Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du 4 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Marlène Schiappa :

Merci pour lui !

Je tiens à saluer la qualité de vos travaux sur ce sujet sensible ; elle illustre notre souci commun de défendre l’intérêt des plus vulnérables.

Je crois que le point commun de vos travaux et des nôtres, c’est qu’ils sont fondés sur le même constat : trop peu d’agresseurs sont poursuivis et sanctionnés. Alors que 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte, il y a urgence à agir pour renforcer leur protection et garantir l’exercice de leurs droits.

Chacun sait ici l’importance de ces objectifs qui nous réunissent : mieux prévenir les violences, bien sûr, mieux protéger les victimes et, en ce qui concerne ce projet de loi, mieux sanctionner les agresseurs.

Nous avons naturellement des divergences sur les moyens de répondre à ces exigences, mais je ne doute pas une seconde de votre engagement pour faire en sorte que nous parvenions ensemble à un texte qui soit le plus efficace possible.

Je voudrais d’ailleurs souligner que nos propositions présentent certaines similitudes. C’est le cas, par exemple, sur l’allongement des délais de prescription à trente ans, sur l’extension de la surqualification d’inceste aux victimes majeures, sur l’aggravation des sanctions encourues pour l’atteinte sexuelle. Il m’apparaît que, au-delà de certaines divergences d’opinion légitimes, il y a des dispositions sur lesquelles nous pourrons nous rejoindre au cours des débats.

Le texte que vous allez examiner, qui a été amélioré en première lecture par l’Assemblée nationale, est, je le crois, un texte fort permettant de mieux protéger les victimes de violences sexistes et sexuelles, notamment parce qu’il apporte des réponses juridiques fortes à des réalités qui, trop longtemps, sont restées dans les angles morts des politiques publiques. Je pense ici à la disposition visant à sanctionner le harcèlement dit « de rue ».

Lors de sa campagne, le Président de la République s’était engagé sur ce sujet, répondant à l’attente très forte exprimée par nos concitoyens et, bien sûr, par nos concitoyennes. Je rappelle qu’une étude très récente de l’IFOP nous a appris que 8 jeunes femmes sur 10 ont peur de sortir seules dans la rue le soir, en France, en 2018… Et je me permets de vous avouer ici mon étonnement de constater que cette mesure tant attendue ne fait pas consensus, ou du moins semble ne pas faire consensus dans cet hémicycle. En effet, au terme des débats qui ont déjà eu lieu, il semblerait que vous ne partagiez pas l’avis du Gouvernement sur l’importance de sanctionner ces agissements subis chaque jour par des millions de personnes, quels que soient leur genre, leur orientation sexuelle ou leur identité.

Vous proposez de faire du harcèlement de rue un délit. Je m’interroge sur ce choix, car je crois, mais nous en débattrons, que cela n’est pas applicable. J’ai en tête l’échec de la loi belge, qui a bien montré les limites de ce type de dispositif, avec seulement trois plaintes déposées, toutes classées sans suite. Ne refaisons pas les mêmes erreurs et soyons pragmatiques pour être efficaces.

C’est pour cette raison que le Gouvernement a choisi de proposer une nouvelle infraction, celle de l’outrage sexiste, qui pourra être sanctionnée par une contravention en flagrance par les 10 000 policiers de la sécurité du quotidien. Je regrette que nous ne puissions pas débattre de cette proposition aujourd’hui dans l’hémicycle.

Sincèrement, je trouve dommage de réduire cette question, c’est-à-dire la lutte contre l’insécurité spécifique vécue par les femmes, qui est, de mon point de vue, majeure, à une simple question de procédure. C’est d’autant plus regrettable que nous partageons la même conviction. Oui, les relations entre les femmes et les hommes peuvent s’établir en confiance, doivent s’établir en confiance ; il est de notre responsabilité de permettre le respect mutuel que chacun mérite, femme ou homme, et ce partout dans la société, à commencer par l’espace public, où chacune et chacun doit pouvoir être libre d’aller et de venir sans crainte.

Ce respect mutuel doit aussi être garanti sur Internet. C’est pourquoi nous proposons de mettre fin à ce sentiment d’impunité que peuvent ressentir des agresseurs en ligne se cachant derrière l’écran et derrière l’anonymat pour donner libre cours à la misogynie.

Les jeunes sont massivement touchés par ces violences en ligne, mais pas uniquement eux : plus de trois quarts des adolescents ne savent pas comment réagir face au cybersexisme -76 %, selon l’étude du Centre Hubertine Auclert.

