentes étapes de la procédure par laquelle un juge peut être amené à décider de mesures particulières de protection du secret des affaires concernant une pièce discutée dans le cadre d’une procédure judiciaire. Dans un premier temps, le juge examine seul la pièce pour décider si la demande de protection au titre du secret des affaires est justifiée. Éventuellement, avant de rendre sa décision, il peut demander une expertise et solliciter l’avis des seuls avocats des parties, ceux-ci étant tenus dans ce cas à une obligation de confidentialité vis-à-vis de leurs clients. Dans un second temps, le juge décide s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection.

Le second amendement vise quant à lui à corriger une erreur matérielle dans les références à certains articles du code de commerce permettant l’application de ce texte dans les îles Wallis et Futuna.

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