Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous s'est réunie à l'Assemblée nationale le 10 juillet 2018.
Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :
Roland Lescure, député, président ;
Sophie Primas, sénateur, vice-présidente ;
La commission a également désigné :
Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
Daniel Gremillet (représentant de M. Michel Raison, empêché) et Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteurs pour le Sénat.
La commission mixte paritaire (CMP) procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Madame la Présidente, chers collègues, comme il s'agit de la première CMP de la présente législature réunissant principalement les deux commissions des affaires économiques, je rappelle les règles régissant cet exercice :
- une CMP ne constitue pas une deuxième lecture, mais une parenthèse dans la navette. Notre base de discussion n'est donc pas le dernier texte adopté, celui du Sénat. Nous pouvons discuter à la fois du texte adopté par l'Assemblée nationale et de celui voté par le Sénat ;
- une CMP ne peut examiner que les dispositions restant en discussion. On ne peut donc pas revenir sur un article conforme (sauf pour coordination, correction d'une erreur matérielle ou en vue d'assurer le respect de la Constitution). Après une lecture dans chaque chambre, le texte du projet de loi comporte désormais 110 dispositions. 28 d'entre elles ont été adoptés conformes par le Sénat. À l'issue de ces premières lectures 92 articles restent donc en discussion, dont 30 articles introduits lors de l'examen au Sénat.
Nous ne pouvons ajouter des dispositions additionnelles, en vertu de la règle de l'entonnoir. En outre, si des propositions de rédaction tombaient sous le coup de l'article 40 de la Constitution (irrecevabilité financière), il me reviendrait, en tant que président de la CMP, de déclarer leur irrecevabilité ;
- il ne saurait y avoir d'accords partiels. Le moindre désaccord conduit à constater l'échec de la CMP. Comme on le dit souvent, il n'y a accord sur rien ou il y a accord sur tout. C'est pourquoi j'inciterai nos rapporteurs à débuter leurs propos par les articles les plus problématiques ;
- l'élaboration d'un texte par la CMP n'a de sens que si ce texte est susceptible d'être ensuite adopté par les deux assemblées. J'insiste particulièrement sur ce point dans la mesure où l'appartenance politique de la majorité des membres de notre CMP ne permet pas d'assurer une majorité aux formations majoritaires à l'Assemblée nationale. En tant que président de la CMP, il m'appartiendra de vérifier l'existence, ou pas, d'un consensus susceptible d'être soumis à nos deux chambres. J'éviterai donc, dans la mesure du possible, de procéder au vote.
L'examen du présent projet de loi par nos deux assemblées a permis un enrichissement important du texte, qui, initialement, ne comportait que 17 articles. L'Assemblée a adopté 441 amendements au total, en commission et en séance. De son côté, le Sénat en a adopté 225. Le texte adopté par le Sénat s'éloigne, cependant, assez sensiblement de celui qui avait été approuvé par notre assemblée. Nos rapporteurs respectifs ont pu se rencontrer ces derniers jours et vont nous faire part de l'avancement de leurs réflexions.
Je souhaite que cette CMP soit conclusive. Néanmoins, nous avons des points de divergence qu'il est nécessaire d'aplanir. Nous devons bien sûr avoir un accord sur tout mais si nous ne devions avoir un accord sur rien nous ne serions pas là. Il y a beaucoup d'articles pour lesquels nous faisons cause commune, il faut rendre grâce au travail des députés, des sénateurs et des rapporteurs.
Je souhaite excuser Monsieur Michel Raison qui ne peut être présent et qui sera remplacé par Monsieur Daniel Gremillet, qui a été un des sénateurs très actifs sur ce texte.
Je tiens d'abord à saluer la qualité de nos échanges lors des réunions que nous avons tenues avec les rapporteurs du Sénat Madame Anne-Catherine Loisier et Monsieur Michel Raison, en présence de Monsieur Daniel Gremillet.
L'esprit constructif est remarquable et les apports de la navette parlementaire sont nombreux mais le fait est que le Sénat a considérablement modifié le projet de loi en commission. Il est parfois revenu sur ses positions en séance publique - comme sur les néonicotinoïdes - ce dont je me félicite, mais pas toujours, en particulier sur des dispositions adoptées à l'initiative de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de notre assemblée.
J'ai identifié plusieurs lignes rouges, certaines concernent le titre Ier mais les principaux points de blocage concernent le titre II.
À l'article 1er, nous souhaitons la suppression de la validation des indicateurs par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Il s'agit certes du texte adopté en séance publique à l'Assemblée nationale mais nous souhaitons revenir au texte adopté préalablement en commission. La validation des indicateurs par une autorité publique contribuerait à déresponsabiliser les interprofessions, ce qui ne nous semble pas souhaitable compte tenu de l'esprit des États généraux de l'alimentation (EGA).
À l'article 4, nous sommes favorables à la réintroduction du name and shame (« nommer et dénoncer ») des entreprises qui font échec à la médiation, sans avoir besoin de leur accord pour y procéder, et au rétablissement de la saisine du juge en référé par le médiateur des relations commerciales agricoles tel qu'adoptée en commission à l'Assemblée nationale.
À l'article 6, il conviendrait de supprimer la clause d'indexation des prix agricoles et alimentaires uniquement à la hausse car cela conduirait à convenir de prix très bas, en prévision d'une future hausse, ce qui serait défavorable aux producteurs.
À l'article 8, il est important de rétablir la demande d'habilitation à légiférer par ordonnance sur les relations entre les sociétés coopératives agricoles et les associés coopérateurs. Il s'agit d'un engagement du Président de la République afin de renouer la confiance entre la profession agricole et les coopératives dont le modèle a pu être dévoyé par certaines coopératives.
À l'article 9 nous sommes également favorables au rétablissement de l'habilitation. Le Sénat a inscrit directement dans la loi les dispositions sur le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. Le Gouvernement n'y est pas prêt et la rédaction proposée par le Sénat n'est pas tout à fait conforme à ses intentions. La concertation va se poursuivre cet été et, à la rentrée, nous y verrons plus clair, même si je ne suis pas en désaccord avec la philosophie du texte du Sénat.
Au titre II, les principaux points de désaccord portent sur deux articles initiaux du projet de loi et sur des dispositions adoptées à l'initiative de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire et qui ont été supprimées au Sénat.
Le Sénat a en effet supprimé l'interdiction des bouteilles en plastique dans la restauration collective ; l'instauration, à compter du 1er janvier 2030, d'une obligation de certification environnementale des produits sous signes officiels de la qualité et de l'origine ; la présence de représentants d'associations de défense de l'environnement dans la gouvernance de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) ; les nouvelles obligations en termes de responsabilité sociale et environnementale des grandes entreprises en matière de bien-être animal ou de lutte contre la précarité alimentaire et l'interdiction du réaménagement de tout bâtiment d'élevage de poules pondeuses en cage, en maintenant seulement l'interdiction de la construction de ces bâtiments. Il y a également le point clé de l'expérimentation de l'épandage aérien par drones de produits autorisés en agriculture biologique et en certification « haute valeur environnementale » dans certaines conditions de production et qui a été étendue, par le Sénat, à l'ensemble des produits, ce qui n'est pas souhaitable.
Les deux points clés portent sur les articles 14 et 15. Nous souhaitons le rétablissement intégral de l'article 14 tel qu'adopté à l'Assemblée nationale : il est symboliquement important de réintroduire l'interdiction des remises commerciales sur les produits phytopharmaceutiques. Nous souhaitons également le rétablissement de l'article 15 tel que prévu par le Gouvernement, prévoyant des ordonnances sur la séparation de la vente et du conseil sur les produits phytopharmaceutiques.
En outre, certaines dispositions n'ont pas été supprimées mais elles ont été fortement édulcorées : l'ouverture de l'article 11 aux certifications de conformité, sur laquelle le Sénat est, il est vrai, revenu ensuite en séance publique, la hausse du seuil pour l'application d'un plan de diversification de protéines et la suppression de l'expérimentation sur les contenants plastiques dans les cantines des collectivités publiques.
Vous avez ici une liste non exhaustive des marqueurs forts du projet de loi, auxquels nous tenons et qui résultent déjà d'un équilibre au sein de notre assemblée. Je ne saurais y renoncer car pour que cette CMP soit conclusive, il faut avoir la garantie que l'Assemblée nationale adoptera, en séance publique, le texte qui en résultera.
Permettez-moi, en préambule, de saluer le travail de fond réalisé, avec Anne-Catherine Loisier, par Michel Raison, rapporteur du texte au Sénat, qui ne pouvait malheureusement être présent parmi nous aujourd'hui, ainsi que par le rapporteur pour avis Pierre Médevielle.
Je souhaitais aussi remercier le rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean-Baptiste Moreau, ainsi que l'ensemble des députés qui ont travaillé sur un texte dont chacun mesure l'importance pour la profession agricole, et dont la mobilisation a été, je crois, à la hauteur de l'enjeu, ne serait-ce qu'en nombre d'heures passées à siéger en commission ou dans l'hémicycle.
La qualité du texte transmis sur des questions juridiques et contractuelles très complexes justifie d'ailleurs les très nombreux accords entre nos deux assemblées sur le titre Ier.
En comparant mot à mot, plus de 70 % du titre Ier est conforme ou quasi-conforme, ce qui atteste d'une grande convergence de vues entre nous.
Notre assemblée a en particulier repris, au mot près, la procédure d'élaboration des indicateurs que vous aviez adoptée. Nous pouvons nous féliciter d'être parvenus à une rédaction commune sur ce sujet essentiel. Je me dois cependant de préciser que, même si le droit parlementaire permet formellement de revenir sur cette rédaction conforme, puisque l'article dans son intégralité n'est pas conforme, cela heurterait très gravement l'esprit d'une commission mixte paritaire qui, je le rappelle, est censée régler les points de désaccord, et non en créer de nouveaux. Pardonnez-moi d'être un peu solennel mais j'y insiste, car la pratique serait inédite : revenir sur un point adopté dans les mêmes termes par nos deux assemblées porterait atteinte, sinon au droit parlementaire, du moins à un principe républicain essentiel qui régit la navette parlementaire depuis 1958. On engrange les points d'accord et l'on n'y revient pas...
La réussite de cette commission mixte paritaire est par ailleurs un impératif pour tenir le calendrier fixé dès l'origine par le Gouvernement, soit l'adoption du texte avant le début des négociations commerciales le 1er octobre. C'est une date butoir pour les organisations agricoles qui ne veulent pas perdre une année supplémentaire avant d'expérimenter le nouveau dispositif contractuel. Il peut même être envisagé le pire, à savoir qu'à défaut d'adoption de la loi, les négociations soient excessivement dures cette année, comme on l'a déjà connu, dans la perspective de l'année suivante où les règles seront, au moins en partie, rebattues. Je rappelle que c'était déjà le cas lors des négociations il y a quelques mois. Pour protéger nos agriculteurs et nos industries, il est essentiel de dépasser nos clivages politiques pour aboutir à un texte commun au terme de cette commission.
C'est dans cet esprit constructif que nous avons travaillé pour préparer cette commission. L'examen des différences entre les textes issus de nos deux assemblées laisse apparaître quelques points de désaccord, mais qui me paraissent tout à fait surmontables.
Sur l'article 1er, le Sénat a apporté trois précisions. D'une part, il a souhaité assouplir le dispositif des accords-cadres et des mandats de facturation pour ne pas brusquer le mouvement de consolidation des organisations de producteurs (OP), tout en appelant à cette structuration dans les plus brefs délais.
Quand un accord-cadre aura été signé entre une OP et un acheteur, tous les contrats individuels devront le respecter. C'est essentiel. En revanche, le fait d'imposer la signature préalable d'un accord-cadre pouvait mener les producteurs individuels, en cas d'échec de la négociation, à l'impasse : à défaut d'accord-cadre, le producteur individuel aurait dû, pour vendre les volumes concernés, se défaire du contrat le liant à son OP en la quittant, ce qui aurait eu l'effet inverse de ce qui était souhaité. Nous avons donc proposé une rédaction de compromis, en accord avec le Gouvernement, pour conserver cet accord-cadre préalable obligatoire dans les secteurs où les OP sont déjà structurées, c'est-à-dire là où la contractualisation est obligatoire.
De même, la rédaction que nous avons retenue sur le mandat de facturation est simple : le producteur pourra confier ce mandat à qui il veut, y compris à son OP si elle dispose des ressources suffisantes pour offrir ce service. Les OP pourront d'ailleurs prévoir une telle éventualité dans leurs statuts.
Le Sénat a aussi voulu préserver l'idée que les filières pouvaient s'accorder entre elles sur une contractualisation obligatoire adaptée à leurs contraintes. C'est le cas du secteur vitivinicole, mais d'autres filières peuvent être concernées, notamment la semence. C'est un point important. L'idée n'est pas de soustraire des filières à des obligations minimales qui existent pour protéger les producteurs, mais bien d'adapter la loi à la réalité du terrain. Nous vous proposerons une rédaction alternative et souple pour rappeler à l'article 1er que tout accord interprofessionnel pourra compléter les clauses obligatoires contenues dans ces contrats.
Enfin, le Sénat a précisé que les formules de prix devaient être claires et accessibles au travers d'indicateurs publics, en assurant une transmission des formules de prix aux pouvoirs publics, même si ce dernier point peut poser quelques questions sur le caractère opérationnel du dispositif.
Les articles 2 et 3 étant quasi conformes, j'en viens à l'article 4. Notre assemblée a confirmé votre position sur la procédure de « nommer et dénoncer ». Cette procédure serait de nature à affaiblir le médiateur qui, d'ailleurs, ne souhaite pas faire usage de cette possibilité. Le risque est bien que cette idée intéressante aboutisse à un moindre recours à la médiation. Il en est de même pour la faculté laissée au médiateur de saisir directement le juge en cas d'échec de la médiation. Nos deux assemblées sont en plein accord pour écarter ces deux points. Le Sénat a en revanche proposé une avancée importante sur le sujet en prévoyant la faculté pour une des parties, en cas d'échec de la médiation, de saisir le juge en la forme des référés. Cela permettra d'aboutir rapidement à jugement sur le fond qui réglera définitivement le litige. Le fait de permettre une telle saisine juste après une médiation dont la qualité, reconnue par tous les acteurs, repose sur l'indépendance du médiateur, justifie, naturellement, que l'avis du médiateur constitue une pièce essentielle du dossier du juge. C'est une réelle avancée pour les agriculteurs qui, je l'espère, fera consensus entre nous.
Sur l'article 5 bis, le Sénat partage l'avis du Gouvernement qui a précisé que le dispositif proposé avait une portée plus restreinte que la possibilité laissée par l'arrêt « Cartel des endives », ce qui revenait à ajouter une contrainte aux OP non commerciales. De même, tout en soutenant cette mesure, nous avons supprimé l'article 5 ter puisque le code rural et de la pêche maritime prévoit déjà que les OP et les associations d'OP peuvent intégrer des interprofessions. C'est d'ailleurs le cas dans les fruits et légumes et la viande bovine.
À l'article 5 quinquies, nous avons conservé la clarification de la procédure de non-dépôt des comptes proposée par l'Assemblée nationale, qui a supprimé l'intervention de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous avons simplement renforcé la constitutionnalité du dispositif puisqu'il n'est pas possible de prévoir des sanctions différenciées en fonction des secteurs d'activité. Une entreprise automobile ne déposant pas ses comptes ne saurait être moins sanctionnée qu'une entreprise agroalimentaire pour le même manquement. Il est important de préciser que le Sénat ne supprime pas les sanctions, au contraire, il les renforce. Je rappelle qu'une telle procédure d'injonction sous astreinte du président du tribunal de commerce existe déjà dans le code de commerce pour toutes les entreprises. Cette procédure prévoit d'ailleurs, en théorie, des astreintes non plafonnées. Le Sénat a juste repris la proposition de l'Assemblée pour relever l'astreinte jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires en cas de « manquements répétés », et non en fonction du secteur d'activité de l'entreprise, ce qui permet d'assurer une progressivité des sanctions visant les entreprises les plus récalcitrantes que nous connaissons bien.
Sur l'article 6, nous avons adopté de manière quasi conforme l'article en lui adjoignant un nouveau dispositif de clause de révision des prix pour certains produits très précis, composés à plus de 50 % d'une matière première connaissant une forte fluctuation des prix. Cela permettrait d'éviter une nouvelle crise du beurre par exemple. Le mécanisme n'est d'ailleurs pas totalement asymétrique puisqu'une fois la clause enclenchée à la suite d'une hausse des prix de la matière première, si les cours reviennent rapidement à la baisse, ce que nous voyons souvent sur les marchés de plus en plus volatils, la modulation des prix jouera également à la baisse. Que ce soit à l'article 1er ou à l'article 8, un point a fait l'objet d'une quasi-unanimité au Sénat : la défense du modèle coopératif sur nos territoires. En prévoyant un champ d'habilitation extrêmement large, l'article 8 permettait au Gouvernement de remettre en cause les fondements de ce modèle. Dans ces conditions, l'autorisation de l'habilitation reviendrait à signer un chèque en blanc au Gouvernement, ce que le Sénat a refusé.
À l'inverse, quand le champ de l'habilitation était clair, le Sénat a maintenu la rédaction proposée, ce qui était le cas pour la réforme du Haut Conseil de la coopération agricole ainsi que pour la modification du rôle du médiateur de la coopération agricole. Dans le même esprit, je vous proposerai de rédiger très précisément les annonces faites par le Gouvernement à ce stade sur les coopératives en les inscrivant in extenso dans l'ordonnance.
S'agissant de l'article 9, le Sénat a estimé que le Parlement était légitime à inscrire directement dans la loi le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. Nous ne serons évidemment pas fermés à ce que la CMP travaille à une rédaction qui serait encore plus adéquate juridiquement.
L'article 10, qui prévoit de modifier par ordonnance les règles de transparence et la prohibition de certaines pratiques abusives dans les relations commerciales, ne devrait pas poser de difficultés entre nous.
Souhaitant lutter contre les lois bavardes, nous avons supprimé plusieurs rapports ou des dispositions au contenu parfois trop déclaratif pour être acceptables par le Conseil constitutionnel. Mais, là encore, cela ne doit pas être un obstacle à ce que nous trouvions un accord.
Enfin, nous avons souhaité inscrire dans la loi un principe d'application du droit français des relations commerciales aux négociations qui ont lieu à l'étranger (article 10 bis A), et avons marqué un coup d'arrêt aux mesures de surtransposition qui sont autant de handicaps pour la compétitivité de notre agriculture (article 10 decies). Je ne doute pas que ces dispositions pourront faire l'objet d'aménagements consensuels au cours de notre réunion.
En résumé, il me semble que tous les éléments sont réunis pour aboutir à l'adoption d'un texte équilibré sur le titre Ier, fruit d'un compromis intelligent entre nos deux assemblées. Cette partie est très attendue par la profession agricole, qui en espère l'adoption la plus rapide possible.
Je voudrais saluer l'ensemble de mes collègues sénateurs pour leur participation et leurs apports à nos travaux, ainsi que le rapporteur de l'Assemblée nationale avec qui nous avons pu largement échanger.
Je voudrais à mon tour dire quelques mots sur le titre II du texte dont j'ai eu la charge et sur les principaux apports du Sénat pour souligner, avant tout, les nombreux points d'accord entre nos deux assemblées. Sur les 28 articles déjà conformes, 25 le sont sur les titres II et suivants.
Ainsi, en matière de restauration collective, le Sénat a préservé l'ambition de l'article 11 en maintenant l'objectif de 20 % de produits biologiques ainsi que l'exclusion des produits sous certification de conformité, qui n'apportaient pas un gage suffisant de qualité. Nous avons toutefois souhaité mieux adapter l'article aux réalités du terrain, en intégrant tous les produits sous signes de qualité ou mentions valorisantes et les produits labellisés « régions ultrapériphériques », en prenant en compte l'offre locale et en favorisant sa structuration ou en exonérant la restauration purement privée de l'obligation d'information. Sous réserve d'un ajustement sur le périmètre des gestionnaires concernés auquel nous sommes tout à fait disposés, nous pourrions parvenir à un accord sans difficulté.
Toujours sur le volet alimentation, nous avons conforté ou ajouté plusieurs dispositions pour mieux informer le consommateur, mieux le protéger et promouvoir les productions françaises, qu'il s'agisse de la protection des dénominations commerciales associées aux produits d'origine animale, étendue à la promotion (article 11 sexies) ; du vin, avec une obligation d'information sur l'origine dans tous les établissements qui en mettent à la vente (article 11 nonies E) et le maintien d'une déclaration de récolte obligatoire (article 11 nonies F) ; du miel, avec l'indication des pays d'origine dans l'ordre d'importance en cas de mélange (article 11 decies) ; ou encore de l'encadrement renforcé de l'usage du terme « équitable » (article 11 nonies). Nous avons en revanche jugé que l'affichage environnemental des denrées alimentaires (article 11 septies A) ne pouvait être retenu, à la fois parce que le sujet relève du droit européen et parce qu'un tel affichage pourrait s'avérer contre-productif au regard des expérimentations en cours ou à venir et portées par le Gouvernement, ainsi que pour certaines productions, notamment bio.
Dans le même objectif de défense de notre modèle agricole, le Sénat a ajouté, en séance, un article très symbolique mais aussi très attendu pour affirmer un principe d'interdiction de mise à la vente de toute denrée alimentaire ou produit agricole qui ne respecterait pas les normes européennes ou françaises en matière de traitement, de mode de production ou d'exigence d'identification et de traçabilité (article 11 undecies A). Cette obligation est en outre déclinée au sein des objectifs de la politique agricole et alimentaire (article 11 undecies). Nous avons entendu l'intérêt du ministre pour disposer sur ce point d'un appui dans ses négociations avec nos partenaires commerciaux, mais aussi sa réticence à viser la loi française pour éviter tout contentieux ; là aussi, nous serions disposés à ne mentionner que la réglementation européenne pour conserver cet apport qui nous semble essentiel.
Sur le volet sécurité sanitaire, nous avons repris les rédactions proposées par l'Assemblée nationale en amendant à la marge l'une d'entre elles pour prévoir une contre-expertise en cas de détection d'agents pathogènes dans l'environnement de production, et ce afin de mieux nous conformer à la réglementation européenne. Nous avons également adopté un dispositif de sanctions en cas d'échec de la procédure de retrait et de rappel des produits. Ce sont là des avancées qui, je pense, nous rassembleront sans difficulté.
En matière de bien-être animal, le Sénat a voulu préserver le bon équilibre auquel était parvenue l'Assemblée nationale et a adopté conformes la quasi-totalité des articles de cette partie, à l'exception de la disposition sur l'interdiction des bâtiments d'élevage de poules pondeuses (article 13 bis A), de laquelle nous avions voulu exclure les réaménagements de peur que même un réaménagement favorable au bien-être animal ne soit plus possible. Depuis, nous avons pu avoir connaissance du courrier adressé par le ministre à la filière qui lève toute inquiétude en la matière et nous n'aurions donc plus aucune objection à revenir à la rédaction de l'Assemblée.
Les points qui feront le plus débat entre nous portent sur les produits phytopharmaceutiques. Le Sénat a d'abord estimé que l'effet de l'interdiction des remises, rabais et ristournes (article 14) était insuffisamment documenté dans l'étude d'impact, alors qu'il s'agit d'une mesure structurelle pour la profession agricole. Malgré nos demandes répétées, le Gouvernement n'a jamais étayé son analyse.
Nous proposons néanmoins de rétablir en partie cette interdiction dans le texte, en restreignant son périmètre pour mieux répondre aux attentes exprimées par les députés et le Gouvernement. Ainsi, les remises, rabais et ristournes seraient interdits sur les seules mesures promotionnelles fondées sur le montant d'achat ou le volume des produits. Il n'y aurait ainsi plus de possibilité de réduction incitant à l'achat en volume.
En revanche, ces pratiques commerciales seraient maintenues si des services sont rendus par l'acheteur, en faveur d'une plus grande sécurité des agriculteurs et d'une meilleure utilisation, notamment en termes de stockage ou de formation. C'est un mécanisme incitatif et non uniquement punitif qui est proposé ici. Il respecte la volonté gouvernementale d'un effet prix en faveur des produits de biocontrôle tout en accompagnant les acteurs en faveur d'un meilleur usage des produits.
Sur les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) à base de plantes comestibles (article 14 ter), après échange avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), nous avons considéré qu'il fallait maintenir l'esprit de simplification de la mesure introduite à l'Assemblée tout en conservant une évaluation minimale des substances. Nous avons proposé une idée simple : une procédure simplifiée et, chose unique dans le code rural et de la pêche maritime, une évaluation elle-même simplifiée, notamment pour les produits à base de plantes comestibles. Les associations concernées travaillent en ce moment avec l'ANSES sur le sujet. L'idée n'est pas que l'évaluation soit bloquante. Au contraire, elle permettra de préconiser des doses d'utilisation et de préciser les conditions optimales d'épandage.
Concernant l'expérimentation de l'usage des drones pour l'épandage de précision de produits phytopharmaceutiques (article 14 sexies), nous avons repris la rédaction que vous aviez adoptée au sortir de la commission, considérant que la justification de la mesure était avant tout d'assurer la sécurité des utilisateurs et non de viser une catégorie de produits plutôt qu'une autre. Les deux rédactions sont donc très similaires mais il s'agit d'éviter de créer une rupture d'égalité entre les agriculteurs, qu'ils aient fait le choix ou non de l'agriculture biologique.
Enfin, notre assemblée a maintenu la séparation entre le conseil et la vente de produits phytopharmaceutiques (article 15). Nous partageons la même ambition : l'émergence d'un conseil indépendant, séparé et stratégique, à un coût acceptable pour nos agriculteurs. Mais le risque d'une mesure trop rigide est de ne plus avoir de conseil du tout. Cela serait contre-productif pour notre agriculture.
C'est pourquoi nous proposons, là encore, un compromis qui permettrait, d'une part, de lister précisément tous les types de conseils existants aujourd'hui. D'autre part, nous proposons d'appliquer une stricte séparation des structures entre les activités de vente et les activités de conseil stratégique, sans préciser que ce conseil sera pluriannuel si cela n'est pas nécessaire et afin de mieux s'adapter à la diversité des filières.
En conclusion, nous pourrions parvenir à un accord parce que nombre d'articles sont déjà conformes ou très près de l'être et parce que nous proposons à cette commission mixte paritaire d'adopter un certain nombre de rédactions de compromis. Il est essentiel de ne pas décevoir une profession qui s'est beaucoup investie sur ce texte au cours de longs mois. Je crois que nous ferions là oeuvre utile à la fois pour notre agriculture, car la loi trouverait à s'appliquer plus rapidement et de façon plus équilibrée, pour le Parlement lui-même, qui en sortirait grandi, ainsi que pour le Gouvernement, qui pourrait se prévaloir d'avoir réussi à rassembler sur son texte.
Tout le monde souhaite aboutir à un accord, mais un accord sur l'ensemble. Il ne peut y avoir ni quasi-conformité, ni quasi-accord. C'est ce qui fait la difficulté, mais aussi la beauté de cette procédure.
Je tenais à dire quelques mots sur le titre II, sur lequel j'ai été désignée rapporteure pour avis par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Ce texte issu des états généraux de l'alimentation fonctionne sur deux piliers. Il ne saurait être question de renoncer à nos ambitions sur les enjeux phytopharmaceutiques, en rendant, comme l'a fait le Sénat, en toute bonne foi sans doute, certaines dispositions inopérantes, voire en les complexifiant par rapport à celles adoptées à l'Assemblée nationale. Je rejoins le discours et l'arbitrage de notre rapporteur.
Je souhaite remercier les rapporteurs et souligner la qualité des rapports qui ont été produits et le travail de fond effectué par le Sénat. Les points de divergence sont nombreux. J'observe que le débat a presque été clos en même temps qu'il était présenté. Je voudrais donc savoir sur quels points avancés par le Sénat l'Assemblée est prête à faire un pas, et réciproquement.
Je vais revenir sur le calendrier et la nécessité d'aboutir aujourd'hui à un texte pour que les négociations commerciales de l'automne prochain puissent se dérouler dans de bonnes conditions pour nos agriculteurs. J'ai entendu la proposition de notre rapporteur sur l'article 1er, sur lequel nous avons beaucoup débattu à l'Assemblée et sur lequel nous avons trouvé une majorité autour d'indicateurs fiables, publics et qui permettent à l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) de jouer pleinement son rôle. C'est un des articles les plus attendus par nos agriculteurs. Sur l'article 8, je pense également que nous pouvons trouver une voie médiane. Quant au titre II, j'entends ce qui a été dit par notre collègue Madame Laurence Maillart-Méhaignerie, mais nous pourrons sûrement trouver un juste milieu entre les attentes des agriculteurs et celles des consommateurs qui nous permette d'adopter un texte.
Nous sommes tous favorables à un accord qui permette que les prochaines négociations commerciales se déroulent sur des bases plus claires. C'était l'objectif de la loi « Sapin 2 » que le projet de loi modifie.
Je voudrais regretter au nom du groupe Nouvelle Gauche, qui avait été très constructif, que le Sénat n'ait pas retenu certaines de nos propositions qui étaient des facultés offertes au monde paysan, à la société, aux filières et aux territoires pour se saisir des questions alimentaires et agroalimentaires. Je pense aux propositions relatives à la haute valeur environnementale, l'agriculture de groupe ou aux contrats tripartites. Autant de processus qui ne coûtaient rien au budget de la Nation, mais donnaient des outils à la société pour se transformer elle-même.
Une dernière remarque qui sera un immense compliment pour nos collègues sénateurs : je tiens à saluer le travail de conviction de Monsieur Bernard Jomier et Madame Nicole Bonnefoy sur la question du fonds d'indemnisation des victimes, dont j'espère que nous saurons nous inspirer à l'Assemblée nationale.
Je voudrais dire ma déception de voir que l'on ne souhaite pas faire aboutir cette CMP. Les agriculteurs avaient mis beaucoup d'espoir dans les EGA ainsi que dans le discours de Rungis du Président de la République. Ils attendaient deux choses : une rémunération plus importante du fruit de leur travail et une meilleure reconnaissance. Aujourd'hui à quoi assiste-t-on ?
Le titre Ier pouvait donner un semblant d'espoir de remontée des prix, conduisant les grandes surfaces à rémunérer correctement les agriculteurs, même si je rappelle que les premières sont organisées en trois centrales d'achat qui font face à 13 000 fournisseurs. Je suis gêné que le Gouvernement ne veuille pas dire clairement ce qu'il entend faire sur l'article 8, d'autant plus que la transparence comme la possible sortie pour les coopérateurs relèvent du domaine réglementaire et qu'il n'y a donc pas besoin de la loi pour faire, si c'est bien ce que l'on veut. Or, les coopératives sont la capacité de faire ensemble quelque chose et les sorties individuelles, pour convenance personnelle, après s'être engagé, parce que telle ou telle chose ne vous plaît plus, ne sont pas conformes à leur esprit. L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers et je m'étonne que le rapporteur de l'Assemblée nationale, qui a été président de coopérative, ne s'en rappelle pas.
