Intervention de Daniel Gremillet

Commission mixte paritaire — Réunion du 10 juillet 2018 à 9h30
Commission mixte paritaire sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine durable et accessible à tous

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet, sénateur, rapporteur pour le Sénat :

Permettez-moi, en préambule, de saluer le travail de fond réalisé, avec Anne-Catherine Loisier, par Michel Raison, rapporteur du texte au Sénat, qui ne pouvait malheureusement être présent parmi nous aujourd'hui, ainsi que par le rapporteur pour avis Pierre Médevielle.

Je souhaitais aussi remercier le rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean-Baptiste Moreau, ainsi que l'ensemble des députés qui ont travaillé sur un texte dont chacun mesure l'importance pour la profession agricole, et dont la mobilisation a été, je crois, à la hauteur de l'enjeu, ne serait-ce qu'en nombre d'heures passées à siéger en commission ou dans l'hémicycle.

La qualité du texte transmis sur des questions juridiques et contractuelles très complexes justifie d'ailleurs les très nombreux accords entre nos deux assemblées sur le titre Ier.

En comparant mot à mot, plus de 70 % du titre Ier est conforme ou quasi-conforme, ce qui atteste d'une grande convergence de vues entre nous.

Notre assemblée a en particulier repris, au mot près, la procédure d'élaboration des indicateurs que vous aviez adoptée. Nous pouvons nous féliciter d'être parvenus à une rédaction commune sur ce sujet essentiel. Je me dois cependant de préciser que, même si le droit parlementaire permet formellement de revenir sur cette rédaction conforme, puisque l'article dans son intégralité n'est pas conforme, cela heurterait très gravement l'esprit d'une commission mixte paritaire qui, je le rappelle, est censée régler les points de désaccord, et non en créer de nouveaux. Pardonnez-moi d'être un peu solennel mais j'y insiste, car la pratique serait inédite : revenir sur un point adopté dans les mêmes termes par nos deux assemblées porterait atteinte, sinon au droit parlementaire, du moins à un principe républicain essentiel qui régit la navette parlementaire depuis 1958. On engrange les points d'accord et l'on n'y revient pas...

La réussite de cette commission mixte paritaire est par ailleurs un impératif pour tenir le calendrier fixé dès l'origine par le Gouvernement, soit l'adoption du texte avant le début des négociations commerciales le 1er octobre. C'est une date butoir pour les organisations agricoles qui ne veulent pas perdre une année supplémentaire avant d'expérimenter le nouveau dispositif contractuel. Il peut même être envisagé le pire, à savoir qu'à défaut d'adoption de la loi, les négociations soient excessivement dures cette année, comme on l'a déjà connu, dans la perspective de l'année suivante où les règles seront, au moins en partie, rebattues. Je rappelle que c'était déjà le cas lors des négociations il y a quelques mois. Pour protéger nos agriculteurs et nos industries, il est essentiel de dépasser nos clivages politiques pour aboutir à un texte commun au terme de cette commission.

C'est dans cet esprit constructif que nous avons travaillé pour préparer cette commission. L'examen des différences entre les textes issus de nos deux assemblées laisse apparaître quelques points de désaccord, mais qui me paraissent tout à fait surmontables.

Sur l'article 1er, le Sénat a apporté trois précisions. D'une part, il a souhaité assouplir le dispositif des accords-cadres et des mandats de facturation pour ne pas brusquer le mouvement de consolidation des organisations de producteurs (OP), tout en appelant à cette structuration dans les plus brefs délais.

Quand un accord-cadre aura été signé entre une OP et un acheteur, tous les contrats individuels devront le respecter. C'est essentiel. En revanche, le fait d'imposer la signature préalable d'un accord-cadre pouvait mener les producteurs individuels, en cas d'échec de la négociation, à l'impasse : à défaut d'accord-cadre, le producteur individuel aurait dû, pour vendre les volumes concernés, se défaire du contrat le liant à son OP en la quittant, ce qui aurait eu l'effet inverse de ce qui était souhaité. Nous avons donc proposé une rédaction de compromis, en accord avec le Gouvernement, pour conserver cet accord-cadre préalable obligatoire dans les secteurs où les OP sont déjà structurées, c'est-à-dire là où la contractualisation est obligatoire.

De même, la rédaction que nous avons retenue sur le mandat de facturation est simple : le producteur pourra confier ce mandat à qui il veut, y compris à son OP si elle dispose des ressources suffisantes pour offrir ce service. Les OP pourront d'ailleurs prévoir une telle éventualité dans leurs statuts.

Le Sénat a aussi voulu préserver l'idée que les filières pouvaient s'accorder entre elles sur une contractualisation obligatoire adaptée à leurs contraintes. C'est le cas du secteur vitivinicole, mais d'autres filières peuvent être concernées, notamment la semence. C'est un point important. L'idée n'est pas de soustraire des filières à des obligations minimales qui existent pour protéger les producteurs, mais bien d'adapter la loi à la réalité du terrain. Nous vous proposerons une rédaction alternative et souple pour rappeler à l'article 1er que tout accord interprofessionnel pourra compléter les clauses obligatoires contenues dans ces contrats.

Enfin, le Sénat a précisé que les formules de prix devaient être claires et accessibles au travers d'indicateurs publics, en assurant une transmission des formules de prix aux pouvoirs publics, même si ce dernier point peut poser quelques questions sur le caractère opérationnel du dispositif.

