Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 9 janvier 2008 à 21h45
Service public de l'emploi — Demande de renvoi à la commission

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est juste avant les vacances parlementaires que nous avons appris que ce texte, initialement programmé pour être étudié en première lecture à l'Assemblée nationale à la fin de l'année 2007, avait été transféré au Sénat, non sans précipitation d'ailleurs.

Avant de présenter cette motion tendant au renvoi à la commission, je voudrais souligner que c'est donc une fois de plus pendant les vacances parlementaires, pour l'essentiel, qu'il a fallu entendre les acteurs concernés. Je remercie d'ailleurs Mme le rapporteur d'avoir ouvert ces auditions à l'ensemble des sénateurs de la commission - de manière générale, il me semble toujours préférable de procéder ainsi -, mais en cette période où chacun est soumis à des contraintes, notre participation n'a pas été sans poser de réels problèmes d'organisation.

De même, c'est seulement hier matin que nous avons entendu Mme le rapporteur en commission et examiné ses propositions d'amendements. Quant à la version intégrale de son rapport, nous n'avons pu en prendre connaissance que ce matin, puisqu'elle a été « mise en ligne » hier soir, vers 22 heures 30. Nos amendements ont, pour leur part, été étudiés ce soir même par la commission, à partir de 20 heures 30, après les voeux présidentiels, ce qui, soit dit avec tout le respect que je porte tant au travail de Mme le rapporteur qu'à celui des administrateurs de la commission, que je tiens à saluer ici, ne crée pas les conditions d'un examen attentif et d'un débat approfondi.

Je signale, à ce sujet, que le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Balladur, propose que soit débattu en séance publique le texte tel qu'il est issu des travaux de la commission saisie, c'est-à-dire, essentiellement, le texte initial amendé par le rapporteur. Si cette proposition de réforme doit être retenue à l'occasion de la prochaine réforme institutionnelle, les pratiques actuelles devront changer ; il ne devra plus être possible d'étudier un texte en commission la veille de son examen en séance publique, voire quelques heures seulement avant celui-ci...

Cela étant dit, cette demande de renvoi à la commission est d'autant plus justifiée aux yeux du groupe socialiste que l'urgence a été déclarée dès le dépôt du projet de loi : il n'y aura donc qu'une seule lecture dans chaque assemblée avant la commission mixte paritaire et l'adoption définitive du texte.

Il en est d'ailleurs ainsi pour la plupart des textes devant être examinés par le Parlement au mois de janvier. Outre celui qui nous occupe aujourd'hui, je pense notamment aux projets de loi relatifs aux organismes génétiquement modifiés, d'une part, et au pouvoir d'achat, d'autre part.

Le texte relatif aux OGM a été de façon encore plus urgente retiré du circuit, et il reviendra au ministre concerné de s'en expliquer. Reste le projet de loi relatif au pouvoir d'achat, le seul texte pour lequel le recours à la procédure d'urgence pourrait être justifié, du fait de la dégradation des conditions de vie de nos concitoyens. Malheureusement, ce ne sont pas les mesures préconisées par le Gouvernement qui permettront d'apporter une réponse efficace ; nous en débattrons le 23 janvier prochain.

Si je m'exprime ainsi, c'est en référence à l'aveu d'incapacité du Président de la République qui, lors de sa conférence de presse d'hier matin, s'interrogeait en ces termes : « Qu'est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? » Il confirmait, par là même, des propos tenus naguère par son Premier ministre. Soit dit en passant, la majorité actuelle exerce le pouvoir depuis six ans.

Le Président de la République a poursuivi en demandant si l'on attendait de lui qu'il donne des ordres à des entreprises à qui il n'a pas d'ordres à donner. Cependant, vous et vos amis ne vous privez pas, madame la ministre, de donner des conseils péremptoires aux salariés. Enfin, si j'en crois la presse, il a posé la question suivante : « Vous croyez que le seul boulot d'un Président, c'est d'augmenter le SMIC ? » Il nous semble pourtant que cela relève de la responsabilité du gouvernement qu'il dirige de fait.

Le recours généralisé à l'urgence n'est pas respectueux de nos assemblées et encore moins des citoyens que nous représentons. En matière de réformes sociales, je ne pense pas que le recours à la déclaration d'urgence soit la meilleure voie. M. Raffarin a très justement dit un jour : « On ne réforme pas en klaxonnant. » Aujourd'hui, mes chers collègues, c'est toutes sirènes hurlantes que l'on prétend réformer, l'effet d'annonce tenant bien souvent lieu de raisonnement !

À cet égard, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse, pour rappeler que le volontarisme, aussi affirmé soit-il, ne suffit pas à résoudre un problème, et que la précipitation est souvent mauvaise conseillère. Je crois, madame la ministre, que vous devriez, comme certains de vos collègues du Gouvernement, tirer les leçons des mois passés, qui nous ont montré qu'à vouloir fabriquer des lois dans la hâte, on se trouve parfois obligé de les « détricoter » tout aussi rapidement, qu'à vouloir aller vite, trop vite, on fait parfois des erreurs d'appréciation, erreurs que nous laissons bien évidemment au Président de la République le soin d'évaluer !

Nous ne comprenons pas cette précipitation, moins de dix-huit mois après le vote de la loi relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, texte que M. Larcher, ici présent, avait défendu avec beaucoup d'énergie et dont nous avions longuement débattu.

Il ne faut pas oublier que de nombreuses évolutions sont déjà intervenues dans ce domaine sous la dernière législature, qu'il s'agisse du contrôle accru des chômeurs et de l'aggravation des sanctions, de l'intervention d'agences de placement privées ou de la création des maisons de l'emploi, et que de nombreux rapprochements ont déjà eu lieu entre l'ANPE et les ASSEDIC, notamment grâce à la mise en place du dossier unique du demandeur d'emploi, à l'installation de 220 guichets uniques auxquels l'inscription peut être réalisée par un conseiller de l'ANPE ou des ASSEDIC, ainsi qu'à la création d'un groupement d'intérêt économique pour intégrer les services informatiques.

Sans qu'il soit besoin de procéder à une fusion juridique, le rapprochement opérationnel de l'ANPE et des ASSEDIC est donc déjà aujourd'hui une réalité en marche. Nous ne contestons d'ailleurs pas cette volonté de mettre en place des guichets uniques, c'est-à-dire des lieux d'accueil dans lesquels les demandeurs d'emploi peuvent effectuer l'ensemble des démarches relatives à leur recherche d'emploi, à leur formation, à leur indemnisation, etc.

Cela étant, madame la ministre, il n'y a pas d'urgence à voter ce texte avant la fin du mois de janvier. Que je sache, la nouvelle institution que vous entendez créer ne doit pas être mise en place de façon impérative le 1er mars prochain.

En revanche, il est nécessaire d'approfondir le contenu du texte. À cet effet, nous demandons le renvoi de ce dernier à la commission, car il apparaît que le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui est largement inabouti.

La concertation préalable a bien eu lieu, certes, mais l'unique consultation du comité supérieur de l'emploi n'a pas permis de résoudre toutes les questions techniques induites par la fusion envisagée entre l'ANPE et les ASSEDIC. Toutes les organisations syndicales ont fait état devant nous du « calendrier abominable » qui leur a été imposé ; bien que n'ayant pas demandé la fusion, elles ont joué le jeu de la concertation, mais force est de constater que leur inquiétude ne fait que croître, eu égard au manque de réponses concrètes à leurs préoccupations.

Cette fusion n'est pas aussi simplificatrice que vous le dites, madame la ministre. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires sociales, qui a été chargée de recenser les questions techniques liées au projet de fusion. Cependant, elle doit remettre ses conclusions à la fin du mois de janvier, c'est-à-dire après l'adoption du présent texte par le Parlement. Il me semble pourtant que les conclusions de ce rapport seraient très utiles au Parlement pour apprécier plus justement les incidences et les implications de la réforme.

Une autre proposition du comité présidé par M. Balladur vise d'ailleurs à imposer la réalisation d'études d'impact préalablement au dépôt des projets de loi, préconisation que, pour l'heure, le Gouvernement ne suit pas.

Or il me semble que certains sujets, tel celui qui nous occupe aujourd'hui, se prêtent particulièrement bien à une telle démarche : il s'agit tout de même de modifier des institutions qui emploient plus de 40 000 salariés et qui reçoivent chaque année plusieurs millions de personnes à la recherche d'un emploi. La véritable question que nous devons nous poser en abordant l'examen de ce texte, c'est de savoir s'il va contribuer à améliorer la situation des demandeurs d'emploi. En quoi est-il une pièce importante du dispositif de transformation de la politique sociale ? En résumé, quelle est la « plus-value » qu'il apporte par rapport au système actuel ? Nous l'ignorons, et nous n'avons toujours pas obtenu de réponse sur ce point pour l'instant.

Quant aux questions ayant trait au personnel, nous ne pouvons pas nous contenter de vos déclarations, madame la ministre. Vous êtes de bonne volonté, mais elles demeurent imprécises. « On prendra le meilleur des deux statuts », dites-vous. Or les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont montré à quel point les particularités des deux statuts ne pouvaient être « mixées » simplement, qu'il s'agisse des salaires et des autres éléments de rémunération, de la protection sociale, des retraites, des oeuvres sociales ou encore des règles de représentation du personnel. Ce sont autant de sujets qui méritent d'être approfondis avant le vote du texte, ne serait-ce que pour apaiser les inquiétudes des agents des deux institutions, qui ont encore manifesté hier devant le Sénat. Il me semble qu'une telle fusion, si elle doit intervenir, aurait dû être précédée, pour le moins, de l'information du Parlement sur tous ces éléments.

