Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, notre République se doit de protéger tous les siens et tout particulièrement les plus faibles. Elle se doit de poser des interdits, de sanctionner les infractions, surtout les plus inacceptables, mais elle doit aussi et surtout les prévenir.
Votre texte, madame la ministre, affiche cette ambition.
Pour ma part, j’évoquerai tout particulièrement les violences sexuelles sur mineurs, sujet difficile dont la gravité ne doit pas masquer la complexité, quand bien même chacun de nous peut souhaiter une réponse simple, forte et juste aux yeux de tous.
Ces actes destructeurs pour les victimes et leurs familles suscitent un rejet si violent qu’ils emportent toute raison et font apparaître la réflexion comme une absence de condamnation.
Le sujet n’est pas nouveau au Sénat, qui vient d’adopter une proposition de loi issue des travaux d’un groupe de travail transpartisan pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, sous la responsabilité de Marie Mercier.
Je me réjouis que le texte du Gouvernement et cette proposition de loi se rejoignent sur plusieurs points, preuve indéniable de notre volonté commune sur toutes nos travées de mieux combattre les violences sexuelles.
Je pense à l’allongement de la prescription à trente ans, à l’aggravation des peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans, à l’aggravation des peines en cas de non-assistance ou non-dénonciation d’actes de mauvais traitement, ou encore la meilleure répression du harcèlement en ligne.
Un article cristallise toutefois les débats, l’article 2, sur lequel portera l’essentiel de mon propos.
Cet article introduit dans la définition du viol une protection particulière pour les mineurs de quinze ans. Les notions de contrainte et de surprise, constitutives d’un viol, pourront « être caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».
Cette disposition interprétative va dans le bon sens, et je m’en réjouis. Toutefois, la proposition de notre rapporteur est plus protectrice envers les mineurs – tous les mineurs – et plus sévère à l’encontre des accusés. En effet, elle inverse la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure. Il appartiendrait donc, selon la proposition de notre rapporteur, à l’accusé de démontrer l’absence de contrainte.
Cette présomption de contrainte permettrait d’assurer la protection de tous les mineurs, quel que soit leur âge, qu’ils aient douze ans ou qu’ils en aient seize, s’ils manquent de maturité ou de discernement. L’âge n’est pas synonyme de maturité ou de discernement.
D’aucuns proposent d’instaurer un seuil d’âge à treize ans. Si la fixation d’un seuil peut être a priori considérée comme un renforcement de la protection et la sacralisation d’un interdit sociétal, elle dégrade en revanche la protection des mineurs au-delà de ce seuil. Le juge pourra en effet considérer ce seuil comme une limite, ce qui pourrait l’inciter à privilégier la qualification d’atteinte sexuelle au détriment de la qualification pénale de viol.
Comment pourrons-nous alors expliquer aux familles concernées que leur enfant victime de violences sexuelles à treize ans et six mois sera moins protégé qu’une victime de douze ans et onze mois ? Ne prenons-nous pas le risque d’assister à la même puissante incompréhension que celle qui a jailli lors de l’affaire dite « de Pontoise » ?
Le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants ont d’ailleurs indiqué ne s’être jamais montrés très favorables à l’introduction d’un seuil d’âge dans la loi, en précisant qu’il convenait d’être extrêmement prudent sur toute disposition qui introduirait une certaine automaticité dans l’application de la loi pénale.
Le Gouvernement a renoncé, après l’avis du Conseil d’État du 15 mars 2018, à instaurer un seuil, eu égard aux risques d’inconstitutionnalité, que notre rapporteur a parfaitement exposés, et sur lesquels je ne reviendrai pas.
Cet avis du Conseil d’État me convainc qu’on peut difficilement laisser croire à l’opinion publique qu’un seuil constituerait une réponse magique, malgré l’aspect très séduisant d’une telle idée.
Notre rapporteur est parvenue à trouver un équilibre fragile entre la nécessaire répression des infractions sexuelles, en particulier à l’encontre des mineurs, et le respect de la cohérence du droit pénal, de la conformité à la Constitution. Je salue son courage et la qualité de son travail.
Par ailleurs, l’article 2 prévoit que, parmi les délits d’atteinte sexuelle, ceux qui sont commis sans pénétration seront punissables de sept ans de prison, contre cinq ans aujourd’hui, et ceux qui sont commis avec pénétration, de dix ans de prison.
Le risque, en rapprochant la peine encourue en cas de viol et en cas d’atteinte sexuelle avec pénétration, est que les affaires de viols sur mineur dans lesquelles contrainte et surprise seraient compliquées à établir soient trop facilement requalifiées en délits d’atteinte sexuelle. Ainsi, ce qui était jugé hier comme un crime en cour d’assises pourrait être communément considéré demain comme un délit au tribunal correctionnel.
Il faut avoir à l’esprit que, en moyenne, une procédure pour viol dure environ six ans tandis qu’une procédure pour agression sexuelle dure environ deux ans. Et qu’un jury populaire n’est pas une garantie de fermeté dans la sanction, loin de là.
Aussi, pour certaines victimes, le choix d’accélérer le processus peut être libérateur. Pour d’autres, un viol jugé en correctionnelle serait plus difficile à surmonter, car elles n’auraient pas le sentiment d’avoir été aussi bien entendues qu’après un procès aux assises.
Je le dis ici : la correctionnalisation n’est pas en soi une renonciation, mais il convient de ne pas excessivement l’encourager.
C’est pourquoi nous soutenons la suppression de cette circonstance aggravante, car sa création, si elle n’est pas accompagnée d’un renforcement des moyens des tribunaux, aurait comme conséquence une correctionnalisation massive.
Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, sanctionner est une exigence, mais cela ne suffit pas. Notre devoir de législateurs est aussi de prévenir et de protéger. Aussi, je regrette l’absence d’un volet plus global allant au-delà de la seule réponse pénale.
En effet, cela a été rappelé, 11 % des victimes de viols ou d’agressions sexuelles seulement portent plainte. La grande majorité des victimes n’a ni la force ni l’endurance d’engager des recours. Ainsi, s’il existe déjà un arsenal juridique, force est de constater qu’il est en réalité peu mobilisé. Le problème n’est pas tant lié à un quelconque vide juridique qu’aux difficultés à mettre en œuvre la loi et à accompagner les victimes dans leur reconstruction.
Par ailleurs, on constate des insuffisances liées à un manque criant de moyens de la justice et à la saturation de la chaîne pénale. Il nous faut adapter l’organisation de la justice et renforcer ses moyens pour lui permettre de juger dans des conditions décentes.
On constate également des insuffisances liées au manque de formation. À cet égard, je salue les dispositifs de pré-plainte en ligne, qui lèveront sans doute quelques craintes de la part des victimes.