Le titre II a été le défouloir d'une société qui ne sait pas ce qu'elle veut : d'un côté une agriculture hyper-protectrice de l'environnement mais de l'autre des décisions gouvernementales qui vont plutôt dans le sens d'une ouverture des marchés pour acheter des produits provenant d'autres continents dans lesquels aucune des règles que nous voudrions faire respecter chez nous n'est appliquée. On nous demande à nos agriculteurs de courir le 100 mètres avec des boulets aux pieds...
Je ne vois pas comment, par principe, on supprimerait les remises, rabais et ristournes pour les agriculteurs. Qui achètera plus cher ce qu'il peut obtenir moins cher ? Et comment expliquer que l'on supprime ces remises, rabais et ristournes quand certains ont pu bénéficier, lors de campagnes électorales, de remises sur la location de salles ? Je trouve que c'est une injustice vis-à-vis du monde agricole, mais aussi - en particulier les articles 14 et 15 - une insulte à l'intelligence agricole. Depuis bien longtemps, les agriculteurs n'utilisent pas ces produits pour le plaisir, ils les emploient de la manière la plus technique possible et au moment le plus opportun, pour la simple et bonne raison qu'ils les paient !
Je crois que nous serons passés à côté de l'objectif : celui de faire une vraie loi économique au bénéfice de l'agriculture du XXIe siècle, d'une bonne alimentation et qui fasse la fierté de nos agriculteurs Pour moi qui suis agriculteur avant d'être sénateur, un échec de cette CMP créerait un profond désespoir. Une fois de plus, nos agriculteurs sont sur le banc des accusés alors que l'agriculture française irrigue la totalité de nos territoires et qu'elle est l'une des meilleures au monde sur le plan de la qualité nutritionnelle et sanitaire.
J'interviens en ma qualité de responsable du texte pour le groupe la République en Marche. Les EGA ont réussi à renouer le dialogue entre l'ensemble des parties prenantes. Le texte de l'Assemblée nationale « marche sur ses deux jambes » car il contient à la fois un volet commercial et un volet sociétal. Le titre Ier, qui inverse la construction du prix et donne de nouveaux outils aux agriculteurs pour aboutir à des négociations commerciales plus équilibrées, me semble être une priorité. Le titre II permet, lui, de mieux prendre en compte les nouvelles attentes sociétales. La volonté du groupe la République en Marche est de maintenir le rôle des organisations professionnelles et de préserver les mesures emblématiques de ce projet de loi (relèvement du seuil de revente à perte, encadrement des promotions, interdiction des remises, rabais et ristournes et séparation capitalistique des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques).
Cette loi peut donner un nouveau souffle aux agriculteurs et favoriser une alimentation sûre, saine, durable et accessible à tous. Notre majorité souhaite que ce texte soit rapidement mis en oeuvre.
Le projet de loi qui nous réunit est issu des EGA qui ont suscité beaucoup d'attentes chez nos agriculteurs ; il est donc important que la CMP soit conclusive. J'ai une lecture un peu différente et plus confiante des travaux de nos deux assemblées. Le Sénat a travaillé sur le texte pendant de longues, de façon transpartisane sur de nombreux points en essayant de faire un pas les uns vers les autres. Le travail qu'ont fait nos rapporteurs en vue de cette CMP offre l'occasion de nouvelles avancées, notamment sur la séparation du conseil et de la vente ou sur les remises, rabais et ristournes.
Concernant l'article 8 sur les coopératives, le problème tient au mécanisme d'habilitation à légiférer par ordonnances qui a empêché le débat. Il faut que l'on prenne, le moment venu, le temps de travailler ce sujet sur le fond et non pas au travers d'une délégation au Gouvernement.
Je déploierai deux arguments pour expliquer en quoi il est important que la CMP soit conclusive.
Les EGA ont débuté en juillet 2017. Nous sommes en juillet 2018 et n'avons toujours apporté aucune réponse concrète aux difficultés du quotidien de nos paysans, au moment même où la politique agricole commune (PAC) est égratignée. Une nouvelle lecture en séance publique à l'Assemblée ne se ferait pas avant le mois de septembre, ce qui ferait perdre beaucoup de temps à nos exploitants. Un groupe de travail se réunira dans deux jours pour rédiger l'ordonnance prévue à l'article 15 ; je me demande sur quelle base le ministère se fondera pour rédiger cette ordonnance s'il n'y a pas d'accord aujourd'hui. Mon deuxième argument tient aux débats qui pourraient revenir en nouvelle lecture, notamment sur le glyphosate, au sein même de la majorité, ce dont elle se passerait bien. Je le dis avec d'autant plus de bienveillance que je n'appartiens pas à cette majorité...
Je souhaite donc demander aux rapporteurs les points sur lesquels nous sommes prêts à discuter concrètement. Les Républicains considèrent que sur le titre Ier, il est nécessaire de maintenir le texte en l'état car il assure une réelle avancée sur la construction du prix. Sur le titre II, sommes-nous en capacité d'avancer ? Je m'adresse au rapporteur de l'Assemblée nationale car notre collègue sénateur n'a pas eu de réponse sur ce point ; je relance donc la question.
À entendre les divergences pointées par les rapporteurs, il me semble que nous sommes d'accord sur près de 80 % du titre Ier et qu'il en est de même sur le titre II. Nous sommes également tous d'accord sur le calendrier, qui est contraint.
Je souhaite que nous entrions désormais dans le vif du sujet et que nous abordions les points de désaccord entre Sénat et Assemblée, en l'occurrence les articles 8, 9, 14 et 15.
J'apprécie la valeur ajoutée du texte adopté par le Sénat et je voudrais insister sur la nécessité d'aboutir à un texte aujourd'hui. Je suis, moi aussi, agriculteur avant d'être député et je pense que ce texte est attendu par bon nombre de nos agriculteurs et concitoyens.
Le pari du titre Ier était celui de la prise en main par la profession d'une forme d'autonomisation et de renforcement des filières. Même s'il est imparfait, le renversement de la construction du prix peut potentiellement avoir, à moyen terme, des effets très forts. La question est désormais celle de la fixation des indicateurs. Le point qui me gêne dans la version proposée par le Sénat tient au rôle donné à l'OFPM : j'ai moi-même évolué sur la question mais il faut faire attention à ne pas y recourir systématiquement faute d'accord. Sur le reste, nous pouvons trouver un accord.
