Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du 26 juillet 2018 à 10h30
Accord avec l'autriche sur la réadmission des personnes en situation irrégulière — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, mes chers amis – j’ose –, nous voici réunis ce matin pour examiner ce projet de loi autorisant l’approbation d’un accord bilatéral entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

Nous discutons d’un texte – j’ai évidemment bien suivi les travaux de la commission –, mais aussi d’un contexte, qui est évoqué dans le rapport.

Sans préjuger d’un débat sur les enjeux migratoires en général que la commission a appelé de ses vœux, et dont elle a demandé l’inscription à l’ordre du jour de cet automne, je dirai quelques mots de ce texte, avant de parler du contexte.

Cet accord a été négocié et signé en 2007, puis actualisé en 2014 – ce travail, vous le voyez, a traversé les majorités et les gouvernements –, afin d’être adapté à l’état du droit communautaire. L’accord qui liait auparavant la France et l’Autriche datait de 1962 ; il fallait tenir compte d’un certain nombre d’évolutions du cadre communautaire.

Cet accord va rejoindre une liste riche d’une cinquantaine d’accords de réadmission dont la France est d’ores et déjà signataire, dont une vingtaine avec des États membres de l’Union européenne, comme l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal ou encore la Suède. Cet accord n’a donc rien d’exceptionnel.

Il faut l’envisager au regard de l’évolution du droit communautaire, qui prévaut en tout état de cause, et en particulier du règlement de Dublin et de la directive Retour.

Cet accord avec l’Autriche couvre plusieurs cas de figure.

Premier cas de figure, l’accord oblige chaque partie, c’est-à-dire la France et l’Autriche, à réadmettre ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie. Compte tenu des règles de libre circulation, ces cas sont très rares ; ils ont trait, pour la plupart, à des peines d’interdiction de séjour prononcées en complément de peines criminelles ou correctionnelles, ou à des mesures d’expulsion justifiées par des motifs sérieux tenant à l’ordre ou à la sécurité publics. Votre rapporteur le souligne dans son rapport, de tels cas sont très peu nombreux – ces trois dernières années, sept Autrichiens seulement ont fait l’objet d’une demande de réadmission pour l’un de ces motifs.

Deuxième cas de figure, l’accord permet à la France et à l’Autriche de réadmettre des ressortissants de pays tiers, c’est-à-dire des citoyens de pays n’appartenant pas à l’espace Schengen, lorsqu’ils ont séjourné sur ou transité par leur territoire avant de se rendre sur le territoire de l’autre partie.

Nous sommes là dans le cadre des dérogations prévues par la directive Retour adoptée en 2008 : un cadre balisé, donc.

Il faut avoir en tête que, depuis 2015, la France a saisi l’Autriche d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année. Ces demandes concernent principalement des ressortissants afghans, algériens, kosovars et pakistanais. Ce nombre n’a vraisemblablement pas vocation à évoluer de manière significative au cours des prochaines années.

Le troisième et dernier cas de figure prévu par l’accord est celui du transit via la France ou l’Autriche, aussi bien par voie terrestre qu’à l’occasion d’une escale aérienne, d’une personne en cours d’éloignement vers un pays tiers décidé par notre pays ou par l’Autriche.

L’obligation de réadmission qui est inscrite dans l’accord ne vaut bien sûr pas dans les cas suivants : celui des ressortissants d’un État tiers ou des apatrides titulaires d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité délivrés par un autre pays de l’espace Schengen ; celui, naturellement, des personnes auxquelles la France ou l’Autriche auraient reconnu le statut de réfugié ou d’apatride ; celui des demandeurs d’asile – dans ce dernier cas, c’est le règlement Dublin III qui prévaut, et il permet déjà le transfert des demandeurs dans l’État membre responsable de leur demande d’asile, autrement dit le pays dans lequel ils ont été préalablement enregistrés.

L’accord fixe de manière précise, tout au long de ses articles, qui sont complétés par un protocole d’application, les règles procédurales qui régissent ces réadmissions, mais également les garanties de droit relatives à l’établissement de l’état civil et de la nationalité des personnes concernées ainsi qu’à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre de ces procédures – ce dernier point est très important ; c’est d’ailleurs à ce titre, en vertu de l’article 53 de la Constitution, que l’accord est soumis à l’approbation parlementaire.

