Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 20 janvier 2009 à 16h00
Abrogation de la loi instituant un droit d'accueil à l'école — Adoption des conclusions du rapport d'une commission rejetant une proposition de loi

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

… car, à mon sens, les difficultés rencontrées découlent bien des dispositions de la loi.

De fait, les maires sont confrontés à plusieurs écueils.

Tout d’abord, la loi précise que « le maire établit une liste des personnes susceptibles d’assurer le service d’accueil prévu à l’article L. 133-4 du code de l’éducation en veillant à ce qu’elles possèdent les qualités nécessaires pour accueillir et encadrer des enfants ». Traduire concrètement cette notion vague de « qualités nécessaires », qui n’est nullement explicitée dans la loi, constitue un véritable casse-tête. Avec qui et comment constituer une telle liste en l’absence de toute recommandation ? Comment en assurer la permanence, la viabilité et la réactivité, y compris dans le temps ?

L’émoi des maires est d’autant plus grand qu’il s’agit d’assurer un service en toute sécurité, pour des enfants très jeunes, âgés de deux à dix ans, alors même que, par ailleurs, l’éducation nationale soumet les personnels travaillant auprès des enfants à des obligations de qualifications très strictes. Je pense aux enseignants et aux personnels des établissements scolaires, qui doivent notamment recevoir un enseignement des règles générales de sécurité, une formation les sensibilisant à la prévention des risques et aux missions des services de secours ; aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui doivent notamment être titulaires du CAP petite enfance ; aux animateurs des centres aérés, qui doivent être détenteurs du BAFA ; aux assistantes maternelles, qui doivent obtenir un agrément de la DDASS et suivre ensuite une formation abordant notamment les règles d’hygiène et de sécurité.

On sait que, lorsqu’une école organise le déplacement d’un groupe d’enfants, des contraintes considérables sont imposées en matière de taux d’encadrement et de qualification professionnelle des encadrants.

Comment demander à un maire d’oublier le respect de ces réglementations qu’on exige par ailleurs de lui ?

C’est si vrai que le Président de la République lui-même, toujours lors de son discours au dernier congrès des maires de France, a implicitement reconnu que le BAFA était le minimum requis, alors que la loi n’y fait absolument pas mention.

L’appréciation des « qualités nécessaires » relève donc du seul jugement du maire, ce que n’a d’ailleurs pas démenti la circulaire du 26 août 2008 publiée par le ministère de l’éducation nationale.

Or, si le maire a recours à une personne se révélant au final incompétente, causant par exemple un accident, seule la responsabilité pénale du maire sera recherchée. Certes, l’article L. 133-9 du code de l’éducation prévoit que l’État lui accorde sa protection, mais celle-ci correspond uniquement à la prise en charge des frais judiciaires et ne couvre pas le risque de poursuites pénales.

L’inquiétude des maires porte également sur le taux d’encadrement.

Votre argument, monsieur le rapporteur, selon lequel, pour le mode d’accueil de mineurs n’excédant pas quatorze jours par an, il n’y a aucune obligation en termes de qualification des personnels ou de taux d’encadrement, n’est pour les maires ni satisfaisant ni rassurant.

J’observe que, si nous nous sommes heurtés à un refus de fixer dans la loi un taux d’encadrement garant de la sécurité des enfants, il n’en a pas été de même pour le calcul de la contribution financière, puisqu’un décret fixe, à titre indicatif, le taux d’encadrement régissant cette contribution à un adulte pour quinze enfants.

La prétendue latitude laissée au maire est un prétexte bien commode. Il permet de laisser croire aux parents que le Gouvernement a créé à leur intention un nouveau droit, alors que simultanément il poursuit la réduction des moyens accordés à l’école.

Quant à la procédure permettant de constituer le vivier des personnels susceptibles d’assurer ce service d’accueil, la loi prévoit que l’identification de ces personnes relève de la seule compétence du maire. Le maire peut bien sûr faire appel à son personnel communal ; encore faut-il que celui-ci soit en nombre suffisant !

Pour les communes de petites tailles, notamment rurales, il suffit, on le sait, qu’un enseignant soit en grève pour que le seuil des 25 % déclenchant ce service soit atteint. Pour les maires de ces communes, répondre à l’obligation d’offrir un service d’accueil est donc impossible, faute de personnels.

Mais la problématique s’avère finalement être la même pour des grandes villes. Dans les communes à très forte densité, où le nombre d’écoles, et donc d’élèves, est élevé, le nombre de personnels communaux potentiellement mobilisables sera également insuffisant.

À Lyon par exemple, le tribunal administratif, qui avait été saisi par le préfet, a donné raison à la commune, estimant que, si elle n’était pas parvenue à organiser le service d’accueil, elle avait fait « le nécessaire pour s’acquitter de ses obligations légales ».

Dans le cas de Paris, si le tribunal administratif saisi en référé par le préfet a sommé le maire d’appliquer le service minimum, le jugement au fond pourrait bien être différent. Selon Le Parisien, lors de l’audience au fond de vendredi dernier, la commissaire du gouvernement a listé les failles de cette loi – choix des personnes pour garder les enfants, absence de taux d’encadrement, … – estimant, et je cite l’article en question, qu’« il est impensable que les maires puissent faire appel à des gens non qualifiés ». La magistrate a enfin conclu que la loi était « inapplicable dans de bonnes conditions dans les grandes et les petites communes. »

La réaction des maires est donc légitime. Sans compter qu’affecter des agents communaux au service minimum d’accueil risque d’entraîner un autre désordre, celui de conduire à privilégier la continuité d’un service public au détriment d’un autre, ce dernier étant ainsi vidé de son personnel. À cet égard, je rappelle que le maire ne peut réquisitionner ces personnels et que ceux-ci disposent aussi du droit de grève.