En outre, une mission d'évaluation, conduite par notre collègue député Jean-Paul Anciaux, président de la Commission nationale de labellisation des maisons de l'emploi, devrait rendre son rapport définitif au mois d'avril. Or les conclusions de ce rapport nous seraient elles aussi très utiles pour nous déterminer, tant vos propos sur l'avenir des maisons de l'emploi nourrissent nos inquiétudes.

En effet, un an et demi après leur lancement, ces maisons de l'emploi ne sont apparemment plus une priorité pour le Gouvernement ; vous vous êtes d'ailleurs prononcée pour le gel de leur mise en place. Voyant fonctionner une maison de l'emploi et de la formation dans la communauté urbaine de Cherbourg depuis une dizaine d'années - nous avons innové en la matière -, je ne puis que m'étonner d'une telle attitude, l'utilité et l'efficacité de ces structures n'étant plus à démontrer. Les collectivités territoriales sont d'autant plus inquiètes qu'elles sont écartées de l'économie globale du projet de loi, alors que leur rôle en matière d'emploi, d'insertion, de formation professionnelle et de développement économique est de plus en plus important. Madame la ministre, pourquoi les collectivités locales sont-elles ignorées par le texte ? Qu'est-ce que cela signifie ?

D'autres incertitudes auraient également mérité d'être levées avant l'examen du présent projet de loi au Parlement, pour que l'on y voie plus clair dans cette fusion. En effet, la convention tripartite ANPE-UNEDIC-État n'étant pas allée à son terme et les négociations sur la modernisation de l'emploi étant tout juste engagées, les objectifs et l'organisation de l'opérateur unique ne sont pas encore, bien évidemment, tout à fait définis.

Ainsi, la précipitation avec laquelle vous voulez faire adopter ce texte vous oblige à prévoir une instance provisoire chargée de préparer la mise en place de la nouvelle institution : d'ailleurs, si son nom n'est toujours pas connu, il semble que celui de son futur directeur le soit déjà, si l'on en croit de nombreux bruits. Pourtant, il devrait revenir au conseil d'administration de l'institution, à mon sens, de proposer son candidat au poste de directeur général.

Il nous semble surtout qu'il eût été préférable de se mettre d'accord sur le contenu avant la mise en place de l'outil. Certes, on parle de guichet unique pour accueillir les demandeurs d'emploi, mais, dans ce texte, rien n'est précisé sur le type d'accueil qui devrait être mis en place pour des publics très divers. Vous avez seulement indiqué que l'objectif était de parvenir à un ratio de un référent pour trente demandeurs d'emploi issus des catégories les plus éloignées de l'emploi, chiffre auxquels les personnels concernés ne croient absolument pas, sauf à créer des milliers de postes, ce qui n'est certainement pas dans vos intentions.

Il n'y a rien non plus, dans le projet de loi, sur les actions à conduire, notamment en matière de formation : l'Association pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, est la grande oubliée du texte.

Le projet de loi n'est guère plus explicite sur l'organisation au sein des territoires : la déclinaison régionale de la nouvelle institution est des plus floues.

Or ce sont là des paramètres importants pour s'assurer de la réussite de cette réforme et de ses conséquences positives sur l'emploi.

D'autres dossiers auront également un impact sur la politique du futur organisme, notamment les négociations entre l'État et les partenaires sociaux relatives au contrat de travail, à la sécurisation des parcours professionnels, à l'indemnisation du chômage et à la réforme de la formation professionnelle continue, ou bien encore le « Grenelle de l'insertion ». Tous ces sujets auront des répercussions sur les missions et sur le travail des agents de la future institution.

Pour l'instant, ce texte n'est qu'une opération de communication qui permettra bien évidemment à l'exécutif, dans une période sensible, de déclarer qu'il a accompli la réforme du service public de l'emploi, alors que nous en sommes en fait très loin.

Ce n'est pas une réforme institutionnelle qui permettra de faire baisser le chômage, comme le Gouvernement tente de s'en convaincre, ou qui pourra remplacer la mise en oeuvre d'une politique économique à même de susciter la croissance et des créations d'emplois. Les Français en font l'amère expérience. Dans un contexte plus que morose, la politique à sens unique du Gouvernement montre ses limites. Les sondages qui reflètent les désillusions de nos concitoyens devraient vous inciter à changer de cap, madame la ministre. Malheureusement, je crains qu'il n'en soit rien, particulièrement après avoir entendu les propos tenus hier matin par le Président de la République.

Nous craignons que la vision gouvernementale de la fusion ne soit en fait le moyen de réaliser de nouvelles économies sur le dos des agents et des demandeurs d'emploi. Ces craintes ont été renforcées après l'annonce par le Président de la République de la prochaine mise en place de sanctions à l'encontre des demandeurs d'emploi qui refuseraient deux offres d'emploi « acceptables ».

Madame la ministre, pourriez-vous définir très clairement la différence entre une offre « valable », concept connu depuis 1934, et une offre « acceptable », nouvelle notion présidentielle ?

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, mes chers collègues, de renvoyer ce texte à la commission. Il est véritablement nécessaire d'approfondir notre travail et d'explorer toutes les dimensions de la réforme proposée.

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