Peut-être que le périmètre d'habilitation des ordonnances au sujet des coopératives est trop large - et que la carte blanche donnée au Gouvernement est trop blanche - mais il est, selon moi, nécessaire de revoir le fonctionnement de ces coopératives qui sont très diverses.
Sur le titre II, il faut que nous entendions la société dans laquelle nous vivons, même si elle a sa part d'excès. Alors que la quasi-totalité de la viande bovine vendue en grande surface est d'origine française, elle ne l'est pas dans la restauration collective. Il faut donc se ressaisir de ces débouchés locaux car une ferme française de 200 hectares ne sera jamais compétitive avec une ferme de 80 000 hectares située, par exemple, au Kazakhstan. Le texte de l'Assemblée me semble, de ce point de vue, intéressant. Je trouve également intéressante la proposition du Sénat concernant le fonds d'indemnisation des victimes.
Concernant les dispositions relatives à la séparation entre le conseil et la vente, aux remises, rabais et ristournes, je crois qu'il faut aller dans cette direction mais nous pouvons en discuter.
J'ai entendu notre collègue évoquer le fonds d'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. J'espère que ce fonds sera inscrit dans le texte de cette loi car il est attendu par les associations et les victimes elles-mêmes. Je suis l'auteure d'une proposition de loi sur ce sujet. Ce fonds prend en compte la réparation intégrale du dommage. Le ministre nous indique que le Gouvernement va agir dans le cadre des tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles. Il faut effectivement le faire. Madame Sophie Primas et moi-même avons remis un rapport en 2012 sur les pesticides et leurs conséquences sur la santé humaine. Nombre des recommandations de l'époque ont déjà été traduites dans la loi. Mais il faut maintenant mettre en oeuvre le fonds d'indemnisation. L'évolution des tableaux de reconnaissance ne suffira pas car il faut réparer les dommages. Une mission interministérielle a rendu un rapport en début d'année pour mesurer l'impact de ce fonds pour les bénéficiaires et la collectivité. Cette mission a jugé ce fonds parfaitement pertinent. J'appelle tous nos collègues ici à intégrer ce fonds dans le texte final de cette loi. Le Sénat a volontairement, par le biais d'un amendement, accepté de réduire le périmètre du fonds par rapport à ma proposition de loi pour qu'il ne concerne que les maladies professionnelles. C'est un effort important.
Je souhaite entrer dans le concret pour montrer la volonté d'avancer et de trouver un consensus tellement attendu par la profession. Je voudrais prendre l'exemple de l'article 8 car il a fait l'objet de discussions avec le rapporteur de l'Assemblée nationale.
Vous pouvez parler de l'article 8 si vous voulez, mais je souhaiterais que l'on commence par l'article 1er car j'ai compris qu'il y avait une ligne de divergence assez forte sur cet article.
La disposition en question à l'article 1er étant conforme, je ne vois pas comment la CMP pourrait décider de la modifier.
Elle le peut puisque l'article 1er n'est pas conforme.
Je vous propose donc, à l'article 8, de remplacer l'alinéa 2 par cinq alinéas afin de renforcer la lisibilité des informations contenues dans les documents transmis aux associés coopérateurs par l'organe chargé de l'administration de la coopérative ou adoptés en assemblée générale ; d'améliorer la lisibilité des modalités de détermination du prix et de la répartition des résultats de la coopérative ; de prévoir des modalités de sanction appropriée si les associés coopérateurs n'assurent pas l'application effective de ce principe de transparence ; d'assurer une meilleure coordination temporelle entre le contrat d'apport et le bulletin d'adhésion à la société coopérative agricole ; et de prévoir une proportionnalité entre les indemnités financières induites par le départ anticipé d'un associé coopérateur et les préjudices subis à la suite de ce départ par les autres associés coopérateurs. Vous voyez que cette rédaction rétablit strictement, en les précisant, les mesures déjà annoncées par le Gouvernement.
Sur le calendrier, je voudrais rassurer un peu tout le monde. Que cette CMP soit conclusive ou pas, ce projet de loi et les deux mesures emblématiques, que sont le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions, seront appliquées lors des prochaines négociations commerciales. J'ai obtenu cet engagement fort du Gouvernement et du Président de la République.
Sur l'article 8, je suis à peu près d'accord avec la proposition de rédaction de M. Gremillet. En tant qu'ancien président de coopérative, je connais bien les réalités de la vie des coopératives aujourd'hui. Ce n'est pas la menace d'une sanction qui doit retenir un agriculteur au sein de sa coopérative mais bien l'intérêt que cette coopérative lui apporte au niveau de la commercialisation de ses produits. Cela fonctionne déjà comme ça aujourd'hui dans les coopératives bovines et ovines. Le but de cet article 8 n'est pas de dénaturer l'esprit coopératif mais bien de rappeler à certaines coopératives ce qu'est l'esprit coopératif.
Sur l'article 1er, j'ai bien entendu ce que disait M. Daniel Gremillet, mais la validation des indicateurs par l'OFPM a été adoptée contre l'avis du rapporteur et du Gouvernement. Je pense que c'est vraiment une fausse bonne idée qui ne résout rien dans les faits et qui déresponsabilise les interprofessions. Nous avons déjà une forte incitation pour que ces indicateurs soient fournis par l'interprofession et ils seront rendus publics dès lors qu'il y aura eu un accord interprofessionnel. Nous avons supprimé la référence à des indicateurs spécialement construits par les parties car il faut empêcher des industriels de pouvoir construire leurs propres indicateurs qu'ils imposeraient à l'interprofession. Le renforcement de l'OFPM est déjà réel puisqu'il pourra être saisi pour donner son avis et apporter son appui technique pour l'élaboration de ces indicateurs. Il s'agit de faire confiance aux interprofessions et de ne pas les déresponsabiliser. Je suis bien davantage favorable à l'intervention du médiateur des relations commerciales pour aider les interprofessions à dégager un consensus. Je suis absolument persuadé du fait que demander à l'État de valider ces indicateurs ne changera rien. On retrouvera les problèmes de la négociation interprofessionnelle au moment de l'établissement du contrat car ces indicateurs pourraient ne pas être acceptés par l'un des deux contractants. Je crois bien davantage à un renforcement des pouvoirs du médiateur des relations commerciales, quitte à ce qu'il puisse saisir lui-même en référé le juge au moment des négociations commerciales.