À défaut, les maires sont donc contraints de se tourner vers des personnels non communaux. Sont concernés au premier chef les maires ruraux, dont le rapport souligne les difficultés et l’absence de moyens.

Que devront faire les maires pour recruter ces personnes ? Faudra-t-il arriver à la situation absurde, dénoncée par le maire de Champs-sur-Marne, consistant à afficher sur les portes de toutes les écoles un courrier destiné aux parents d’élèves les invitant à participer à la constitution dudit vivier ?

M. le rapporteur invoque, quant à lui, la nécessité de renforcer « l’accompagnement de l’État », réclamant notamment l’implication des services de l’éducation nationale dans la constitution des « listes-viviers ». C’est sans doute ce à quoi fait écho le courrier de l’inspecteur d’académie de Loire-Atlantique adressé en début d’année aux professeurs du premier degré partis à la retraite ces trois dernières années, les invitant à participer à l’organisation du service d’accueil de leur commune ou d’une autre commune.

Quel paradoxe quand on sait que ce service d’accueil a été instauré par le Gouvernement dans la probabilité de conflits qui l’opposeraient à ses fonctionnaires, conflits qui découlent pour une grande part de la dégradation des conditions du bon exercice du service public de l’éducation !

J’en viens à une autre difficulté.

Au-delà même de la constitution du vivier en amont, le délai dont dispose le maire pour organiser ledit service d’accueil et prévenir les parents des modalités de sa mise en œuvre lorsqu’un conflit social surgit, soit quarante-huit heures, est très bref. De fait, ce temps imparti de quarante-huit heures ne permet pas au maire de faire toutes les vérifications indispensables : disponibilité des personnes sur la liste au moment requis, évolution de leur situation personnelle et professionnelle...

Par ailleurs, aucune disposition de la loi ne prévoit à quelle date cette liste doit être établie, si elle doit être révisée et, dans l’affirmative, sous quel délai cette révision doit avoir lieu. On peut déduire de ce mutisme qu’une fois établie cette liste deviendra définitive.

J’ai bien noté la recommandation de M. le rapporteur et sa préconisation faite aux communes de préparer leur liste « bien avant le déclenchement des conflits sociaux ». Mais rien ne prouve qu’à la date de la grève les personnes inscrites sur la liste-vivier seront toujours d’accord pour assurer le service d’accueil, qu’elles seront disponibles ce jour-là, qu’elles ne seront pas elles-mêmes en grève et qu’elles présenteront toujours les « qualités nécessaires » pour accueillir et encadrer les enfants.

Nous sommes donc en présence d’une loi aux contours manifestement imprécis. Ces imprécisions, à elles seules, en justifieraient l’abrogation.

Plus grave encore, cette loi a été instituée au motif de créer un nouveau droit pour les parents en instaurant ce service d’accueil. C’est ce qu’a souligné en ces termes le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2008 : « Considérant qu’en instituant un droit d’accueil des enfants scolarisés dans les écoles maternelles ou élémentaires publiques ou privées sous contrat, le législateur a entendu créer un service public ; que, si ce dernier est distinct du service public de l’enseignement, il lui est directement associé et contribue à sa continuité (...) ».

C’est précisément au regard de cette ambition que la loi révèle des lacunes quant aux obligations inhérentes à un véritable service public, à savoir l’égal accès de tous les élèves sur l’ensemble du territoire et leur égalité de traitement.

Ainsi, on peut considérer que cette loi porte en elle un caractère discriminatoire.

S’agissant des enfants handicapés, cette loi ne prévoit aucune condition minimale de qualification des personnels. Elle exclut ainsi de fait les enfants handicapés du dispositif, dispositif qui, je le rappelle, est non seulement prévu en temps de grève, mais aussi en cas d’absence imprévisible et d’indisponibilité des enseignants.

La remarque vaut tout autant pour les enfants scolarisés en milieu prioritaire. Une nouvelle fois, ni la loi ni la circulaire du 26 août 2008 n’apportent de réponse à cette question pourtant essentielle de l’accueil d’enfants nécessitant un encadrement renforcé et spécifique.

Un véritable service public ne peut pas reposer sur la singularité de moyens locaux plus ou moins importants. Il doit se fonder sur la mise en commun de moyens permettant une péréquation, qui est seule de nature à garantir un accès à tous et sur l’ensemble du territoire. Nous en sommes loin !

J’ajoute que le fait de ne pas exiger le recrutement de personnels qualifiés, explicitement liés au service public de l’éducation, fait sortir ce service d’accueil du champ de l’éducation nationale et de la sécurité minimale due aux enfants et à leurs familles.

L’ensemble des dispositions contenues dans cette loi et sa philosophie posent encore plus de problèmes si l’on se réfère à la Convention internationale des droits de l’enfant, qui a été adoptée par l’assemblée générale des Nations unies en novembre 1989 et qui est entrée en vigueur en France en septembre 1990.

En effet, selon son article 3, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Cet article dispose également : « Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».

Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter en faveur de l’abrogation de cette loi.

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