Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 20 janvier 2009 à 16h00
Exécution des décisions de justice — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées, que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, a une histoire ancienne.

En 2007, j’avais présenté une première proposition de loi concernant exclusivement les frais de l’exécution forcée des décisions de justice. Elle répondait d’ailleurs à une précédente question écrite du président de la commission des lois.

Par la suite, après le dépôt du rapport de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard et après avoir rencontré les représentants de différentes professions juridiques et judiciaires concernées, j’ai été conduit à déposer une seconde proposition de loi reprenant et complétant la réforme que j’avais initialement proposée.

Les vingt-six articles de la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice des professions réglementées ont assurément des objets divers.

Ces articles répondent cependant à trois objectifs clairs, qui me semblent pouvoir être partagés par tous ici. Il s’agit, tout d’abord, d’améliorer l’exécution des décisions de justice. Il s’agit, ensuite, de redéfinir l’organisation des compétences des juridictions pour en simplifier le travail. Il s’agit, enfin, de rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées.

Comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, l’exécution des décisions de justice fait partie intégrante du droit à un procès équitable reconnu par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En quoi, mes chers collègues, serait équitable un procès irréprochable quant au respect des droits de chacune des parties, à l’indépendance absolue du juge, si la juste sentence rendue par cette juridiction sans reproche reste lettre morte ?

Le praticien que j’ai été pendant trente ans a pu se rendre compte combien était insupportable la situation d’un justiciable qui a obtenu de légitimes dommages et intérêts et qui ne peut pas accéder à son indemnisation.

Plusieurs dispositions de la proposition de loi sont destinées à améliorer l’exécution des décisions civiles.

La première donne au juge, saisi d’un litige en droit de la consommation, la faculté de mettre à la charge du débiteur qui refuse de s’acquitter spontanément de sa dette, s’il s’agit d’un professionnel, l’intégralité des frais de l’exécution forcée.

Une partie des frais d’huissier est en effet actuellement à la charge du créancier – cela n’a pas toujours été vrai –, ce qui s’avère dissuasif pour celui qui doit recouvrer une créance d’un faible montant. Bien souvent, les professionnels, qui sont parfaitement solvables, profitent de ces dispositions pour refuser de payer en comptant sur le découragement de leur adversaire. Les dispositions proposées devraient les inciter à s’acquitter spontanément de leur dette.

La proposition de loi permet ensuite aux huissiers de justice, pour l’accomplissement de leurs seules missions de signification, d’accéder aux dispositions d’appel et aux boîtes à lettres particulières des immeubles à usage d’habitation. Là aussi, le praticien que je suis pourrait vous donner de multiples exemples qui se sont avérés catastrophiques pour un certain nombre de justiciables.

La signification d’une décision de justice constitue en effet la condition permettant au créancier d’en poursuivre l’exécution forcée, le point de départ du délai d’appel contre la décision et une modalité d’information du débiteur sur les voies de recours dont il dispose. Il paraît donc essentiel que les huissiers de justice puissent s’acquitter effectivement de cette mission.

Je dois vous préciser que le Sénat avait déjà voté des dispositions analogues lors de l’examen du texte qui est devenu la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Mais le Conseil constitutionnel les avait censurées au motif qu’elles étaient dépourvues de tout lien avec cette réforme.

La proposition de loi améliore également l’accès des huissiers de justice aux informations nécessaires à l’exécution des titres exécutoires – décisions de justice et actes notariés, essentiellement – en supprimant le filtre actuel du procureur de la République.

Ces informations portent sur l’adresse du débiteur, celle de son employeur et les organismes auprès desquels un compte est ouvert au nom du débiteur, à l’exclusion de tout autre renseignement.

Le filtre du procureur de la République alourdit la tâche des magistrats du parquet, ralentit l’exécution des titres exécutoires et ne paraît pas indispensable, compte tenu du caractère limité du contrôle opéré par l’autorité judiciaire et de la qualité d’officier public et ministériel de l’huissier de justice. De plus, cette disposition n’est pas appliquée dans tous les cas, puisqu’un certain nombre de mesures dispense de ce filtre dans divers domaines.

La proposition de loi prévoit, en outre, la ratification de l’ordonnance du 21 avril 2006 réformant la saisie immobilière, qui a permis de moderniser une procédure, jusque-là très particulière, dont la lenteur, la complexité et le coût étaient unanimement dénoncés.

Enfin, elle permet au procureur de la République de requérir directement la force publique pour faire exécuter les décisions de justice rendues sur le fondement des instruments internationaux et communautaires relatives au déplacement illicite international d’enfants, en particulier de la convention de La Haye de 1980.

On recense, chaque année, entre 250 et 300 affaires de déplacements illicites internationaux d’enfants, dont une centaine concerne des enlèvements d’enfants de l’étranger vers la France.

