Intervention de Philippe Bas

Réunion du 10 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice — Article 27

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Les questions que nous sommes en train d’aborder sont parmi les plus sensibles que le texte dont nous débattons a ouvertes.

Faisons un point d’histoire. Nous avons voté la première loi française sur les techniques de renseignement. Nous l’avons fait parce que les techniques ont progressé – elles sont de plus en plus intrusives – et parce que, dans le même temps, le terrorisme s’est à plusieurs reprises emparé de l’actualité, dans des conditions dont tout le monde sait à quel point elles ont été tragiques. La convergence de cette actualité douloureuse et de ces innovations technologiques nous a conduits à encadrer l’utilisation des techniques de renseignement, notamment pour la prévention du terrorisme et la détection des groupes organisés préparant des attentats terroristes.

Les attentats terroristes s’étant répétés, nous avons estimé avec le gouvernement de l’époque qu’il serait sage de permettre au juge d’instruction et, en partie, au procureur de la République de disposer des moyens donnés à la police dans le cadre d’une activité de renseignement pour prévenir le terrorisme.

Nous avons donc voté un certain nombre de dispositions, les plus importantes figurant dans une loi du 3 juin 2016. Je dois le dire, le Sénat a été aux avant-postes pour que les moyens donnés à la police le soient aussi à la justice.

Mais il s’agissait de terrorisme et de grande criminalité. Aujourd’hui, on nous propose de faire un saut considérable. Je vous ai bien entendue, madame la garde des sceaux ; vous considérez qu’un tel saut permettant aux procureurs d’utiliser ces moyens d’enquête pour des infractions punissables de trois ans d’emprisonnement serait assorti de garanties, et vous avez essayé de nous convaincre que ces garanties seraient suffisantes.

Ces garanties consistent principalement en l’intervention du juge des libertés et de la détention. Il se trouve que nos rapporteurs ont très longuement discuté avec les représentants des juges des libertés et de la détention. Et ils en ont retiré la conviction absolue que ceux-ci ne seraient pas en mesure d’exercer un contrôle utile sur l’exercice par les procureurs des pouvoirs que vous voulez leur donner. Il ne suffit pas d’avoir inscrit dans la loi des garanties formelles pour qu’elles se traduisent par une protection suffisante des libertés dans la réalité.

Je tiens donc à vous le dire au moment d’aborder cette partie de notre débat : notre responsabilité de Sénat de la République, institution tellement attachée dans son histoire à la protection des libertés, même si elle est également attachée à l’efficacité de la lutte contre l’insécurité, est de faire en sorte que l’équilibre que vous jugez satisfaisant et que nous jugeons insuffisant soit rétabli à la faveur de nos travaux.

C’est tout l’objet des amendements proposés par les rapporteurs et adoptés par la commission des lois. À notre sens, toute la gamme des nouvelles techniques de renseignement ne doit pas pouvoir être utilisée pour des crimes qui sont certes graves, mais qui ne sont pas de même nature que ceux de la grande criminalité ou du terrorisme.

Par ailleurs, il s’agit de faire en sorte que les garanties que nous voulons ajouter à celles que vous avez déjà prévues s’appliquent pour des infractions punissables non de trois ans de prison, mais d’au moins cinq années d’emprisonnement. Voilà les termes du débat. La philosophie de la commission, des lois qui se rattache à une longue tradition de notre assemblée, est la suivante : oui à davantage de moyens pour lutter contre l’insécurité, mais avec des garanties réelles et dans certaines limites dignes de notre tradition républicaine en matière de liberté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion