Nous entendons, en application de l'article 13 de la Constitution, M. Bernard Doroszczuk, candidat proposé par le Président de la République à la fonction de président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Je vous rappelle qu'il ne pourrait être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions compétentes de chaque chambre représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Monsieur Doroszczuk, vous êtes donc pressenti pour succéder à M. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN depuis 2012. Vous connaissez bien l'institution, que vous avez rejointe en 1997 pour coordonner le second examen de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts (MW). Entre 2003 et 2013, vos fonctions de directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) de la région Centre, puis de l'Île-de-France, vous ont désigné délégué territorial de l'ASN, d'abord pour le contrôle de la sûreté nucléaire des centrales de Dampierre, Chinon, Saint Laurent et Belleville, puis des centres du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Saclay et de Fontenay aux Roses, ainsi que pour le contrôle de la radioprotection des secteurs médicaux et industriels et des sites et sols pollués. Depuis 2013, vous êtes directeur général du Comité français d'accréditation (Cofrac), qui est chargé de délivrer les accréditations aux organismes intervenant dans l'évaluation de la conformité. Je ne vous apprendrai donc rien en rappelant à la fois l'importance et la sensibilité du poste auquel vous candidatez, ainsi que les défis auxquels l'ASN est confrontée.
Le premier de ces défis concerne les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW, dont l'enjeu consiste à prolonger, ou non, leur durée de vie au-delà de quarante ans. Je rappelle qu'en France, l'autorisation d'exploiter une centrale n'est pas accordée pour une durée limitée ; elle est, en revanche, conditionnée à un réexamen périodique de sûreté, le quatrième étant essentiel puisque les réacteurs ont été initialement conçus pour fonctionner pendant quarante ans. Alors que les premiers réexamens doivent théoriquement débuter dès 2020 et qu'EDF a déjà lancé son programme de « grand carénage » pour, notamment, prolonger la durée de vie des réacteurs concernés, l'ASN a d'abord annoncé un premier avis générique d'ici 2018, puis l'a décalé en 2019 et l'on parle désormais de 2020, voire 2021, sachant qu'ensuite devront être fixées les prescriptions réacteur par réacteur. Ce calendrier ne vous semble-t-il pas trop tardif ?
Lors de ces réexamens, l'ASN applique un principe d'amélioration continue qui consiste à tendre, pour les centrales existantes, vers le niveau de sûreté des réacteurs de dernière génération. C'est là une spécificité française, bien plus exigeante par exemple que la doctrine américaine limitée au maintien de la sûreté à son niveau initial, ce qui a permis de prolonger sans difficulté les réacteurs américains, de conception identique, jusqu'à soixante ans, voire au-delà. Qui a raison en la matière ? La sûreté nucléaire est-elle moins garantie aux États-Unis ? L'exigence française est-elle tenable et l'explique-t-on suffisamment à nos concitoyens, dont certains pensent que nos centrales n'ont pas évolué depuis leur mise en service ? Les découvertes récentes de défauts, voire de cas de fraudes, n'ont il est vrai rien fait pour rassurer le public, mais la communication de l'ASN nous donne parfois le sentiment d'être très anxiogène, alors que l'agence conclut pourtant au « niveau globalement satisfaisant » de la sûreté des centrales dans son rapport de 2017. Comptez-vous faire évoluer la communication de l'ASN auprès du grand public vers davantage de pédagogie ?
Après les écarts de conformité constatés dans l'usine du Creusot, l'ASN a mis en oeuvre des mesures de lutte contre la fraude. Comment pourraient-elles encore être améliorées ? Par ailleurs, après l'accident de Fukushima, les règles de sûreté ont été renforcées. Les prescriptions de l'ASN ont-elles, à votre connaissance, été intégralement appliquées ? Pensez-vous qu'il faille aller plus loin ? Quel jugement portez-vous sur la réorganisation industrielle de la filière électronucléaire française au regard des impératifs de sûreté ? Concernant l'EPR (European Pressurized Reactor) de Flamanville, quelle appréciation portez-vous sur la décision de l'ASN de valider la cuve mais de demander le remplacement du couvercle avant 2024 ? L'autorité de sûreté chinoise a-t-elle abouti aux mêmes conclusions s'agissant des cuves des deux EPR fabriquées selon le même procédé ? Estimez-vous, par ailleurs, que l'ASN devrait être chargée d'évaluer la sécurité et la protection des installations contre les actes de malveillance ?
En janvier dernier, l'ASN a jugé que le projet de centre de stockage en couche géologique profonde, Cigéo, avait atteint une maturité technique satisfaisante, mais formulait une réserve concernant les déchets bitumés. Que préconisez-vous en la matière ? Le combustible Mox permet de recycler une partie du combustible usé des centrales, mais son usage est aujourd'hui réservé à la génération la plus ancienne de réacteurs, dont une partie pourrait fermer à plus ou moins brève échéance. Est-il envisageable d'autoriser cet usage pour les réacteurs plus récents, ce qui permettrait de continuer à recycler et pérenniserait, par la même occasion, l'usine qui fabrique le Mox à Marcoule ?
Enfin, le système français de contrôle des risques nucléaires est dual, avec l'ASN et son expert technique, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (l'IRSN), chacun réclamant régulièrement des moyens supplémentaires pour faire face au surcroît d'activité. Y aurait-il un intérêt ou, au contraire, un risque, à fusionner les deux institutions ?