Intervention de Manon Aubry

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 juin 2018 à 9h40
Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude — Audition commune de Mme Manon Aubry responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à oxfam france de Mm. Lionel Bretonnet administrateur d'anticor et jacques fabre membre du bureau de transparency international france et de Mme Lison Rehbinder chargée de plaidoyer financement du développement au comité catholique contre la faim et pour le développement - terre solidaire

Manon Aubry, responsable de plaidoyer « Justice fiscale et inégalités » à Oxfam France :

Non, nous ne sommes pas naïfs, nous sommes en prise avec la réalité et ne demandons pas « tout ou rien ». C'est d'ailleurs grâce aux ONG et à la société civile que les choses ont évolué ces dernières années. Je songe par exemple à l'échange automatique d'informations. Nous avons ainsi fait de réels progrès dans la lutte contre la fraude fiscale des particuliers, car le coût d'entrée dans un mécanisme frauduleux est plus élevé. Grâce aux Swissleaks et à la mobilisation de la société civile, il est désormais plus difficile pour un médecin d'aller cacher son argent en Suisse. L'écart s'est toutefois creusé entre les entreprises, qui courent loin devant, et les États qui marchent à petit pas voire, pour certains, reculent.

Oui, le législateur peut agir. Non, nous n'alimentons pas le populisme en lui proposant une liste de paradis fiscaux incluant l'Irlande, les Pays-Bas ou les îles Caïman. Il lui suffit pour cela de modifier le code général des impôts : c'est l'objet de l'article 11 du projet de loi et il n'y a aucune raison que cela soit inconstitutionnel ! Nous serons alors ravis de publier un communiqué de presse relatant les avancées permises par les ONG en la matière.

Le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale - que nous avons abondamment cité car c'est le dernier en date, mais nous avons bien sûr lu les travaux antérieurs du Sénat - est relativement évasif sur les critères, c'est vrai. Le caractère aggravant, le montant et l'intention nous semblent incontournables, quoique difficiles à mettre en pratique. Dans l'hypothèse où la justice estime pertinent de poursuivre, elle doit pouvoir le faire ; cela ne multipliera pas pour autant les dossiers à 5 000 euros. Mme Taillé-Polian a raison, la justice s'investit peu dans ces affaires. C'est en l'associant en amont que l'on créera une culture commune. Le rapport propose une pénalité d'au moins 40 % : ce peut être une piste. Fixer un montant minimum d'impôt éludé en est une autre. Une clause de revoyure sur la suppression du verrou de Bercy serait bienvenue, car il n'y a pas de solution miracle.

Nous sommes aussi favorables à la diversification des peines. La prison n'est pas une fin en soi. Il aurait été intéressant de voir Jérôme Cahuzac effectuer des travaux d'intérêt général, par exemple.

Le plaider coupable nous paraît plus pertinent que la CJIP car il y a au moins une reconnaissance de culpabilité.

Beaucoup de choses se passent au niveau européen, les initiatives de réforme n'ont jamais été aussi nombreuses ces trois dernières années, et nous nous en félicitons. Le premier enjeu est la transparence et le reporting public pays par pays, voté puis censuré en France. Prochaine étape : le niveau européen. Des négociations très importantes se tiennent en ce moment pour aboutir à un accord du Conseil. La France, naguère motrice sur ce sujet, n'est plus aussi active... Je vous encourage à interroger le ministre des finances sur ce point, d'autant plus que, la transparence n'étant pas traitée comme un sujet fiscal au niveau européen, l'unanimité n'est pas requise.

La liste des paradis fiscaux, elle, peut être adoptée unilatéralement. C'est l'objet de l'article 11 du projet de loi. Y inclure l'Irlande est possible : le Brésil vient de le faire.

Se pose ensuite la question de la redéfinition de l'impôt sur les sociétés, pour lutter contre le dumping et la concurrence fiscale aggravée. La France n'est pas un paradis fiscal, mais elle vient d'adopter une des plus fortes baisses du taux d'impôt sur les sociétés de son histoire. Ce taux reste certes dans la moyenne européenne, mais nous sommes tirés vers le bas par les paradis fiscaux ! Promouvons plutôt une harmonisation fiscale par le haut. L'économiste Gabriel Zucman propose dans cette optique de redéfinir l'assiette de l'impôt sur les sociétés : le bénéfice généré par l'activité économique réelle serait reconstitué à partir des éléments de reporting dont dispose l'administration fiscale et de la taille de l'entreprise en France. Ce chantier et celui de l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés en Europe peuvent être conduits simultanément. Deux points de vigilance toutefois : d'une part, veillons à ce que l'assiette commune n'intègre pas trop d'exemptions fiscales - je songe au crédit d'impôt recherche, dispositif d'incitation à la recherche le plus généreux en Europe mais dont l'efficacité n'est pas démontrée. Attention d'autre part à la phase de consolidation, la plus importante, qui consiste à répartir de nouveau les bénéfices en fonction de l'activité économique dans chaque pays, car c'est elle qui rend le dispositif opérant.

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