J'aurais une question de forme et une question de fond concernant l'article 1er. Sur la forme et le respect du droit parlementaire, en quoi une CMP peut-elle revenir sur un article voté conforme par les deux assemblées ? Faut-il en conclure qu'il est possible de rediscuter l'ensemble des articles, y compris les articles conformes, ce qui élargirait considérablement le champ des discussions ? Sur le fond, le rapporteur a déjà apporté quelques éléments de réponses, mais sur la question de la construction des indicateurs, je souhaiterais savoir quelles seront les modifications apportées par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture par rapport au texte voté initialement par l'Assemblée, et celui amendé et amélioré par le Sénat.
Sur la forme, cela me semble clair. Il suffit de regarder le tableau comparatif qui vous a été remis, pour constater que l'article 1er voté par le Sénat n'est pas conforme dans son entièreté aux dispositions votées par l'Assemblée nationale, et reste donc ouvert à la discussion. Il ne peut y avoir de débat sur ce sujet, peut-être que certains d'entre vous le regrettent, mais cela relève de la Constitution, et nous sommes là pour l'appliquer. Sur le fond, je vais laisser le rapporteur répondre.
Concernant les indicateurs, je souhaite que le médiateur puisse intervenir au sein de l'interprofession pour faire aboutir les négociations et parvenir à un consensus. Ces indicateurs serviront ensuite à l'élaboration du contrat entre, d'une part, les agriculteurs ou les organisations de producteurs et, d'autre part, les premiers acheteurs. Cela correspond au mouvement de responsabilisation des interprofessions. C'est toute la philosophie des EGA, qui consiste à remettre autour de la table des gens qui ne se parlaient plus. L'État ne doit pas intervenir systématiquement, au risque d'être tenu responsable en cas de prix jugés insatisfaisants. Je peux vous dire qu'un certain nombre d'interprofessions ne souhaitent pas aller dans ce sens. J'ai notamment discuté avec la directrice du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) la semaine dernière. Au sein de cette interprofession, des indicateurs sont en train d'être établis, par l'institut de l'élevage notamment, et un accord sera probablement obtenu, même si cela n'est pas simple.
Nous avons consulté l'Autorité de la concurrence : une validation des indicateurs par les autorités publiques n'est pas possible car cela pourrait être assimilé à l'établissement d'un prix minimum. Du point de vue juridique, ce serait donc contraire au droit de la concurrence, et du point de vue technique, cela ne serait ni pertinent, ni efficace. Si l'État peut intervenir légitimement en coopération avec les interprofessions, il ne doit pas se substituer à ces dernières. Cette logique, qui a prévalu ces cinquante dernières années, a conduit à faire de l'État le responsable de toutes les difficultés. Dans un contexte où les rapports de force sont déséquilibrés, avec d'une part les organisations de producteurs, trop morcelées, et d'autre part les distributeurs et les industriels très concentrés, c'est au sein de ces interprofessions que les décisions pertinentes peuvent être prises. Imposer des indicateurs par l'État ne conduira pas à modifier ce rapport de force. Ce serait revenir à une logique d'économie administrée et, comme le montrent les exemples du passé, cela n'a jamais fonctionné.
Je voudrais appuyer les propos du rapporteur sur la validation des indicateurs de prix. Ce serait non seulement inefficace, mais également dangereux de l'inscrire dans la loi. En effet, cette base de négociation ne permettrait plus aux filières de s'accorder en fonction de leurs spécificités. Cela va à l'encontre de l'esprit général de la loi et de l'idée de départ, qui consiste à partir du prix du producteur.
Je souhaiterais aborder un point d'organisation. Soit la CMP est en mesure d'aboutir, et il faut se donner les moyens de conclure, soit il faut constater le désaccord.
Je constate en effet un désaccord important sur l'article 1er. La CMP ne sera donc pas conclusive. Nous sommes en train de faire fonctionner la démocratie. Cela fait partie de la parenthèse dans la navette législative que j'ai évoquée au début de cette réunion. Cela n'empêche pas de poursuivre le processus démocratique, et d'assurer que les prochaines négociations commerciales seront menées conformément à ces nouvelles règles.
Le Sénat ne se méprend pas sur l'article 1er. Nous précisons que la partie de cet article 1er qui est en cause ici est absolument conforme à ce qui a été voté par la majorité de l'Assemblée nationale. J'insiste, il s'agit de l'expression démocratique à la fois du Parlement et du Sénat, et le Sénat s'est interdit de modifier quoi que ce soit sur ce point. Ce texte provient du travail des EGA, et donc du temps consacré par les organisations professionnelles sur un sujet fondamental pour notre pays et nos territoires. Je vous rappellerai que les professionnels nous avaient unanimement demandé de ne pas toucher au texte tel que voté par l'Assemblée.
Monsieur le Président, vous clôturez cette CMP en constatant un désaccord sur la question des indicateurs et de la formation des prix, particulièrement attendue par la profession agricole. Mais, sur ce point, il n'y a pas de désaccord du Sénat par rapport au vote démocratique de l'Assemblée nationale. La volonté du Sénat était bien d'aboutir à une CMP conclusive.
Je salue les avancées portées par le Sénat, et je compte en reprendre un certain nombre qui me semblent particulièrement intéressantes. Toutefois, l'article 1er n'était pas le seul point d'achoppement, et nous aurions eu des désaccords sur le titre II, au sein duquel un certain nombre d'articles ont été supprimés.
Je trouve singulier que sur le titre Ier, soit pris en référence le texte de la commission des affaires économiques, alors que sur le titre II, il s'agit du texte voté en séance.
Nous nous quittons malheureusement sur l'échec de la CMP. Comme M. Daniel Gremillet l'a exprimé avec force, l'article 1er n'a pas été voté conforme dans sa totalité, mais les alinéas dont il est question l'ont été. Je considère que c'est un déni de démocratie, et je trouve que cela est très préjudiciable au monde agricole. Je remercie M. Jean-Baptiste Moreau de saluer le travail du Sénat, qui a oeuvré pour les agriculteurs et la société dans son ensemble. Le Sénat n'est pas éloigné des volontés et des évolutions de la société, comme l'a montré l'article adopté à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy portant sur le fonds d'indemnisation.
La commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.