Monsieur le Président, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, compte tenu de l'échec de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) lundi 16 juillet dernier et de l'adoption du texte hier soir par l'Assemblée nationale.
Avant de rappeler dans quel contexte s'est tenue cette CMP, je voudrais exposer brièvement les griefs que nous avions adressés au Gouvernement dès le 20 juin quant à la méthode retenue pour élaborer son projet de loi.
Tout d'abord, aucune évaluation d'ensemble de la formation professionnelle et de l'apprentissage n'a été réalisée par un organisme indépendant à la demande du Gouvernement, tandis que la loi du 5 mars 2014 n'a jamais fait l'objet d'une évaluation globale, impartiale et publique.
Ensuite, l'annonce par la ministre du travail d'un « big bang » en matière de gouvernance et de financement de la formation professionnelle, remettant en cause le contenu d'un accord national interprofessionnel conclu le même jour, a été particulièrement mal vécue par les partenaires sociaux.
En outre, la plupart des mesures d'application sur les dispositifs emblématiques du texte, comme le périmètre des dépenses retenues pour définir le coût d'un contrat d'apprentissage, la gouvernance de France compétences ou encore la durée des sanctions en cas de manquement du demandeur d'emploi à ses obligations, n'ont pas été précisées par le Gouvernement dans l'étude d'impact et elles n'ont été que parcimonieusement dévoilées pendant nos débats dans l'hémicycle.
Plus grave, le Gouvernement a déposé tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat un grand nombre d'amendements substantiels sur des sujets aussi divers que l'emploi des travailleurs handicapés, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou encore le travail détaché. Peu soucieux d'achever les concertations avant l'adoption du projet de loi en conseil des ministres, le Gouvernement a choisi de distiller ses amendements en cours d'examen parlementaire, se dispensant de la rédaction d'une étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État, empêchant les rapporteurs d'organiser des auditions sur les thèmes concernés. Ainsi, le Gouvernement après avoir abandonné le recours à une ordonnance sur les travailleurs détachés, a finalement renoncé au Sénat à son projet d'accords bilatéraux pour assouplir les obligations déclaratives des prestataires qui détachent des salariés dans des zones transfrontalières, au profit d'une procédure administrative spécifique. Au total, il se dégage une impression d'improvisation et de fébrilité alors que le Gouvernement a disposé d'une année de réflexion pour élaborer son texte.
J'en viens maintenant au calendrier d'examen du texte, qui a été fixé de telle manière qu'il rendait impossible le dialogue entre nos assemblées avant la tenue de la commission mixte paritaire. Peut-on raisonnablement espérer trouver un accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale quand la CMP a lieu sept heures après le vote de la loi en première lecture au Sénat et que le texte examiné compte presque deux cents pages ?
Enfin et surtout, l'annonce du Président de la République devant le Congrès le 9 juillet dernier d'anticiper l'ouverture de la négociation de la convention d'assurance chômage a réduit à néant les démarches que nous avions engagées avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale pour rechercher un accord.
Nous avions clairement indiqué à nos homologues de l'Assemblée nationale notre volonté de conclure un compromis en réexaminant tous les sujets de désaccord entre nos deux assemblées.
Toutefois, ceux-ci n'ont donné aucune suite à notre proposition et la CMP a été expédiée en moins de trente minutes, sans aucune considération pour le travail de fond réalisé par notre assemblée. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : nous avons organisé une soixantaine d'auditions en l'espace de cinq semaines, soit plus de 70 heures d'échanges, plus de 350 amendements ont été examinés en commission et 771 en séance publique, donnant lieu à quatre journées et demie de débats dans l'hémicycle. Le rapporteur de l'Assemblée nationale a mis en avant pendant la CMP plusieurs désaccords entre nos deux assemblées pour expliquer l'impossibilité de trouver un accord, mais cette justification a posteriori ne reflète pas la réalité des événements. C'est la décision du Président de la République de rouvrir la négociation de la convention d'assurance chômage et l'imposition par le Gouvernement d'un calendrier parlementaire très contraint qui ont rendu impossible l'obtention d'un accord en CMP.
Pratiquement tout le travail du Sénat a été écarté d'un revers de main par les députés en nouvelle lecture, avec parfois des justifications lapidaires, erronées voire biaisées. Seuls quelques apports substantiels ou des modifications rédactionnelles ou de coordination ont été conservés à l'Assemblée nationale, la quasi-totalité de nos travaux ayant été supprimée.
En premier lieu, les députés se sont opposés au renforcement de la place des régions en matière d'apprentissage. En accord avec les représentants des régions, nous avions en effet souhaité leur donner davantage voix au chapitre en matière d'apprentissage, compte tenu du rôle qui leur avait été confié depuis plusieurs décennies et de leur compétence en matière de développement économique, sans remettre en cause le coeur de la réforme qui attribue de nouvelles missions aux branches professionnelles et aux entreprises.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, avait ainsi voulu inscrire dans la loi le principe de compétences partagées entre les régions et les branches professionnelles. Nous avions également souhaité que les régions élaborent une stratégie pluriannuelle des formations en alternance, et qu'elles puissent conclure des conventions d'objectifs et de moyens avec les centres de formation d'apprentis qu'elles soutiendront au titre de leur compétence en matière d'aménagement du territoire.
Nous souhaitions que les régions puissent créer avec l'État un comité régional de l'orientation, chargé de coordonner les interventions des organismes participant au service public régional de l'orientation. Nous avions en outre attribué aux régions un volume de vingt heures par an imputées sur le temps scolaire pour réaliser des actions d'information sur les professions et les formations dans toutes les classes de quatrième et de troisième. Nous souhaitions donc, en quelque sorte, une mobilisation générale.
Notre assemblée avait également souhaité améliorer l'orientation des élèves, apprentis et étudiants, renforcer la formation des enseignants au monde professionnel, valoriser la fonction de maître d'apprentissage et moderniser le statut de l'apprenti.
Tous ces apports du Sénat ont été supprimés en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.