Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du 9 octobre 2018 à 14h30
Lutte contre la fraude — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vous parlerai pas de la vraie-fausse suppression du « verrou de Bercy ». En revanche, je voudrais attirer votre attention sur les difficultés liées à la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, qui a notamment supprimé l’article 1er B, que le Sénat avait introduit en première lecture via l’adoption d’amendements du groupe Union Centriste. Cet article encadrait les délais et fixait la procédure en cas de questions préjudicielles, de façon à éviter les conflits de juridictions.

Étant donné la rédaction de l’article 8 du projet de loi, le juge pénal va maintenant être obligé de surseoir à statuer le temps que le juge de l’impôt, qui est souvent le juge administratif, fixe le montant des impôts fraudés ; désormais, en effet, l’amende pénale pour fraude fiscale sera proportionnelle au montant des impôts fraudés. Or la jurisprudence de la Cour de cassation impose que le juge pénal recherche et détermine avec exactitude le montant des impôts fraudés servant de base de calcul aux pénalités proportionnelles. Cela résulte notamment d’un arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 1994, qui fait jurisprudence.

En matière fiscale, c’est principalement le juge administratif qui détermine le montant des impôts fraudés.

Avec le texte voté par la commission mixte paritaire, nous venons de créer, sans doute à l’insu de notre plein gré, une obligation systématique de sursis à statuer dans les dossiers pénaux de fraude fiscale, sans organiser ces renvois, monsieur le secrétaire d’État. C’était là justement l’objet de l’article 1er B adopté par le Sénat, qui encadrait les délais et la procédure.

On imagine aisément que le Conseil d’État, juge administratif suprême, ne prendrait pas très bien que le juge pénal, sous le contrôle de la Cour de cassation, fixe lui-même le montant des redressements fiscaux : comme la décision du juge pénal s’impose au juge administratif, ce dernier serait alors totalement dessaisi du contentieux fiscal d’assiette dans les dossiers transmis au pénal.

Le cumul de la suppression de l’article 1er B et de la rédaction de l’article 8 telle qu’issue des travaux de la commission mixte paritaire crée une innovation juridique qui complexifie la procédure sans apporter aucune précision ni aucune garantie aux justiciables.

Cette créativité va faire le bonheur des cabinets d’avocats fiscalistes. Je pense qu’il faudra revoir, monsieur le secrétaire d’État, la rédaction de cet article 8. En l’état, il est, me semble-t-il, totalement inapplicable, et sa mise en œuvre créera des difficultés extrêmement importantes.

Voilà ce qui arrive, monsieur le secrétaire d’État, en l’absence de navette, quand on légifère un peu vite, sans prendre le temps ! Vous allez vous heurter à des difficultés pratiques, et j’attends avec impatience le décret que vous avez évoqué : vous verrez que cet article 8 est absolument inapplicable et qu’il ne donne aux justiciables aucune garantie, au contraire.

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