Majoritairement requérante dans le traitement de ces affaires, la France ne saurait exiger des autres États l’exécution des décisions de retour d’enfants sur son territoire si elle n’assure pas elle-même l’exécution de ses propres décisions.

Si elle doit constituer un ultime recours, l’intervention de la force publique peut apparaître nécessaire dans certaines circonstances, à condition d’être vigilant quant aux modalités selon lesquelles elle s’exerce. À cet égard, il paraît singulier qu’en matière civile le procureur de la République soit tenu de passer par l’intermédiaire du préfet, alors qu’il peut directement requérir la force publique pour l’exécution d’une décision pénale. Les dispositions proposées comblent cette lacune et unifient notre droit.

La redéfinition de l’organisation et des compétences des juridictions constitue le deuxième axe de réforme de la proposition de loi.

Les dispositions proposées reprennent toutes des recommandations de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard, qui m’ont paru pertinentes et, surtout, consensuelles, notamment auprès des professionnels et des associations de consommateurs.

Elles prévoient de regrouper le contentieux de l’exécution mobilière devant le juge de l’exécution du tribunal d’instance, qui deviendrait également compétent en matière de surendettement et de rétablissement personnel, et le contentieux de l’exécution immobilière ou quasi immobilière devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance, ce dernier devant nécessairement, aux termes du texte que j’avais proposé, être un juge de l’exécution du tribunal d’instance. La commission reviendra sur cette mesure qui me paraissait souhaitable. J’avoue ne pas y voir d’inconvénient majeur.

Il est également prévu de transférer aux huissiers de justice la compétence actuellement dévolue aux greffiers en chef des tribunaux d’instance pour la mise en œuvre, généralement à la demande de ceux qui prétendent avoir une vocation successorale, des mesures conservatoires après un décès, telles que l’apposition des scellés.

Ces dispositions prévoient, en outre, de conférer au notaire une compétence exclusive pour le recueil du consentement des membres d’un couple désirant bénéficier d’une procréation médicalement assistée avec recours aux gamètes d’un tiers, alors que cette compétence est actuellement partagée avec le président du tribunal de grande instance ou son délégué.

Il s’agit, enfin, de décharger les greffiers en chef des tribunaux d’instance de leur tâche de recueil du consentement à l’adoption, qu’ils partagent actuellement avec les notaires, les agents diplomatiques ou consulaires français et les services de l’aide sociale à l’enfance, étant précisé que le tarif actuel des notaires est d’un peu plus de 25 euros.

La commission des lois a repris toutes ces dispositions, à l’exception de celle qui prévoyait la déjudiciarisation du recueil du consentement à une procréation médicalement assistée.

J’en suis quelque peu surpris, car le rôle du juge se borne à informer les membres du couple des conséquences de leur décision, alors qu’en matière d’accueil d’embryon ou de don d’organe, par exemple, il est chargé de délivrer une autorisation.

Il me semblait donc possible de tirer la conséquence de cette différence. Toutefois, je prends acte de la décision de la commission. Pour ma part, c’est un point de divergence – il en fallait bien un ! – avec la commission et son rapporteur.

Enfin, après en avoir discuté avec leurs représentants, il m’a paru nécessaire de rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées, en prévoyant : de renforcer la valeur probante des constats établis par les huissiers de justice, commis par justice ou à la requête de particuliers ; de soumettre les huissiers de justice et les notaires en exercice à une obligation de formation continue, qui s’impose déjà aux avocats ; de donner aux huissiers de justice et aux greffiers des tribunaux de commerce la possibilité, déjà reconnue aux notaires, d’exercer leur profession en qualité de salariés ; de permettre aux greffiers des tribunaux de commerce de créer des sociétés de participations financières de professions libérales, c’est-à-dire des de sociétés d’exercice libéral ; de consacrer la possibilité, pour les huissiers de justice et les notaires, de constituer des syndicats professionnels et, pour ces derniers, de participer aux négociations collectives avec les organisations représentatives des personnels des études, conformément à une jurisprudence du Conseil d’État qui date de 2005 ; enfin, de réformer le régime disciplinaire applicable aux huissiers de justice sur le modèle des dispositions prévues en 2004 pour les notaires.

Le champ de cette énumération peut paraître assez vaste. Il est vrai qu’à partir de quelques articles, cette proposition de loi a eu tendance à faire en quelque sorte « boule de neige ». Il s’agissait, avant tout, de répondre aux demandes des professions concernées et de s’adapter aux évolutions de la société, comme à la réforme de la carte judiciaire.

Je me réjouis que la commission des lois les ait non seulement reprises mais aussi étendues, notamment aux commissaires-priseurs judiciaires, et j’approuve les aménagements dont elles ont fait l’objet.

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