Intervention de Maryse Carrère

Réunion du 4 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, dans Totem et tabou, Freud présentait le tabou comme « le plus vieux code non écrit de l’humanité », destiné à préserver les personnes importantes ou, au contraire, vulnérables, telles que les enfants, par la transmission de règles morales implicites assimilées inconsciemment par les individus. Si l’inceste figure parmi ces interdits universels, force est de constater que la seule existence de ce tabou n’est pas suffisante pour empêcher la transgression de cet interdit.

Dans nos sociétés contemporaines, différentes lois pénales ont donc explicité ces interdits et ont progressivement protégé les mineurs des violences sexuelles dont ils peuvent être les victimes.

Les différentes auditions menées par notre groupe de travail, piloté par notre collègue Marie Mercier, ont permis de souligner la nécessité de parler de ces violences particulières et de l’importance de les faire sortir de la zone d’ombre où le tabou les maintient parfois. C’est pourquoi, de façon générale, nous nous félicitons de toutes les occasions données au législateur d’évoquer les violences sexuelles commises sur mineurs, dans l’espoir que les débats tenus dans cet hémicycle servent de caisse de résonance et participent à la prévention de ces actes, que nous appelons de tous nos vœux.

Je voudrais à ce titre rappeler, parmi les constats dressés par notre rapporteur, l’aspect éludé par ce projet de loi que sont les violences sexuelles exercées par des mineurs sur d’autres mineurs. Comme le montre une étude, à Paris, 44 % des mis en cause pour un viol commis sur un mineur sont également mineurs et, parmi eux, 42 % avaient entre dix et quatorze ans au moment des faits. Ces quelques données montrent, me semble-t-il, l’importance que nous devons porter à l’éducation préventive auprès des plus jeunes quant au respect du corps d’autrui, et la vigilance qui incombe aux adultes encadrant les mineurs au moment de la découverte de leur sexualité. Elles posent également la question de l’accompagnement des enfants coupables de telles violences sexuelles.

Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les interventions des uns et des autres montrent qu’il n’y a pas aujourd’hui d’opposition à l’objectif fixé par le deuxième titre de ce projet de loi. Cela devrait augurer de débats apaisés. Les seuls désaccords qui persistent concernent en réalité les modalités pénales de cette protection et la latitude accordée aux juridictions dans cette tâche.

C’est pourquoi nous nous interrogeons sur la pertinence de l’intégration des deux premiers titres du projet de loi à un texte également consacré à la lutte contre les violences sexistes, s’inscrivant, lui, dans le cadre de la politique du Gouvernement de promotion de l’égalité entre les sexes. Certains aspects de la réforme de la justice, qui sera examinée à l’automne, auraient mérité d’être discutés avec la question du risque de correctionnalisation lié à la création d’un délit d’atteinte sexuelle avec acte de pénétration – je pense à la création des tribunaux criminels.

Sur l’allongement du délai de prescription de vingt à trente ans, je vous avais fait part de mon cheminement lors de l’examen de la proposition de loi, adoptée au Sénat le 27 mars dernier. Si cet allongement est acceptable dans une perspective protectrice à l’égard des victimes, en revanche, la transformation en une imprescriptibilité déséquilibrerait considérablement l’échelle des prescriptions, adossée à celle des peines.

Concernant le cœur du projet de loi et la question de la fixation d’un seuil d’âge en dessous duquel une pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur devrait être systématiquement regardée comme un viol, mon groupe est particulièrement partagé.

La multiplication de seuils parallèles à celui déjà fixé par l’article 227-25 du code pénal relatif à l’atteinte sexuelle est de nature à créer des confusions.

Les exigences constitutionnelles et conventionnelles relatives à la présomption d’innocence ne facilitent pas la rédaction de cette disposition, en raison de l’impossibilité d’établir des présomptions en matière criminelle.

D’un autre côté, il y a les arguments tout à fait compréhensibles des victimes mineures de violences sexuelles qui considèrent qu’une interdiction absolue aurait permis de mieux les protéger.

Nous sommes donc majoritairement favorables à la rédaction équilibrée proposée par notre rapporteur, mais certains d’entre nous soutiendront la proposition d’établir un seuil à l’âge de treize ans. Il faut d’ailleurs souligner que ces deux dispositions ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.

Toujours au titre Ier, notamment à l’article 2 bis C, nous soutiendrons les dispositions venant alourdir les peines en cas de non-assistance et de non-dénonciation des crimes et délits commis contre l’intégrité corporelle des mineurs de quinze ans, qui reprennent, là aussi, les travaux effectués par notre groupe de travail.

Enfin, nous tâcherons de nous inspirer de l’héritage discret, mais décisif, de Simone Veil au moment d’évoquer la lutte contre les violences sexistes.

S’inscrivant dans la même « maternité », ma collègue Françoise Laborde et les autres membres de la délégation aux droits des femmes ont formulé des propositions intéressantes visant à diversifier les outils de lutte contre les violences sexistes.

Nous soutenons, bien entendu, les dispositions venant condamner les raids numériques. En revanche, si certains d’entre nous sont favorables à l’élargissement de la définition du harcèlement sexuel proposé par l’Assemblée nationale, d’autres craignent qu’elle ne vienne créer la confusion avec le délit d’outrage sexiste proposé à l’article 4, le risque étant, comme l’a souligné le Défenseur des droits, que l’on vienne « contraventionnaliser » le harcèlement sexuel par l’ajout des comportements à connotation sexiste à la définition du harcèlement. Nous soutenons les améliorations introduites par notre rapporteur sur ce point.

Sur le nouvel outrage sexiste, si nous sommes en plein accord avec l’objectif de faire cesser ces comportements intolérables, nous sommes plus partagés sur les réponses à apporter à ces agissements. La réponse législative que nous apportons m’apparaît difficilement applicable, puisqu’elle repose en grande partie sur du flagrant délit.

Pour conclure, le groupe du RDSE, fidèle à sa tradition, votera selon ses sensibilités et selon le sort réservé à ses amendements.

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