Il nous faut répondre de manière forte à ce phénomène, qui est aussi destructeur dans le monde virtuel que dans le monde réel. Toutes ces formes de violence qui se développent dangereusement doivent être sanctionnées. Tel est l’objet de l’article 3 du projet de loi, qui tend à adapter notre arsenal juridique à ces nouvelles possibilités qu’Internet offre aux agresseurs.

Cet article vise particulièrement les « raids numériques », c’est-à-dire la publication par plusieurs personnes différentes de propos sexistes et violents, proférés à l’encontre d’une même cible. Une telle forme de violence n’entre pas aujourd’hui dans les définitions actuelles du harcèlement, qui est constitué par la répétition de faits par une même personne.

L’article 3 du projet de loi va donc élargir la définition du harcèlement pour y intégrer cette notion de concertation et punir désormais ces raids numériques qui, jusqu’à présent, contribuaient à donner le sentiment qu’Internet pouvait être une zone de non-droit, ce que nous ne pouvons pas tolérer.

Nous voulons donc envoyer un message clair aux harceleurs en ligne, à ceux qui incitent ou prennent part à ces opérations de déferlement de haine en ligne, en disant qu’elles seront désormais clairement punies par la loi.

À l’occasion de la première lecture de ce projet de loi au Sénat, le Gouvernement souhaite réaffirmer sa volonté d’adapter la répression aux nouvelles formes que les violences sexuelles et sexistes peuvent prendre. Avec la garde des sceaux, Nicole Belloubet, nous avons donc souhaité soumettre à la discussion d’autres sujets d’une importance croissante dans le débat public et proposé un certain nombre de mesures.

La première mesure, adoptée sur l’initiative des députés de la majorité, vise à réprimer le fait d’utiliser une substance portant atteinte à l’intégrité de la victime ou d’abuser de l’état d’ivresse dans lequel elle se trouve. De tels agissements constitueront désormais une circonstance aggravante des infractions sexuelles.

La limite, c’est le consentement, et il n’est pas tolérable en France, en 2018, que cette notion de consentement ne soit pas universelle. C’est pourquoi nous proposons que le fait d’administrer, à l’insu de la victime, une substance qui vise à altérer son discernement devienne un délit puni de cinq ans d’emprisonnement, et de sept ans d’emprisonnement quand les victimes sont des personnes vulnérables.

La deuxième disposition que nous vous proposons d’étudier consiste à réprimer les photos prises « sous les jupes des filles », ce qui comble un vide juridique, encore une fois. Elle vise à sanctionner la captation d’images, dites « impudiques », à l’insu de la personne. C’est un phénomène trop répandu, en hausse, notamment dans les transports en commun. Ce sujet nous est remonté au cours des échanges que nous avons continué à mener depuis la présentation du projet de loi, et qui sont venus enrichir notre réflexion.

Ces faits de voyeurisme ne sont pas réprimés aujourd’hui. Comme le cyberharcèlement, comme le harcèlement de rue, ils n’entrent pas aujourd’hui dans les infractions existantes. Nous proposons donc de créer un nouveau délit, puni de un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, et de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes.

Quelle que soit la manière dont elles s’exercent, ces violences sexistes et sexuelles ont un impact considérable sur la vie des victimes, de l’angoisse éprouvée quotidiennement dans une rue, parfois déserte, sur le chemin du travail, jusqu’aux psychotraumas les plus sévères. On sait aujourd’hui que les viols causent des traumatismes similaires à ceux qui sont consécutifs à des actes de torture.

Les conséquences des violences sexuelles sur la santé physique et mentale sont d’autant plus graves que les victimes sont jeunes. C’est la raison pour laquelle, comme l’évoquera, je pense, ma collègue garde des sceaux, deux des quatre dispositions de notre projet de loi concernent les infractions sexuelles commises sur mineur.

L’allongement à trente ans du délai de prescription applicable aux crimes commis à l’encontre des mineurs est un rouage essentiel d’une meilleure protection des plus vulnérables. Votre assemblée semble partager cette conviction, ce dont je ne peux que me réjouir.

Je sais que la dernière réforme de la prescription est récente, avec la loi Fenech-Tourret de 2017, mais l’évolution que nous proposons est nécessaire, je le crois, pour mieux prendre en compte la difficulté des victimes à révéler les faits, notamment en raison du phénomène d’amnésie traumatique, mais aussi à cause de la difficulté de verbaliser et de judiciariser ces faits.

