Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 juin 2018 à 9h00
Projet de loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis :

Devant la persistance d'une crise du logement - malgré les nombreux textes votés au cours des dix dernières années - le Gouvernement a déposé un projet de loi destiné à adapter le logement aux besoins actuels et à libérer les contraintes pesant sur le secteur de la construction. Composé initialement de 66 articles, avant que l'Assemblée nationale n'en ajoute près de 120, il est organisé en quatre titres, ayant respectivement pour objet de construire plus, mieux et moins cher selon une logique de « choc d'offre » - on peut bien sûr s'interroger sur la compatibilité entre ces trois objectifs ; d'accompagner les évolutions du secteur du logement social ; de répondre aux besoins de chacun et de favoriser la mixité sociale ; et d'améliorer le cadre de vie.

Un certain nombre des dispositions sont susceptibles d'avoir un impact sur la qualité architecturale, l'exercice de la profession d'architecte et la préservation du patrimoine. C'est pourquoi notre commission s'est saisie pour avis de onze articles ou parties d'articles (car certains sont très longs) : l'article 1er bis, le V de l'article 3, l'article 3 bis, le III de l'article 5, l'article 5 septies, l'article 15, l'article 18 A, l'article 20, les V et VI de l'article 28, l'article 34 et l'article 54 bis A.

La simplification des normes occupe une place importante dans la stratégie proposée par le Gouvernement pour créer un choc d'offre. Les deux premiers titres du projet de loi comportent ainsi plusieurs dispositions qui visent à simplifier les normes et les procédures d'urbanisme pour donner aux entreprises et aux acteurs la capacité d'inventer des solutions nouvelles, de réduire les délais de production de logements et de construire et rénover davantage et d'accélérer les délais.

Le projet de loi modifie ou assouplit plusieurs dispositions destinées à favoriser la création architecturale et la protection du patrimoine, y compris certaines sur lesquelles le Parlement s'est prononcé il y a moins de deux ans, dans la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), sur la base d'un accord en commission mixte paritaire et après deux lectures dans chaque assemblée.

Certaines de ces modifications ne posent pas vraiment problème, car elles s'inscrivent plutôt dans la continuité de la LCAP : je songe au « permis d'innover » à l'article 3 bis. D'autres, en revanche, entrent davantage en contradiction avec notre récent vote : changements apportés aux règles d'élaboration du projet architectural, paysager en environnemental (PAPE) d'un lotissement par l'article 1er bis ; inversion de la valeur à accorder au silence du préfet dans le cadre d'un recours contre de l'avis de l'Architecte des bâtiments de France (ABF), dérogations à l'obligation de recourir à un architecte pour un projet architectural soumis à permis de construire, dispense de concours d'architecture pour les bailleurs sociaux.

Plus grave encore, le texte instaure de multiples dérogations à des principes fondamentaux de notre législation en matière d'architecture et de patrimoine. La loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) fixe depuis 1985 les principales règles de droit de la construction publique. Des exceptions et dérogations sont ici prévues : dans le périmètre des opérations d'intérêt national (OIN) et des grandes opérations d'urbanisme (GOU) ; en faveur des concessionnaires d'une opération d'aménagement ; au bénéfice des bailleurs sociaux ; ou encore pour faciliter le recours aux marchés de conception-réalisation. Lorsque l'autorisation reste circonscrite à la construction des ouvrages pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), elle est plus acceptable, mais je regrette qu'elle soit présentée moins de six mois après le projet de loi sur les JOP !

En ce qui concerne le patrimoine, la principale difficulté réside dans les dérogations à l'avis conforme de l'ABF, sur les demandes d'autorisations d'urbanisme dans les espaces protégés au titre du code du patrimoine. L'article 15 autorise le passage à l'avis simple s'agissant de l'implantation d'antennes de téléphonie mobile et de la lutte contre l'habitat indigne, insalubre et en péril. Les personnes entendues craignent des conséquences graves sur la qualité de l'habitat et sur le patrimoine.

Car la législation existante avait été élaborée pour mettre un terme aux errements de l'après-guerre. La loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture et la loi MOP de 1985 ont rompu avec la logique de reconstruction dans l'urgence (nous payons encore le prix de la piètre qualité des constructions). La loi Malraux de 1962 a mis en place des mécanismes pour protéger les centres anciens dégradés que les aménageurs, pressés par l'urgence, avaient systématiquement tendance à raser. Ces législations ont joué, depuis leur entrée en vigueur, un rôle remarquable dans la protection et la qualité du cadre de vie dans notre pays. La résurrection du Marais, la mise en valeur de Sarlat ou la restauration du vieux Lyon n'auraient pas été possibles sans la loi Malraux ; la qualité de nos constructions actuelles tient beaucoup à la garantie de qualité architecturale offerte par la loi de 1977 sur l'architecture et aux procédures de la loi MOP applicables aux maîtres d'ouvrage publics et aux prestataires privés. Abandonner ces principes serait une régression considérable, surtout si se mettent à proliférer des bâtiments au rabais, standardisés. Souvenons-nous des craintes exprimées autour de la « France moche » lorsque nous examinions la loi LCAP.

Le projet de loi fait primer l'objectif de construction de logement sur toute autre considération d'intérêt général afin de libérer les acteurs de la construction et du logement du carcan des normes. La lecture de l'étude d'impact ne laisse aucun doute à cet égard !

La préservation du patrimoine est une action qui s'inscrit dans la durée et qui s'accommode mal d'un cadre juridique mouvant. Quant à la remise en cause des règles de la loi MOP, elle pourrait affecter les collectivités territoriales et susciter leur frilosité pour la mise en oeuvre de projets d'urbanisme, face à l'irruption d'un cadre moins rassurant.

Les arbitrages opérés par le projet de loi au détriment de l'architecture et du patrimoine paraissent d'autant plus surprenants que, dans le même temps, la qualité urbaine et l'urgence de la rénovation urbaine sont des enjeux identifiés comme prioritaires, face à la nette dégradation des constructions réalisées dans l'après-guerre. C'est l'un des thèmes du rapport remis récemment par Jean-Louis Borloo au ministre chargé de la cohésion des territoires.

Sans doute le manque de concertation sur ce texte, en dépit de l'organisation de la conférence de consensus demandé par notre assemblée, est-il à l'origine de positions aussi tranchées. L'ordre des architectes s'est étonné de ne pas avoir été véritablement consulté, en dépit de modifications notables apportées tant à la loi de 1977 qu'à celle de 1985.

Je me suis fixé plusieurs lignes directrices pour améliorer le texte. S'agissant de l'architecture, j'ai essayé de m'inscrire dans le cadre tracé par la loi LCAP et de limiter les dérogations à la législation actuelle au strict nécessaire pour tenir compte de l'évolution des besoins du secteur depuis trente ans.

Sur le patrimoine, j'ai poursuivi le travail que nous avions amorcé il y a quelques semaines en examinant la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Je suis donc allé dans le sens d'un renforcement du dialogue entre l'ABF et les élus locaux et d'une amélioration des possibilités de recours, tout en supprimant des dérogations à l'avis conforme de l'ABF qui menacent la protection de notre patrimoine, et qui ont des conséquences irréversibles.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption des dispositions de ce projet de loi qui intéressent notre commission.

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