Ce texte vise donc principalement à actualiser un accord très ancien pour le mettre en conformité avec le droit européen.

J’ajoute que notre partenaire autrichien a notifié à la France l’achèvement de sa procédure interne, qui, elle, ne passait pas par le Parlement, le 17 septembre 2015, il y a donc maintenant presque trois ans.

J’ai bien entendu, d’ailleurs, les interrogations de la commission sur le temps mis par la partie française pour approuver un certain nombre d’accords de ce type. Il est vrai que le protocole actualisant l’accord a été signé en 2014 et que le projet de loi a été élaboré sous le précédent gouvernement ; or ce n’est qu’aujourd’hui que nous sommes amenés à en débattre dans cet hémicycle. Nous avons donc peut-être, en effet, à nous pencher, collectivement, sur les voies et moyens pour réduire les délais permettant l’approbation de tels accords.

Un petit mot sur le contexte.

Tout cela s’inscrit en effet dans un contexte marqué, sinon par l’irruption, du moins par la mise sur le devant de la scène du sujet migratoire, alors même que, depuis 2015, le contexte a énormément évolué. Les flux de migration, qu’ils viennent de la Méditerranée centrale ou de la Méditerranée orientale, ont été considérablement réduits ; un très important travail de stabilisation a d’ailleurs été accompli par de nombreux États, en partenariat avec des autorités des pays de la rive sud de la Méditerranée.

La situation a néanmoins conduit le Conseil européen à être saisi de cette question. Souvenez-vous, il y a un mois – ce mois nous semble un siècle, tant le temps s’accélère –, nous étions tous très préoccupés s’agissant de la capacité de l’Europe à répondre ou non à un certain nombre de défis qu’elle a en commun avec l’Afrique. Car, ne nous y trompons pas : en matière migratoire, le destin de l’Europe et celui du continent africain sont totalement liés. Nous réussirons ensemble, ou bien nous échouerons ensemble.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la France porte une voix ambitieuse en faveur d’un véritable partenariat eurafricain, ne négligeant aucune dimension – il n’y a pas de réponse unique, mais toute une palette de solutions. L’aide publique au développement, notamment, doit être toujours plus importante et, surtout, toujours plus opérationnelle ; elle doit se déployer plus rapidement sur le terrain.

Cette palette comprend également, par exemple, les procédures que nous souhaitons mettre en place dans le cadre de l’Alliance pour le Sahel, afin d’obtenir des résultats concrets, visibles, et, surtout, afin d’apporter des réponses à tous ces jeunes qui, loin de prendre les routes de la liberté, empruntent bel et bien, comme le dit le Président de la République, celles de la nécessité – il faut appeler les choses par leur nom : ces routes sont parfois de véritables traversées de la mort.

La France s’honore donc de mettre en œuvre un certain nombre de programmes avec le HCR, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou avec l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations, afin de faire en sorte que nous puissions, au Niger ou au Tchad même, identifier des personnes qui relèveraient du droit d’asile pour les acheminer directement, dès lors qu’il est avéré qu’elles sont éligibles à ce régime. Un certain nombre de missions sont donc conduites.

Vous le voyez, la France mène une politique empreinte d’humanité, mais également de fermeté, dès lors qu’il s’agit de respecter les cadres légaux existants. À ce titre, nous sommes bien sûr très engagés, avec nos partenaires européens, dans le renforcement de l’efficacité et des moyens d’un outil comme FRONTEX, dont la montée en puissance est indispensable si nous voulons être au rendez-vous de la situation.

Voilà pour les quelques mots rapides que je souhaitais consacrer au contexte. Nous pouvons d’ores et déjà nous féliciter de notre capacité, sur ce débat qui déchaîne parfois les passions, à faire ce qu’il faudrait toujours faire, c’est-à-dire en revenir aux faits, à la raison, à des solutions pragmatiques, concrètes, permettant de préserver à la fois la dignité des êtres humains et, naturellement, la souveraineté, que celle-ci soit nationale ou européenne.

Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’examen de ce projet de loi d’approbation sera prolongé dans les prochains mois par d’autres débats, soit au sein de votre commission soit dans l’hémicycle. Monsieur le rapporteur, soyez remercié pour le travail accompli. Nous arrivons au terme d’un processus dont l’achèvement n’a que trop tardé – cela fait onze ans que l’ouvrage est sur le métier, mesdames, messieurs les sénateurs !

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