Je suis donc heureuse que nous fassions le même constat, conformément aux recommandations de la mission de consensus menée l’an dernier, sous la direction de Flavie Flament et de Jacques Calmettes, sur l’initiative de ma prédécesseure, la sénatrice Laurence Rossignol, que je salue.

Nous souhaitons cependant rétablir par voie d’amendement l’allongement du délai de prescription applicable à l’ensemble des crimes sur mineurs, dont le meurtre, par souci de cohérence et pour faciliter l’exercice de poursuites judiciaires de nombreuses années après les faits.

Nous vous proposons même d’améliorer encore cette disposition afin d’éviter l’impunité des personnes qui commettent, pendant de très longues périodes, ces crimes sur des mineurs, de façon répétée. Ainsi, pour éviter que les faits les plus anciens ne soient prescrits, nous proposons que la commission de nouveaux crimes interrompe la prescription des crimes les plus anciens. Il peut s’agir, par exemple, de faits d’inceste commis sur plusieurs générations.

Notre droit, je le crois, doit reconnaître l’exceptionnelle gravité des crimes qui sont commis sur les mineurs. C’est pourquoi non seulement nous créons des conditions plus favorables à la libération de la parole des victimes, mais encore nous renforçons cet arsenal juridique.

Nous souhaitons donc renforcer la protection des mineurs et mieux sanctionner leurs agresseurs.

Vous connaissez la position du Gouvernement à l’égard des modifications apportées à l’article 2, dont la rédaction avait été précisée et améliorée par l’Assemblée nationale, et dont l’objectif unique est bien d’éviter au maximum les acquittements des auteurs d’infractions sexuelles.

À cet égard, je voudrais d’abord souligner l’importance du maintien du caractère interprétatif de la première disposition de l’article 2, qui permet d’échapper à la non-rétroactivité de la loi pénale. Ainsi, le juge pourra s’en saisir dès la promulgation de la loi pour toute affaire, y compris en cours, ce qui peut concerner des millions de victimes du fait de l’allongement des délais de prescription. C’est le caractère interprétatif de l’article qui permet justement cela.

Je souhaite rappeler que nous nous rejoignons, me semble-t-il, mais les débats nous le dirons, sur la nécessité d’affirmer qu’un mineur en dessous d’un certain âge n’est jamais consentant à un acte sexuel avec un majeur. Il s’agit là, je le pense, d’un véritable enjeu de civilisation. Nous en sommes toutes et tous convaincus.

Pour autant, vous connaissez nos réserves sur votre proposition d’instaurer une présomption de contrainte, qui est une option présentant, de notre point de vue, des risques d’inconstitutionnalité. C’est ce que nous a démontré le Conseil d’État.

Enfin, nous partageons votre souci d’améliorer les modalités de la mise en œuvre de la question subsidiaire. Comme l’a rappelé le président de votre commission des lois, Philippe Bas, le Sénat prend le temps du travail, de la réflexion, et, même si ce point semble être un détail, son importance juridique est essentielle.

J’en viens à l’un des points importants de notre discussion. Depuis plusieurs mois, un certain nombre d’associations de protection de l’enfance, mais aussi de professionnels du droit, de la santé, ou de travailleurs sociaux nous interpellent et échangent avec nous sur les risques que pourrait présenter la disposition relative à l’augmentation des peines encourues pour atteinte sexuelle avec pénétration.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous avez relayé les mêmes préoccupations et vous avez fait le choix, lors de vos travaux en commission, de supprimer cette mesure proposée par le Gouvernement dans le but d’éviter des acquittements.

Je suis heureuse de vous annoncer que, fidèles à l’esprit de concertation qui nous a animés tout au long de l’élaboration de notre projet de loi, nous avons écouté et entendu ces inquiétudes pour finalement prendre en compte les réserves exprimées, y compris par les sénatrices et les sénateurs.

Aussi, parce qu’il ne veut pas brouiller le message que porte ce texte, le Gouvernement a fait le choix de ne pas réintroduire cette disposition lors de la première lecture au Sénat, et nous ne le ferons pas non plus à l’occasion des prochaines discussions de ce texte. Nous suivons donc les avis que vous avez souhaité rendre et les dispositions que vous avez souhaité prendre en commission des lois du Sénat.

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