Intervention de Jacques Pelletier

Réunion du 22 mars 2005 à 16h00
Mesures européennes de lutte contre le terrorisme — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Jacques PelletierJacques Pelletier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 11 mars 2004, dix bombes explosent à Madrid, tuant 191 personnes et en blessant plus de 1 900. L'Espagne est ainsi frappée de la façon la plus violente par des attentats terroristes, et l'Union européenne est, pour la première fois, directement visée sur son territoire par la nébuleuse terroriste internationale Al-Qaida.

Deux semaines plus tard, les 25 et 26 mars 2004, l'Union européenne, par l'intermédiaire du Conseil européen, décide de compléter le plan d'action du 21 septembre 2001, celui-là même qui avait suivi les attentats de New York.

II y a donc tout juste un an, l'Union européenne réorientait la lutte contre le terrorisme autour de sept objectifs majeurs, parmi lesquels figure le renforcement de la coordination entre ces mêmes Etats.

Il fut également question de mettre sur pied une sorte de « CIA européenne », regroupant des agents des services de renseignement des Vingt-cinq, détachés à Bruxelles pour analyser la menace, conseiller les Etats et déclencher des opérations communes.

Cette idée a priori pertinente ne fut pas retenue. Peut-être, monsieur le ministre, pourrez-vous nous en indiquer les raisons ?

En revanche, une innovation institutionnelle de l'Union européenne fit son apparition après les attentats de Madrid : le « coordonnateur européen de lutte antiterroriste ». Le poste a été confié au hollandais Gijs de Vries, qui est chargé de coordonner la lutte antiterroriste au niveau européen et de rappeler à l'ordre les Etats membres lorsqu'ils n'ont pas transposé les directives européennes sur le sujet.

Toutefois, malgré les promesses politiques de « l'après 11 mars », il faut bien reconnaître que les Etats membres n'ont accordé à ce « Monsieur terrorisme » qu'un pouvoir symbolique puisque ses rapports sont rédigés presque uniquement à partir des informations que les Etats veulent bien lui confier. Et, du propre aveu du coordonnateur, « le principal axe de défense en Europe face au terrorisme se situe au niveau des gouvernements nationaux ».

Par conséquent, en matière de lutte contre le terrorisme au niveau européen, le bilatéral demeure le cadre privilégié de l'échange et l'unilatéral, la meilleure protection.

Dans ces conditions, il apparaît très nettement qu'une réelle politique européenne de prévention et de lutte contre le terrorisme reste à bâtir. C'est probablement là un des chantiers européens les plus urgents ! C'est pourquoi il nous faut remercier le président Hubert Haenel d'avoir posé cette question aujourd'hui.

Où en est-on réellement de l'élaboration de cette politique antiterroriste européenne ? Comment la rendre plus efficace ? Comment développer de véritables outils de coopération ?

En effet, à l'exception du mandat d'arrêt européen, dont l'entrée en vigueur a été reportée dans l'attente de son adoption par l'Italie, les démocraties européennes ne disposent pas d'outils juridiques véritablement efficaces, et surtout à la hauteur de l'enjeu de la lutte antiterroriste.

Toute politique globale et européenne de lutte contre le terrorisme doit contenir deux volets.

Le premier, en amont, consiste à développer des mesures de prévention et de dissuasion.

Le second, indissociable du premier, car complémentaire, repose sur une plus grande répression, par l'adaptation de nos législations pénales aux enjeux nés des nouvelles menaces terroristes.

En matière préventive, je m'inscris dans la stratégie exposée il y a quelques jours à Madrid par le chef du gouvernement espagnol et le secrétaire général des Nations unies, lors de la conférence qui a réuni des experts et des dirigeants de cinquante-deux pays.

A cette occasion, M. José Luis Zapatero a proposé la création d'un fonds international pour aider à lutter contre le terrorisme les Etats à faibles ressources qui servent de refuge aux extrémistes.

Cette idée était également présente dans la stratégie globale présentée par M. Kofi Annan, qui souhaite dissuader les groupes de mécontents de choisir le terrorisme pour atteindre leurs objectifs, leur rendre difficile l'accès aux moyens nécessaires pour opérer leurs attentats, convaincre les Etats qui soutiennent ces terroristes de ne pas les aider, développer la capacité des Etats pour prévenir le terrorisme et défendre les droits de l'homme.

L'ensemble de ces objectifs doivent être partagés par tous les Etats membres de l'Union et par l'Union elle-même.

Evidemment, au-delà des objectifs, tous doivent se donner les moyens nécessaires pour mener à bien cette politique et entreprendre une réelle démarche de coopération et de mise en commun des informations ce qui, hélas, reste encore à faire !

En matière pénale, et puisque le coordonnateur européen de la lutte antiterroriste reconnaît lui-même que les principaux outils se situent « au niveau des gouvernements nationaux », il apparaît nécessaire de renforcer, sur le plan national, notre arsenal législatif, pour mieux protéger nos concitoyens, en attendant la mise en place d'une législation européenne.

Mon collègue Aymeri de Montesquiou et moi-même plaidons en faveur d'une réponse pénale spécifique face aux actions et crimes terroristes.

Nous estimons indispensable de doter notre droit pénal d'instruments appropriés pour permettre une meilleure répression des actes de terrorisme, répression dont la dimension dissuasive serait, de cette façon, elle aussi renforcée.

La gravité de ces actes, d'une part, et le profil particulier de leurs auteurs, d'autre part, impliquent une réplique législative et pénale adaptée qui rende imprescriptibles les crimes de terrorisme et incompressibles les peines prononcées contre leurs auteurs.

Cette dernière disposition, l'incompressibilité des peines, me semble, monsieur le ministre, une bien meilleure réplique judiciaire que le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs d'actes terroristes particulièrement graves.

Or, mes chers collègues, vous savez que certains préconisent ce rétablissement, proposition réapparaissant, du reste, à chaque nouvel attentat. Pour ma part, je considère que cette suggestion est inacceptable, et j'ai eu l'occasion, à diverses reprises, de prendre position publiquement en ce sens.

Cette incompressibilité est aussi une meilleure réponse qu'une libération, insupportable aux yeux de l'opinion publique.

Il n'en demeure pas moins qu'un renforcement et un durcissement de notre législation en matière de crimes terroristes m'apparaissent indispensables.

C'est pourquoi, compte tenu du contexte d'urgence, l'imprescriptibilité des crimes et l'incompressibilité des peines doivent trouver leur place dans une politique globale de lutte contre le terrorisme.

L'efficacité de cette politique dépend, plus que dans tout autre domaine, de la bonne articulation des politiques nationales et d'une politique européenne qui, malheureusement, reste à concrétiser.

Il est donc urgent que les Vingt-cinq jouent le jeu ! C'est la condition sine qua non de l'émergence d'une politique antiterroriste qui produise des résultats concrets. La sécurité de chacun ne peut être assurée désormais sans l'échelon européen !

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