Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais formuler quelques observations à l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, qui s’est tenue le 4 juillet dernier.
Aucun accord n’a pu être trouvé entre le Sénat et l’Assemblée nationale, et le texte qui nous revient aujourd’hui est celui de l’Assemblée nationale.
Je tiens à rappeler que, en première lecture, nous avions largement réécrit ce texte en élaborant, si ce n’est un contre-projet, en tout cas un nouveau projet qui nous paraissait plus cohérent, plus ferme et plus réaliste pour notre politique migratoire.
Ce texte tendait notamment à renforcer les peines complémentaires d’interdiction du territoire, à réduire le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs, qui font échec aux procédures d’éloignement de leurs ressortissants en refusant de délivrer les laissez-passer consulaires, à réintroduire la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique, à réorganiser la durée de la rétention administrative, à interdire le placement en rétention des mineurs isolés et, enfin, à encadrer rigoureusement celui des mineurs accompagnant leur famille.
La réduction de trente à quinze jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, prévue par le Gouvernement, mais que nous avons considérée comme étant attentatoire aux droits des demandeurs d’asile et inefficace, avait été supprimée.
En outre, un effort particulier avait été consenti en faveur de l’intégration des étrangers en situation régulière, avec un investissement renforcé dans les cours de français et l’appui de Pôle emploi pour améliorer les dispositifs d’insertion sur le marché de l’emploi.
Enfin, le Sénat avait souhaité soutenir et accompagner les collectivités territoriales en proposant l’insertion des places d’hébergement des demandeurs d’asile dans le décompte des logements sociaux prévu par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, et la création d’un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l’issue de leur évaluation par un département. Cette mesure qui ne figurait ni dans le projet de loi initial ni dans le texte issu de l’Assemblée nationale était souhaitée par le Sénat et était très attendue par l’ensemble des départements français.
Malgré un dialogue constructif engagé avec l’Assemblée nationale – il faut le reconnaître –, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à un accord, les concessions nécessaires pour trouver un compromis semblant trop importantes.
La commission des lois du Sénat et moi-même regrettons que le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture ne prenne finalement que très marginalement en compte les préoccupations majeures exprimées par la Haute Assemblée.
Cependant, je note quelques points d’accord entre les deux chambres. Il faut insister sur le fait que l’Assemblée nationale a conservé le délai de trente jours pour interjeter appel des décisions de l’OFPRA devant la Cour nationale du droit d’asile – c’est un point auquel nous étions attachés –, ainsi que l’adaptation du droit du sol à Mayotte.
De même, il faut se féliciter de la création d’un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés, même si cette initiative n’est pas tout à fait la même que celle que nous avions adoptée. Il n’en demeure pas moins qu’elle constitue une première étape.
Je voudrais également souligner que la disposition prévoyant l’évolution du droit du sol à Mayotte, adoptée sur l’initiative de notre collègue Thani Mohamed Soilihi et largement soutenue par le Sénat, a été conservée.
J’ajoute que les désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat sont malgré tout restés extrêmement nombreux.
Le texte transmis aujourd’hui constitue une véritable occasion manquée – je le dis – en matière de lutte contre l’immigration irrégulière tout particulièrement : il ne prévoit ni stratégie migratoire ni aucune des mesures de rigueur proposées par le Sénat. Je pense notamment à un meilleur encadrement de l’immigration familiale et à une plus grande efficacité des procédures dites « Dublin ». Il y a évidemment bien d’autres mesures dans ce domaine qui nous auraient permis de nous montrer beaucoup plus fermes.
De même, les politiques d’intégration demeurent le parent pauvre de ce texte, alors que l’Assemblée nationale aurait pu utilement s’inspirer des mesures de bon sens proposées par le Sénat, comme la certification du niveau de langue des étrangers primo-arrivants, une meilleure insertion dans l’emploi, la prise en compte de leur connaissance des questions de civisme et des règles de notre République. C’est avec la volonté d’engager une démarche qualitative et le souhait de former, en s’en donnant les moyens, les étrangers primo-arrivants sur notre territoire que nous avions introduit de telles mesures dans le texte. Ces dernières ont malheureusement disparu.
Des désaccords majeurs persistent également sur les modalités d’organisation de la rétention.
Le séquençage adopté par l’Assemblée nationale est finalement à la fois peu protecteur pour les étrangers et trop contraignant pour l’autorité administrative et les tribunaux. Combien de fois nos services nous ont-ils dit qu’une réforme impliquant une intervention du juge des libertés et de la détention au cinquième jour de rétention ne laisserait pas de côté les droits du demandeur et permettrait à l’administration de mieux se défendre devant les tribunaux, notamment parce que les décisions d’annulation de mesures de rétention sont en grande partie motivées par des problèmes de forme plutôt que par des problèmes de fond ? Nous aurions gagné en termes d’efficacité dans la lutte que nous menons contre l’immigration irrégulière.
Mes chers collègues, nous avons interdit la rétention des mineurs isolés. Nous l’avons exprimé clairement, et cet engagement a été conservé dans le texte de l’Assemblée nationale.
En revanche, pour les mineurs accompagnants, nous avions estimé que le délai de cinq jours était un délai maximum, qui ne pouvait être dépassé. Or cette disposition n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale, avec la conséquence pratique que des mineurs accompagnants pourraient rester jusqu’à quatre-vingt-dix jours en rétention, puisqu’il s’agit du nouveau délai fixé par le texte.
Nous avons également relevé un certain manque de considération pour l’action des collectivités territoriales en faveur de l’accueil des demandeurs d’asile, alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir, comme l’inclusion des dispositifs d’hébergement des demandeurs d’asile dans le décompte de logements sociaux – j’en ai déjà parlé – ou l’introduction de représentants des collectivités territoriales au sein du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII. Plus aucune de ces mesures ne figure dans le texte.
Enfin, l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture deux mesures clairement contraires à la règle dite de « l’entonnoir », qui résulte de l’article 45 de la Constitution : la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d’hébergement en matière d’intégration des réfugiés, et une mesure plus « exotique » – si vous me permettez cette expression à la tribune –, l’habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et créer des procédures d’urgence devant la CNDA.
Il s’agit d’un sujet pourtant très important à tout point de vue, qui échappera de fait aux assemblées et, singulièrement, au Sénat. Cette question avait fait l’objet d’une discussion ici même, lors d’une séance qui avait vu le Gouvernement revenir sur ses intentions initiales. C’est une difficulté qu’il faut souligner.
À l’issue de ses travaux, la commission des lois a décidé de ne pas adopter le texte issu de l’Assemblée nationale et de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi, en application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat. La commission souhaite naturellement que cette motion soit examinée à l’issue de la discussion générale avant une éventuelle discussion des articles.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais, comme mon temps de parole touche à sa fin, je terminerai mon propos en remerciant l’ensemble des collègues qui ont travaillé sur ce texte et ont contribué à l’améliorer, ainsi que les services de la commission, qui ont effectué un travail considérable !