Intervention de Alain Bauer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 26 septembre 2018 à 9h35
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions — Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice

Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM :

La sécurité d'un chef d'État se gère toujours dans des configurations qui sont propres à l'histoire de chaque pays ou à l'évolution de cette histoire. Le Président des États-Unis était protégé par une société privée, Pinkerton. Après la perte de deux ou trois hommes, il a été jugé plus utile de créer le Secret Service, avec deux missions : la protection du Président des États-Unis et la lutte contre la fausse monnaie. Cet organisme est placé sous l'autorité du secrétaire général de la Maison-Blanche, mais dépend sur les plans administratif, fonctionnel et budgétaire du département de la justice. Son autonomie est très grande.

Il existe dans de nombreux pays des régiments de garde présidentielle, et dans d'autres des mercenaires et des sociétés privées. Chacun fait un peu comme il veut ou comme il peut, pour des raisons liées à la confiance, la stabilité ou l'instabilité des dispositifs de sécurité ou à une longue tradition de coups d'État. Il y a ainsi dans notre ancien empire colonial une forme d'instabilité chronique, et le Commonwealth a connu les mêmes difficultés.

La France a connu un épisode très instable, entre la Libération et 1958, durant lequel on est passé d'une absence d'organisation structurée - à part la garde républicaine, il n'y avait pas d'outils clairs de protection des institutions - à l'apparition, autour du général de Gaulle et dans la période courant jusqu'à la fin des événements d'Algérie, que l'on ne qualifiait pas alors de « guerre », d'unités paramilitaires et de dispositifs qui n'étaient prévus ni par la Constitution ni par la réglementation. Il s'est ensuivi, au moment du retour de la paix civile et jusqu'en 1983, une situation plus républicaine avec la création du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) qui a regroupé, selon les époques, soit davantage de policiers que de gendarmes, soit l'inverse.

Quant au commandement militaire, il appartient à l'institution qui protège tous les édifices publics. Je n'ai pas souvenir d'un groupe de sécurité relevant du Premier ministre dont l'existence pourrait se justifier dans le cadre de l'organisation actuelle de la Vème République. Cela n'a pas semblé nécessaire ; pourtant, le Premier ministre est aussi bien protégé que le Président de la République.

Les choix peuvent être extrêmement divers. La mise en cohérence d'un outil de sécurité est un enjeu majeur. Il est difficile d'avoir un outil qui s'occupe du « fixe » et un autre pour le « mobile », chacun relevant d'un chef différent au sein d'une organisation complexe.

Pour ce qui concerne les missions relevant des responsables politiques élus, il y a plusieurs phases. D'abord, il faut savoir qui les protège lorsqu'ils sont candidats. Être protégé par le ministre de l'intérieur de la majorité sortante quand on est dans l'opposition, c'est compliqué ; il faut trouver des accommodements républicains, en désignant des policiers ou des gendarmes dont l'appartenance au camp d'en face est connue. Ainsi, l'État fait son travail en protégeant les candidats, et ceux-ci se sentent en confiance, car ils savent que les policiers ou les gendarmes mis à leur disposition ne font pas un rapport tous les soirs au ministre de l'intérieur sur ce qu'ils ont fait, dit et pensé durant la journée. La presse s'en fait l'écho en indiquant qui est chargé de la sécurité du candidat, ou si celui-ci refuse d'être protégé par des agents publics. Pour ces cas, la protection est assurée par des services d'ordre, dont disposent toutes les organisations politiques et syndicales et qui ont des missions de protection rapprochée. On en a toujours vu dans les campagnes présidentielles, surtout pour les candidats les plus exposés ou les plus à même de gagner l'élection.

Une fois au pouvoir, la question se pose de la cohabitation. Nelson Mandela a pris avec lui son unité de sécurité, directement issue de la « lance de la nation », le groupe le plus dur de l'African National Congress - Congrès national africain (ANC) -, et a expliqué aux officier boers qui dirigeaient le gouvernement blanc et ségrégationniste d'Afrique du Sud que désormais ils feraient cause commune. Il faut être Nelson Mandela pour le faire, mais cela a fonctionné. Cela ressemble au cas des officiers appartenant à la Résistance qui, lorsque l'État républicain a été rétabli, succédant au régime de la collaboration, se sont trouvés intégrés dans les institutions de l'État et ont vu leurs titres gagnés dans la clandestinité reconnus.

Dans le cas du Secret Service américain, la logique d'État s'applique : il n'y a pas d'agents contractuels privés de sécurité auprès du Président des États-Unis, pas plus qu'auprès du Premier ministre de Grande-Bretagne ou de la Chancelière allemande. À ma connaissance, cela n'existe dans aucun pays de l'Union européenne ayant un régime démocratique. Le principe est la stricte séparation, mais il peut y avoir au sein du cabinet, au sens d'appareil politique, une personne qui s'occupe de la partie semi-privée ou semi-politique des déplacements, et qui a une fonction de lien local. Les choses sont alors clairement définies et déterminées.

Dans d'autres pays, la situation est exactement inverse. Du fait du spoils system, on ne fait confiance à personne et c'est une équipe privée qui prend le relais pour assurer la sécurité immédiate du chef de l'État.

Notre démocratie a une vieille histoire. Le fait qu'il y ait seulement des agents publics autour du Président de la République, sous un commandement unique, a du sens. On ne voit pas très bien comment on pourrait assurer, à la fois, la sécurité résidentielle et celle des déplacements avec deux commandements ou deux unités. Or ce point de vue rationnel n'entre pas toujours en ligne de compte au moment d'effectuer des choix plus personnels.

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