Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, Portalis, qui nous regarde, j’imagine, d’un œil désespéré, compte tenu du débat et du texte que nous examinons, affirmait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Pour la défense de cette motion tendant à opposer la question préalable sur cette proposition de loi organique, je serai bref.
Je veux de nouveau souligner à quel point il est regrettable d’avoir proposé, dans la précipitation, un tel dispositif ad hoc, sans prévoir aucune amélioration aux dispositifs existants. Il est irresponsable de la part du Gouvernement de penser légiférer sur un tel sujet tenant aux libertés publiques sans une étude d’impact. Heureusement que le président de l’Assemblée nationale a saisi le Conseil d’État pour avoir au moins son avis sur ces propositions de loi !
Une motion tendant à opposer la question préalable à ces textes me semble justifiée en raison des nombreux risques d’atteintes disproportionnées à la liberté d’expression que présente ce dispositif.
Nous avons un problème avec l’approche même de cette proposition de loi organique. Comment peut-on imaginer censurer a priori des allégations inexactes ou trompeuses d’un fait « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » ? Comment le juge des référés pourrait-il, en quarante-huit heures, établir a priori l’altération d’un scrutin qui n’a pas encore eulieu ?Pourquoi déposer une proposition de loi qui vise à limiter la liberté d’expression seulement pendant les périodes électorales ?
Le juge judiciaire, comme le juge électoral, a toujours laissé une large place à la polémique politique. Moment traditionnel de liberté, la période électorale devrait-elle devenir désormais une période de censure ?
J’y insiste, pourquoi faudrait-il encadrer le débat électoral plus strictement que le débat sur les questions de santé ou d’économie ?
Pourquoi vouloir nécessairement priver les citoyens de l’accès à une fausse information en période électorale ?
Faut-il interdire, en raison des intentions malveillantes de certains, le droit d’imaginer, d’alléguer ou de supposer en période électorale ?
La recherche de la vérité ne suppose-t-elle pas la confrontation d’informations vraies comme d’informations douteuses ou fausses ?
La jurisprudence constitutionnelle rappelle que la liberté d’expression est une liberté fondamentale « d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ».
Dès lors, la loi ne peut en réglementer l’exercice « qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Les atteintes doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
Le Conseil constitutionnel ajoute que « la liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales ».
Je ne suis pas certain que l’article 1er respecte toutes ces exigences constitutionnelles.
Le risque d’instrumentalisation à des fins dilatoires d’un tel dispositif me semble trop grand pour que l’on accepte de voter celui-ci, d’autant que la proposition de loi n’encadre nullement les personnes pouvant saisir le juge des référés.
Aussi, en obligeant le juge des référés à entrer dans un débat qui n’est pas habituellement le sien, n’y a-t-il pas un risque d’affaiblir la justice ?
Au regard des risques de dérives que porte en germe toute législation entravant la liberté de communication, la commission des lois considère préférable de s’abstenir de légiférer plutôt que de risquer de nuire à la diffusion de contenus légitimes.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.
Pour conclure, je citerai Beaumarchais qui, en 1784, dans Le Mariage de Figaro, mettait déjà en garde celui qui à l’époque, du haut de son trône, entendait brider la liberté d’expression : « Il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »