Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 26 juillet 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Rejet en procédure accélérée d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Madame la ministre, que diable êtes-vous allée faire dans cette galère ? Car comment qualifier autrement cette entreprise périlleuse engagée par la majorité de l’Assemblée nationale et le Gouvernement ?

Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, la principale mesure de ces deux textes consiste en la création d’une procédure spécifique de référé, afin de faire cesser, en période électorale, la diffusion « des fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir », lorsque celles-ci sont diffusées sur internet « de manière délibérée, de manière artificielle ou automatisée et massive ».

Parce qu’elle a considéré le dispositif inabouti, inefficace et dangereux, la commission des lois a choisi de présenter une motion visant à opposer la question préalable au texte organique.

Inabouties, tout d’abord, ces propositions de loi le sont, car elles trouvent leur origine dans une réflexion qui n’a visiblement pas été menée à terme. Il est regrettable que, avant d’engager la procédure accélérée sur un tel texte, le Gouvernement n’ait pas procédé, au préalable, à l’évaluation des dispositifs existants en matière de lutte contre les abus de la liberté d’expression.

Pourquoi légiférer, alors que la répression des rumeurs ou des fausses nouvelles n’est pas une question nouvelle en droit et que la France dispose déjà d’un cadre législatif ancien en la matière ?

Pourquoi légiférer, alors que la publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral est d’ores et déjà réprimée par l’article L. 97 du code électoral ?

Pourquoi légiférer, alors que les dispositions actuelles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, pivot de la lutte contre les abus de la liberté d’expression depuis plus de cent trente ans, permettent déjà de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants ?

Je rappelle que l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 réprime « la publication, la diffusion ou la reproduction » de « nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ».

Je rappelle aussi que l’action en diffamation est particulièrement efficace pour lutter contre les fausses informations qui portent atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne, d’autant plus que, en matière de diffamation, il existe une présomption de mauvaise foi. C’est au prévenu de prouver soit sa bonne foi, soit la véracité des allégations.

Le champ d’application de ce délit est particulièrement vaste : ainsi, l’allégation qu’une personnalité politique détiendrait un compte illégal offshore est déjà susceptible d’être qualifiée de diffamatoire.

Pourquoi légiférer, alors qu’une action en référé sur le fondement de l’article 9 du code civil est toujours possible en cas de « fausses informations », d’informations falsifiées ou même biaisées portant sur la vie privée d’une personne physique ?

Enfin, pourquoi légiférer, alors que plusieurs dispositions pénales répriment les fausses informations qui causent un trouble grave à un particulier ou à la société, par exemple la publication d’un photomontage – c’est l’article 226-8 du code pénal ?

Le Gouvernement serait tenté de me répondre que les délais actuels de procédure sont incompatibles avec la nécessité d’une action rapide. C’est faux ! Des procédures rapides sont déjà prévues par les textes : je rappelle que, lorsque des faits d’injure ou de diffamation envers un candidat à une fonction élective sont commis en période électorale, la juridiction peut être appelée à statuer dans un délai de vingt-quatre heures.

De même, l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 prévoit d’ores et déjà que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête aux fournisseurs d’accès et aux hébergeurs de services de communication au public en ligne « toutes mesures propres à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

La commission des lois reconnaît qu’il existe des difficultés d’application de la loi du 29 juillet 1881 aux contenus diffusés sur internet. Les formalités particulièrement lourdes imposées à peine de nullité sont en effet particulièrement inadaptées aux propos diffusés sur internet.

Sans doute aurait-il été nécessaire de travailler à l’adaptation de ces procédures aux contenus diffusés sur internet. Néanmoins, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas fait ce choix : ils se sont inscrits dans le mouvement dénoncé par le rapport de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi sur l’équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l’heure d’internet, …

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