Intervention de François Bonhomme

Réunion du 26 juillet 2018 à 15h00
Transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Depuis un an, à rebours de ces déclarations d’intentions, nous avons assisté à une tentative sans précédent de recentralisation des pouvoirs. Contractualisation forcée avec les collectivités territoriales, mise à mal de leur autonomie financière et fiscale, recentralisation des compétences régionales en matière d’apprentissage, étranglement financier des départements, suppression progressive des derniers pouvoirs qui appartiennent encore aux maires – on l’a vu avec la loi ÉLAN : les exemples ne manquent pas.

Cette proposition de loi aurait pu être l’occasion de revenir sur certaines aberrations de la loi NOTRe et de desserrer un peu le corset dans lequel se trouvent aujourd’hui enfermées les collectivités territoriales, et tout particulièrement les communes.

Hélas, il est à craindre que cela ne soit une belle occasion manquée.

Dès février 2017, le Sénat, conscient des graves dysfonctionnements que risquait de provoquer, sur nos territoires, le transfert obligatoire et systématique aux communautés de communes et communautés d’agglomération des compétences communales en matière de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées, avait adopté à une très large majorité une proposition de loi des présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau et François Zocchetto et de notre collègue Mathieu Darnaud. Elle visait à maintenir ces compétences parmi les compétences optionnelles de ces deux catégories d’EPCI à fiscalité propre.

Car le Sénat en est lui aussi convaincu : « Dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux. »

Malgré le soutien du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Fabrice Brun, cette proposition de loi fut renvoyée en commission par les députés le 12 octobre 2017, et son examen reporté sine die.

À l’automne 2017, un groupe de travail de seize parlementaires a néanmoins été constitué à vos côtés, madame la ministre, pour étudier cette question. Il en est sorti trois recommandations : renforcer l’aide financière et technique au bloc communal ; permettre aux communes de surseoir au transfert de leurs compétences jusqu’au 1er janvier 2026 ; garantir la pérennité des syndicats d’eau et d’assainissement existants.

Devant le Congrès des maires, le 21 novembre 2017, le Premier ministre a pris des engagements en ce sens.

Un mois plus tard, nos collègues des groupes La République en Marche et MoDem de l’Assemblée nationale déposaient une proposition de loi censée mettre en œuvre ces engagements.

Ce n’était, malheureusement, pas tout à fait le cas.

En premier lieu, un texte d’initiative parlementaire ne pouvait, en vertu de l’article 40 de la Constitution, traiter de l’aide financière et technique susceptible d’être apportée par l’État aux communes et à leurs groupements dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Le Gouvernement n’a malheureusement rien fait pour compléter le texte en ce sens, comme il en a seul le pouvoir.

En deuxième lieu, si le texte prévoyait d’instituer une « minorité de blocage » permettant aux communes de s’opposer au transfert obligatoire de ces compétences, cette faculté ne devait concerner que les communautés de communes, et non les communautés d’agglomération, et elle ne devait s’appliquer qu’à titre temporaire, jusqu’en 2026.

En troisième lieu, pour garantir la pérennité des syndicats d’eau et d’assainissement, il était proposé de revenir au droit commun de la « représentation-substitution » en ce qui concerne les communautés de communes, mais aucun assouplissement n’était prévu pour les communautés d’agglomération.

Grâce au travail de la rapporteur de la commission des lois, la députée Émilie Chalas, cette dernière difficulté fut résolue dès la première lecture du texte par l’Assemblée nationale.

En revanche, aucune avancée ne fut enregistrée sur les autres points.

Plus grave, un amendement fut adopté prévoyant le rattachement systématique de la gestion des eaux pluviales et de ruissellement à la compétence « assainissement » des EPCI à fiscalité propre, ce qui soulevait de fait de nombreux problèmes de droit et d’opportunité.

En première lecture, le Sénat, qui s’était déjà exprimé en faveur du maintien du caractère optionnel des compétences « eau » et « assainissement » des communautés de communes et communautés d’agglomération, réaffirma cette position afin de laisser les élus libres de décider du transfert de ces compétences, en fonction des réalités locales.

Au demeurant, beaucoup de communes ont déjà transféré ces compétences sans que la loi le leur impose, parce que c’était la solution la plus adaptée localement. Mais ce n’est pas partout le cas.

Nous souhaitons faire confiance, pour notre part, aux élus de terrain.

Le Sénat clarifia, par ailleurs, les modalités de rattachement de la gestion des eaux pluviales à la compétence « assainissement » des communautés de communes et d’agglomération, en excluant les eaux de ruissellement de cette compétence.

Il adopta, en outre, cinq articles additionnels visant à faciliter la gestion des services publics d’eau et d’assainissement ainsi que leur transfert au niveau intercommunal.

C’est bien le signe que le Sénat ne s’oppose pas par principe ou par réflexe pavlovien au transfert de ces compétences : au contraire, il cherche à faciliter ce transfert pour peu qu’il réponde à l’intérêt général et à la volonté des élus locaux.

Malheureusement, aucun terrain d’entente n’a pu être trouvé en commission mixte paritaire. Nous avons même eu la surprise de nous entendre dire par la rapporteur de l’Assemblée nationale que nos propositions étaient « inacceptables ».