Les articles 2 et 3 étant quasi conformes, j'en viens à l'article 4. Notre assemblée a confirmé votre position sur la procédure de « nommer et dénoncer ». Cette procédure serait de nature à affaiblir le médiateur qui, d'ailleurs, ne souhaite pas faire usage de cette possibilité. Le risque est bien que cette idée intéressante aboutisse à un moindre recours à la médiation. Il en est de même pour la faculté laissée au médiateur de saisir directement le juge en cas d'échec de la médiation. Nos deux assemblées sont en plein accord pour écarter ces deux points. Le Sénat a en revanche proposé une avancée importante sur le sujet en prévoyant la faculté pour une des parties, en cas d'échec de la médiation, de saisir le juge en la forme des référés. Cela permettra d'aboutir rapidement à jugement sur le fond qui réglera définitivement le litige. Le fait de permettre une telle saisine juste après une médiation dont la qualité, reconnue par tous les acteurs, repose sur l'indépendance du médiateur, justifie, naturellement, que l'avis du médiateur constitue une pièce essentielle du dossier du juge. C'est une réelle avancée pour les agriculteurs qui, je l'espère, fera consensus entre nous.

Sur l'article 5 bis, le Sénat partage l'avis du Gouvernement qui a précisé que le dispositif proposé avait une portée plus restreinte que la possibilité laissée par l'arrêt « Cartel des endives », ce qui revenait à ajouter une contrainte aux OP non commerciales. De même, tout en soutenant cette mesure, nous avons supprimé l'article 5 ter puisque le code rural et de la pêche maritime prévoit déjà que les OP et les associations d'OP peuvent intégrer des interprofessions. C'est d'ailleurs le cas dans les fruits et légumes et la viande bovine.

À l'article 5 quinquies, nous avons conservé la clarification de la procédure de non-dépôt des comptes proposée par l'Assemblée nationale, qui a supprimé l'intervention de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous avons simplement renforcé la constitutionnalité du dispositif puisqu'il n'est pas possible de prévoir des sanctions différenciées en fonction des secteurs d'activité. Une entreprise automobile ne déposant pas ses comptes ne saurait être moins sanctionnée qu'une entreprise agroalimentaire pour le même manquement. Il est important de préciser que le Sénat ne supprime pas les sanctions, au contraire, il les renforce. Je rappelle qu'une telle procédure d'injonction sous astreinte du président du tribunal de commerce existe déjà dans le code de commerce pour toutes les entreprises. Cette procédure prévoit d'ailleurs, en théorie, des astreintes non plafonnées. Le Sénat a juste repris la proposition de l'Assemblée pour relever l'astreinte jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires en cas de « manquements répétés », et non en fonction du secteur d'activité de l'entreprise, ce qui permet d'assurer une progressivité des sanctions visant les entreprises les plus récalcitrantes que nous connaissons bien.

Sur l'article 6, nous avons adopté de manière quasi conforme l'article en lui adjoignant un nouveau dispositif de clause de révision des prix pour certains produits très précis, composés à plus de 50 % d'une matière première connaissant une forte fluctuation des prix. Cela permettrait d'éviter une nouvelle crise du beurre par exemple. Le mécanisme n'est d'ailleurs pas totalement asymétrique puisqu'une fois la clause enclenchée à la suite d'une hausse des prix de la matière première, si les cours reviennent rapidement à la baisse, ce que nous voyons souvent sur les marchés de plus en plus volatils, la modulation des prix jouera également à la baisse. Que ce soit à l'article 1er ou à l'article 8, un point a fait l'objet d'une quasi-unanimité au Sénat : la défense du modèle coopératif sur nos territoires. En prévoyant un champ d'habilitation extrêmement large, l'article 8 permettait au Gouvernement de remettre en cause les fondements de ce modèle. Dans ces conditions, l'autorisation de l'habilitation reviendrait à signer un chèque en blanc au Gouvernement, ce que le Sénat a refusé.

À l'inverse, quand le champ de l'habilitation était clair, le Sénat a maintenu la rédaction proposée, ce qui était le cas pour la réforme du Haut Conseil de la coopération agricole ainsi que pour la modification du rôle du médiateur de la coopération agricole. Dans le même esprit, je vous proposerai de rédiger très précisément les annonces faites par le Gouvernement à ce stade sur les coopératives en les inscrivant in extenso dans l'ordonnance.

S'agissant de l'article 9, le Sénat a estimé que le Parlement était légitime à inscrire directement dans la loi le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. Nous ne serons évidemment pas fermés à ce que la CMP travaille à une rédaction qui serait encore plus adéquate juridiquement.

L'article 10, qui prévoit de modifier par ordonnance les règles de transparence et la prohibition de certaines pratiques abusives dans les relations commerciales, ne devrait pas poser de difficultés entre nous.

Souhaitant lutter contre les lois bavardes, nous avons supprimé plusieurs rapports ou des dispositions au contenu parfois trop déclaratif pour être acceptables par le Conseil constitutionnel. Mais, là encore, cela ne doit pas être un obstacle à ce que nous trouvions un accord.

Enfin, nous avons souhaité inscrire dans la loi un principe d'application du droit français des relations commerciales aux négociations qui ont lieu à l'étranger (article 10 bis A), et avons marqué un coup d'arrêt aux mesures de surtransposition qui sont autant de handicaps pour la compétitivité de notre agriculture (article 10 decies). Je ne doute pas que ces dispositions pourront faire l'objet d'aménagements consensuels au cours de notre réunion.

En résumé, il me semble que tous les éléments sont réunis pour aboutir à l'adoption d'un texte équilibré sur le titre Ier, fruit d'un compromis intelligent entre nos deux assemblées. Cette partie est très attendue par la profession agricole, qui en espère l'adoption la plus rapide possible.

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