En nouvelle lecture, nos collègues députés ont commencé par rétablir intégralement leur texte en commission, sans tenir aucun compte des apports du Sénat ni des demandes pressantes des associations d’élus locaux.

Puis nous avons eu une heureuse surprise. En séance publique, la majorité de l’Assemblée nationale a admis la nécessité d’apporter quelques assouplissements. Sur l’initiative de la rapporteur et des deux groupes majoritaires, plusieurs amendements ont été adoptés dans le sens souhaité par le Sénat.

Ainsi, les communes membres de communautés de communes qui sont aujourd’hui compétentes uniquement en matière d’assainissement non collectif – c’est le cas de figure le plus courant – pourront, elles aussi, s’opposer jusqu’en 2026 au transfert du reste de la compétence « assainissement ».

De même, la gestion des eaux pluviales urbaines resterait une compétence facultative des communautés de communes ; elle deviendrait une compétence obligatoire des autres EPCI à fiscalité propre, mais toute référence à la gestion des eaux de ruissellement a été abandonnée.

Pour autant, ces avancées ne répondaient pas à l’ensemble des préoccupations exprimées par le Sénat. L’Assemblée nationale n’est pas revenue, en particulier, sur le principe du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement. Toutefois, ces amendements témoignent d’un souci de pragmatisme, dont nous avions jusqu’à présent déploré l’absence.

C’est donc avec un esprit constructif que votre commission a abordé cette nouvelle lecture. L’espérance étant une des trois vertus théologales et l’expérience montrant qu’il n’est pas vain d’essayer de faire valoir des arguments de bon sens, c’est ce que nous allons faire encore aujourd’hui.

À l’article 1er, la commission des lois n’a pas cru possible de trouver un terrain de compromis avec les députés, et c’est pourquoi elle a choisi de réaffirmer une position de principe déjà exprimée par deux fois par le Sénat : l’eau et l’assainissement doivent rester des compétences optionnelles des communautés de communes et d’agglomération, par souci d’efficacité, en fonction des spécificités de chaque territoire.

Les articles 1er bis à 1er sexies, insérés par le Sénat en première lecture, avaient tous été supprimés par l’Assemblée nationale, alors même qu’ils soulevaient des problèmes très concrets et que le Gouvernement avait témoigné d’une certaine ouverture sur plusieurs points. La commission a rétabli trois de ces articles dans une rédaction améliorée, toujours dans le souci de faciliter la transition entre la gestion communale et intercommunale des services publics de l’eau et de l’assainissement, lorsque le transfert de ces compétences répond aux besoins locaux.

En ce qui concerne l’article 2, la répartition des compétences entre les communes et leurs groupements en matière d’eaux pluviales urbaines est aujourd’hui extrêmement confuse et pourrait donner lieu à des contentieux, à la suite d’une décision d’espèce du Conseil d’État de 2013 qui a fait l’objet d’une interprétation extensive du Gouvernement par voie de circulaires.

La rédaction finalement adoptée par l’Assemblée nationale a clarifié les choses pour l’avenir, il faut s’en féliciter. Il restait une zone d’ombre sur la compétence des communautés d’agglomération entre l’entrée en vigueur de la proposition de loi et le 1er janvier 2020, que la commission s’est efforcée de dissiper.

Enfin, la commission a considéré que les dispositions du premier paragraphe de l’article 2 avaient un caractère interprétatif et qu’elles avaient donc pour seul effet de clarifier le droit en vigueur, ce qui permettra de démêler les situations juridiques très confuses antérieures à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

À l’article 3, la commission des lois a approuvé l’assouplissement des règles actuelles de représentation-substitution, qui permettront à de nombreux syndicats d’eau et d’assainissement de se maintenir au-delà de 2020 ou 2026. Elle s’est contentée d’adopter un amendement de clarification rédactionnelle, dont l’objet est de mettre le droit en accord avec la pratique.

Puisque la majorité présidentielle veut sauver les syndicats existants, c’est que l’organisation actuelle des compétences eau et assainissement n’est pas si déficiente !

Rendez-vous compte : par le passé, des communes intégrées à une communauté urbaine, une métropole ou même une communauté de communes ou d’agglomération exerçant les compétences eau et assainissement ont été contraintes de se retirer des syndicats qu’elles formaient avec les communes membres d’un seul autre EPCI à fiscalité propre.

Mais en matière d’eau et d’assainissement, les EPCI à fiscalité propre sont habilités à transférer leurs compétences à un syndicat sur une partie seulement de leur territoire.

Résultat : les EPCI se sont empressés de recréer des syndicats mixtes sur le périmètre qui était, la veille, celui des syndicats de communes… On cherche en vain une quelconque rationalisation des compétences locales !

Mes chers collègues, laissons « respirer les territoires », selon la formule consacrée de la mission de suivi des réformes territoriales.

Laissons les élus s’organiser comme ils l’entendent, pour rendre à nos concitoyens un service efficace et au meilleur coût.

C’est pourquoi la commission des lois vous invite à adopter le texte issu de ses travaux.

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